Le ministre de l’économie, Emmanuel Macron, part en guerre contre les retraites chapeau des grands PDG. Démagogie : si cela satisfait les assoiffés d’égalitarisme, cela ne résoudra ni le problème financier de l’Etat, ni celui des retraites. Cynisme : l’ancien banquier d’affaires a déjà pourvu, lui, à ses vieux jours. Son moralisme mondialiste vise à mettre au pas les entrepreneurs en satisfaisant l’envie des hauts fonctionnaires internationaux.
Qu’est-ce qu’une retraite chapeau ? C’est une retraite qui s’ajoute à la retraite de base et à la complémentaire (Agirc ou Arrco pour les salariés). Elle est versée par un accord de gré à gré entre l’employé et son entreprise, en fonction de son ancienneté, de son salaire, de son efficacité, et du rapport de forces qui s’est établi entre eux. Elle est encadrée de façon encore très souple par la loi. En août 2009, 761 cadres d’entreprises françaises en bénéficiaient, et le magazine l’Expansion estimait en 2013 que la moitié des patrons du CAC 40 en profitent. Elles peuvent atteindre, dans ces cas-là, des montants très élevés. Ainsi l’ancien patron de Vinci, Antoine Zacharias, touche-t-il 2,2 millions d’euros par an. Il y a quelques semaines, l’ancien patron de GDF Suez, Gérald Mestrallet, est parti avec une retraite chapeau de 830.000 euros par an (70.000 par mois), ce qui correspond à 28% de sa rémunération de référence et se trouve donc indiscutablement légal. Selon le Monde, ce montant est « dans la moyenne » des retraites des très grands PDG. Une précision : la presse a cité la somme de 21 millions d’euros ; ce n’est pas ce qu’il va toucher, mais ce que le groupe GDF Suez va provisionner pour lui verser sa retraite chapeau pendant vingt ans et plus, selon son espérance de vie estimée.
Supprimer les retraites chapeau coûterait de l’argent à l’Etat
Voilà les faits. Bien sûr, c’est beaucoup d’argent, et l’on comprend qu’en période de crise, d’innombrables salariés et retraités incapables de joindre les deux bouts s’en agacent. Le nombre des SDF a crû de 44% en un an, celui des chômeurs de longue durée est passé de 700.000 à 1,1 million entre 2008 et 2013, la misère excite normalement l’envie. C’est là-dessus que table la démagogie d’Emmanuel Macron. C’est au nom de la décence qu’il s’attaque aux retraites chapeau, celles qui sont « indéfendables ». Mais trois questions se posent aussitôt. Sa sortie est-elle utile ? En quoi les retraites chapeau sont-elles du ressort de l’Etat ? L’Etat, et donc le peuple français, gagneraient-il à leur suppression ?
La dernière est la plus simple. Supposons que la retraite chapeau soit supprimée. Le premier et seul bénéficiaire sera le groupe concerné, avec ses actionnaires. Le fisc au contraire, qui prélevait l’impôt sur le revenu du bénéficiaire, va y perdre. C’est donc une perte sèche pour l’Etat et un gain net pour les multinationales. La réforme, si réforme il y a, videra (un tout petit peu) les caisses de Bercy.
La première question n’est pas très compliquée non plus. Dans le cas d’une retraite chapeau « indéfendable », la justice a déjà les moyens d’agir. En 2005, l’ancien patron de Carrefour, Daniel Bernard, partait par exemple avec une pension annuelle de 1.240.000 euros. Les actionnaires estimant la chose infondée portaient l’affaire devant la justice et, en 2008, la cour d’appel de Paris annulait pur et simplement sa retraite chapeau. Dans ses attendus, elle estimait que Daniel Bernard, n’avait pas démontré avoir rendu à l’entreprise des « services particuliers » justifiant une « rente viagère ».
