Les Etats de l’UE doivent-ils exécuter les mandats d’arrêt européens ? Une décision de la CJUE obtenue à cause de la Commission sème le doute

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Si les fonctionnaires de la Commission européenne considèrent que l’état de droit n’est pas respecté en Pologne et que l’indépendance de la justice n’y est pas respectée, les tribunaux des autres pays membres doivent-ils exécuter les décisions des tribunaux polonais et les mandats d’arrêt européens émis par eux ? La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) avait à se prononcer le 25 juillet sur une demande adressée par une juge – qui s’est avérée être aussi militante LGBT – de la Cour suprême irlandaise. C’est toute la coopération judiciaire au sein de l’UE qui est remise en cause…
 

La décision de la CJUE risque de rendre les mandats d’arrêts européens inapplicables

 
La CJUE a certes rejeté l’argumentation de la justice irlandaise selon laquelle le simple fait qu’il existe une procédure en cours de la Commission européenne puisse autoriser à refuser automatiquement l’exécution des mandats d’arrêt européens émis par le pays concerné, en l’occurrence la Pologne. Le problème, c’est que les juges européens ont toutefois estimé que le tribunal irlandais devait lui-même établir si les accusations d’atteintes à l’état de droit sont justifiées et si cette situation peut en outre avoir un impact négatif sur la situation de la personne poursuivie par le parquet polonais. Pour cela, le tribunal irlandais doit entrer en contact avec le tribunal polonais émetteur du mandat d’arrêt européen et s’assurer que le prévenu aura droit à un procès équitable.
 
L’avocat du Polonais Artur C., résidant en Irlande mais poursuivi dans son pays pour des accusations de trafic de drogue en bande organisée, avait argumenté que les réformes de la justice réalisées par le gouvernement et la majorité parlementaire du PiS en Pologne avaient remis en cause l’indépendance de la justice et l’état de droit. Il s’était appuyé pour cela sur les écrits de la Commission européenne et de la Commission de Venise, organe consultatif du Conseil de l’Europe.
 
Le 25 juillet, la CJUE a donc demandé à la justice irlandaise de s’assurer de la situation en Pologne avant toute extradition du prévenu Artur C. Cette jurisprudence va donner aux juges de l’ensemble de l’UE un pouvoir arbitraire qui risque fort d’être généralement à la merci des vues personnelles des juges. Des vues forcément fondées principalement sur des informations médiatiques souvent très orientées, voire fausses. Cela peut potentiellement rendre le mandat d’arrêt européen bientôt inutilisable entre différents pays de l’UE.
 

Autre effet de la procédure engagée par la Commission européenne : la coopération judiciaire entre l’Allemagne et la Pologne pourrait être suspendue

 
Dans une autre affaire, la télévision publique allemande s’appuie elle aussi sur la procédure engagée par la Commission européenne contre la Pologne pour demander à la Cour fédérale de Karlsruhe de casser le jugement de la cour d’appel allemande ordonnant l’exécution d’un jugement d’un tribunal de Cracovie, en Pologne. Ce jugement concerne l’obligation pour la télévision publique allemande de présenter ses excuses pour avoir utilisé dans ses programmes l’expression révisionniste « camps d’extermination polonais » pour désigner les camps d’extermination allemands de la Deuxième guerre mondiale en Pologne occupée. La télévision ZDF s’y refuse obstinément pour des raisons obscures. Or il se trouve qu’il y a peu la présidente de la Cour fédérale allemande, Bettina Limperg, apportait son soutien à la présidente de la Cour suprême polonaise à la retraite Małgorzata Gersdorf, qui mène la révolte d’une minorité de juges (soutenus par une partie de l’opposition polonaise et par la Commission européenne) contre la démocratie parlementaire de leur pays. Si la Cour fédérale devait invalider l’arrêt de la cour d’appel allemande sur la base des objections de la Commission européenne concernant les lois polonaises réformant la justice et sur la base de ce qu’est allé raconter à Karlsruhe l’ex-présidente de la Cour suprême polonaise, cela remettrait en cause l’ensemble de la coopération judiciaire entre la Pologne et l’Allemagne.
 
Tocqueville avait bien raison de remarquer, à propos des fédérations dans le style de notre pauvre Union européenne, que « les droits accordés à l’Union [sont] pour elles des causes de guerre et non de puissance, puisque ces droits [multiplient] ses exigences sans augmenter ses moyens de se faire obéir. »
 

Olivier Bault

 
Correspondant à Varsovie