Manipulations de l’opinion publique sur les sujets bioéthiques : une technique bien rôdée

Manipulations opinion publique bioéthiques
 

A l’heure où l’idée du transhumanisme s’impose de plus en plus dans l’esprit du public, portée par les rêves de bien des milliardaires qui rêvent d’une forme d’immortalité et par des études financées par eux, il faut s’armer devant la rhétorique publique qui tend à présenter comme acceptables les manipulations du vivant, et en particulier les manipulations de l’être humain. La bioéthique, on ne le dit pas assez, n’est pas véritablement une « éthique » et encore moins une morale fondée sur la loi naturelle donnée par Dieu à l’humanité : c’est une sorte de consensus glissant sur lequel certains scientifiques s’accordent, et qui évolue avec les techniques. Deux chercheurs ont identifié les huit éléments d’une technique de manipulation de l’opinion publique qui permettent à ces scientifiques de rendre les transgressions bioéthiques les plus inquiétantes acceptables, voire désirables aux yeux du public.

La récente affaire d’une transplantation d’utérus au Royaume-Uni en fournit un excellent exemple.

Le site bioedge.org les a synthétisées dans un article signé Michael Cook dont nous vous proposons ci-dessous la traduction intégrale. – J.S.

 

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Comment les scientifiques façonnent l’opinion publique sur les questions bioéthiques controversées

 

L’une des caractéristiques les plus déroutantes des débats sur la bioéthique réside dans la rapidité avec laquelle le public change d’avis sur les questions controversées. Ce phénomène est particulièrement évident dans les discussions sur l’édition du génome humain héréditaire (EGHH) et la thérapie de remplacement des mitochondries (TRM).

Si l’on devait poser la question de savoir si les scientifiques doivent être autorisés à modifier le génome humain, il est probable que la plupart des gens répondraient : non, en aucun cas. Cette intuition a été codifiée dans des accords internationaux telles la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme de l’UNESCO et la Convention d’Oviedo. Ces deux textes interdisent les pratiques qui entraînent des modifications héréditaires.

Néanmoins, au Royaume-Uni comme en Australie, la MTR est autorisée, du moins dans certaines circonstances. Plus inquiétant encore, un consensus scientifique se dessine en faveur de la modification du génome humain. En 2015, le Sommet international sur l’édition de gènes humains a déclaré qu’il serait « irresponsable » de procéder à l’édition de gènes humains tant que les questions de sécurité n’étaient pas résolues. En 2018, un deuxième sommet a appelé à une « voie translationnelle rigoureuse et responsable » et à un consensus scientifique. En 2020, les Académies nationales des Etats-Unis et la Royal Society du Royaume-Uni ont déclaré que le génie génétique humain « pourrait représenter une option importante » pour les parents confrontés à un risque de maladie génétique.

Le rythme des changements éthiques a été relativement rapide. Les enjeux sont importants. Certains scientifiques pensent même que l’humanité doit être remodelée et que la modification du génome est devenue indispensable.

 

Le catalogue des manipulations

Un excellent article publié récemment dans le Journal of Bioethical Inquiry par Shoaib Khan et Katherine Drabiak, de l’université de Floride du Sud, analyse les stratégies rhétoriques utilisées par les scientifiques au Royaume-Uni, en Australie et aux Etats-Unis pour façonner l’opinion publique au sujet de cette recherche souvent controversée. Ils identifient huit techniques.

1. Faire comme si les gènes étaient le problème, et la technologie génomique, la solution. « Cette rhétorique inculque la croyance que le corps humain se résume à la génétique et qu’au lieu que notre ADN fasse partie de nous, il devient la cible à réparer… lorsque nous percevons les gènes comme le problème, la biotechnologie nous présente la solution. Ce cadre ignore la nature complexe de la maladie, y compris les maladies monogéniques. »

2. Banaliser les énoncés dramatiques en utilisant des métaphores familières. Il est vrai qu’il est difficile de communiquer des notions scientifiques complexes. Mais en les simplifiant à l’extrême, on risque de les rendre trompeuses. Le TRM, par exemple, a été décrit comme une « greffe de micro-organe », « une nouvelle forme de FIV » (fécondation in vitro) ou une simple « batterie » cellulaire. « Ces métaphores familières présentent la TRM et le EGHH comme des procédures médicales acceptables, nécessaires et innovantes, plutôt que comme des expériences risquées et très controversées.

3. Tirer parti des idées fausses en matière de thérapie et promettre des avantages hypothétiques spectaculaires. Les nouvelles techniques sont décrites comme des thérapies éprouvées, au lieu d’être présentées comme des procédures à risque qui n’ont pas fait leurs preuves.

4. S’appuyer sur des conclusions non controversées qui vont orienter la réflexion : tout le monde veut des bébés en bonne santé. « Cette stratégie exploite la compassion humaine innée et la sympathie comme moyen de susciter l’adhésion de la part des parties prenantes. Elle présuppose également, sur la base de preuves minces ou quasi inexistantes, que les enfants nés à la suite d’un TRM ou d’une HHGE sont effectivement “en bonne santé”. »

5. Minimiser ou balayer d’un revers de main les risques graves. « Les risques de la TRM ne sont pas simplement l’inefficacité, mais certaines recherches laissent entendre que la perturbation de l’interaction entre l’ADNmt et l’ADNn pourrait induire des troubles iatrogènes du développement, des causes de décès latentes, un vieillissement accéléré et une augmentation du risque de cancer. » Pourtant, les scientifiques ont déclaré aux législateurs que ces techniques étaient « suffisamment sûres » et « prometteuses ».

6. Partir du principe que le recours à la technologie est inévitable. « Le fait de supplanter les normes de la société dans des domaines controversés devient la frontière scientifique, synonyme du concept de progrès ; il sous-entend que davantage de technologie constitue une priorité optimale et rejette les dissensions éthiques comme un effet éphémère du retard de la société ou de son incapacité à comprendre la science. »

7. Distorsion de la terminologie clef et présomption d’exceptionnalisme juridique. Les accords internationaux interdisant la modification de la lignée germinale sont très clairs. Cependant, certains scientifiques ont simplement affirmé, tout de go, que leurs techniques sont entièrement différentes. Par exemple, le ministère britannique de la santé s’est livré à un tour de passe-passe logique pour affirmer que « si la TRM peut constituer une “modification de la lignée germinale”, elle ne répond pas à la définition de “modification génétique” de la lignée germinale humaine parce qu’il n’existe pas de définition convenue de la “modification génétique” ».

8. Occulter le rôle des motivations commerciales. Les nouvelles techniques de FIV sont un produit commercialisable. Les assertions rassurantes des scientifiques « ne tiennent pas compte des incitations financières qui poussent l’industrie de la fertilité à étendre ses pratiques à un plus grand nombre de cas, à un plus grand nombre de clients, en raison du désir impérieux qu’éprouvent de nombreuses personnes d’avoir un enfant biologique ».

 

Michael Cook, Bioedge.org