Macron entre démagogie et cynisme
Emmanuel Macron le sait si bien qu’il vient de demander une « information » sur le cas de Daniel Lombard, qui s’est fait allouer 350.000 euros de pension annuelle par France Telecom en 2007, année où l’Etat détenait encore 27% du capital de l’entreprise – alors que Lombard ne partait pas de son plein gré et qu’il n’avait guère brillé.
Cela nous mène à la troisième question : en quoi les retraites chapeau sont-elles du ressort de l’Etat ? Si celui-ci est actionnaire de l’entreprise, pas de problème, il a son mot à dire – en tant qu’actionnaire. Mais s’il ne l’est pas ? Intervenir dans les retraites ou les rémunérations d’une entreprise privée serait de sa part une usurpation manifeste, caractéristique d’une gestion socialiste – et, s’agissant de multinationales, d’un socialisme mondialiste. La sur-taxation déjà en vigueur des retraites chapeau est d’ailleurs un premier signe de cette tendance. Tout ce que l’Etat peut légitimement faire est de faire préciser dans les textes, clairement, les conditions d’attribution et les modes de calcul.
Maintenant, si l’Etat tient à mettre plus de régularité, plus d’équité, plus de moralisme dans l’attribution des retraites, il peut très simplement agir dans un domaine qui le regarde de près, et directement, la retraite des fonctionnaires. S’il décidait demain d’aligner la retraite des fonctionnaires sur le régime général, nul ne pourrait y trouver à redire du point de vue de la logique ni de la justice – en prime, il économiserait quarante milliards, tout bénef pour son budget. Mais ce serait l’éclatement de la majorité, la grève générale et la révolution. Voilà pourquoi le sémillant Emmanuel Macron fait de la démagogie à bon compte. Et il le fait avec d’autant plus de cynisme que lui, l’ancien banquier d’affaires, est à l’abri de tout besoin. Il a été un an et demi, de décembre 2010 à mai 2012, associé-gérant chez Rothschild et Cie, où il s’est « décomplexé par rapport à l’argent » selon ses dires et a trouvé moyen « d’acquérir son autonomie » : en clair, il a déclaré 2 millions de revenus sur la période. Or il fut la cheville ouvrière d’un rachat de laboratoires pour un montant de neuf milliards, ce qui porte certains à suggérer qu’il a fait des profits plus importants.
L’hyper-classe du moralisme mondialiste a ses exigences
Maintenant, la déchéance de l’esprit public est telle en France, l’aigreur envieuse tendant à devenir la norme, qu’il est possible que la démagogie et le moralisme d’Emmanuel Macron soient politiquement nécessaires, que sa décision « symbolique » contribue à la paix civile, au « lien social », comme ils disent. Cela serait une belle illustration du fait que le mauvais gouvernement entraîne toujours plus de mauvais gouvernement : des décennies d’endoctrinement socialiste, de pédagogie forcenée de l’envie en quelque sorte, rendent quasi nécessaire de se plier aux fantaisies de l’envie ainsi suscitée. Il faut d’ailleurs bien reconnaître que cette envie ne touche pas seulement le smicard, loin de là, bien au contraire. L’envie peut croître avec la rapacité et les privilèges. Par exemple, il existe dans le fromage Bruxellois (au sens large : Strasbourg et Luxembourg sont également concernés), qui ne s’appelle pas caprice des dieux pour rien, 130 postes très fortement rémunérés. A certains d’entre eux correspondent des retraites de 20.000 euros nets, et qui plus est nets d’impôt sur le revenu, de CSG, de tout, qui peuvent se cumuler avec d’autres retraites. Ca équivaut à une retraite chapeau de 40.000 euros. Avec ses 70.000 euros mensuels, un Mestrallet dépasse de trente mille. La superclasse du moralisme mondialiste et ses fonctionnaires n’aiment pas trop ça. Tous les bons serviteurs, qui ont souvent fait les mêmes études, pensent la même chose et fréquentent les mêmes milieux doivent être logés à la même enseigne. Avec quarante mille euros par mois, on peut vivre, non ?