Mariage en plein vol : le pape François met en œuvre ce qu’il pense

Mariage vol pape François

 
Le monde entier a essuyé une larme, et il serait même mal vu de ne pas le faire. En plein vol, alors qu’il rejoignait la ville chilienne septentrionale d’Iquique, le pape François a célébré le mariage de Paula Podest Ruiz et Carlos Cuffando Elorriaga, hôte et hôtesse de l’air, en un geste « spontané ». Pensez, c’est la première fois qu’un échange de consentements (enfin, on suppose qu’il a eu lieu) se fait à 36.000 pieds ! Seuls les mauvais esprits entendront trotter dans leur tête la chanson de Jacques Dutronc…
 
Gadget, publicité pour le mariage sacramentel, sollicitude pastorale : on peut trouver des tas d’explications au geste du pape François. Ce qui compte, n’est-ce pas, c’est le sourire radieux de la dame et l’air agréablement surpris du monsieur, qui par ailleurs se connaissaient fort bien puisqu’ils sont civilement mariés depuis près de huit ans.
 
Cela s’est passé, selon Carlos Ciuffardi, de manière totalement inattendue. Alors que l’équipage de l’avion posait pour la traditionnelle photo avec le pape, celui-ci a fait asseoir le couple à ses côtés. Et eux de raconter leur histoire. Huit ans plus tôt, ils venaient de se marier civilement et la date du mariage religieux était fixée lorsque, patatras, l’église où ils devaient s’unir devant Dieu s’est écroulée du fait d’un tremblement de terre survenu le 27 février 2010. Il a fallu retarder. Beaucoup retarder. Ça a même fini par ressembler à une annulation. Comme un vol qui finit par ne pas partir – dans l’aviation, ça les connaît…
 

 

Un mariage en plein vol… dont on peine à croire qu’il fut spontané

 
Entre-temps, en tout cas, ces deux catholiques mariés civilement et donc pas mariés du tout ont eu deux enfants. Lorsque le pape leur a proposé le mariage – en un claquement de doigts, ponctue Ciuffardi – ils ont été abasourdis. Le pape avait-il été mis au courant de leur situation matrimoniale : Le couple n’en sait rien mais ce n’est pas exclu. La spontanéité est moins certaine qu’il n’y paraît… Quoi qu’il en soit, le pape leur a demandé avec un sourire, avant de les « déclarer mari et femme », s’ils étaient « vraiment sûrs », rapporte La Stampa.
 
Par ailleurs la vidéo tournée juste après la cérémonie montre Carlos brandissant une boîte qui a manifestement contenu des alliances neuves. Le pape, qui venait d’expliquer avoir fait ce geste pour encourager d’autres couples avoir recours au mariage sacramentel, « le sacrement qui fait le plus défaut dans le monde », leur a dit de porter ces anneaux de manière « équilibrée » : « Pas trop serrés pour que ce ne soit pas une torture, pas trop lâches pour éviter qu’ils ne tombent », a expliqué le jeune mari.
 
Qu’en est-il de la validité de ce sacrement : Bien sûr, le pape a juridiction universelle. Il a pris soin d’appeler un témoin, ce qui canoniquement ne suffit pas, et d’ailleurs deux personnes ont signé un registre impromptu à ce titre, ce qui veut dire que l’une d’entre elles ne savait pas au moment du mariage quel était son rôle.
 

Le pape François célèbre un mariage à 36.000 pieds

 
Le porte-parole du Vatican, Greg Burke, s’est dépêché d’affirmer que canoniquement, tout était en règle. Pour le canoniste Edward Peters, c’est aller un peu vite, d’autant que le journaliste n’a pas de compétence particulière dans ce domaine. Au risque de passer pour le rabat-joie de service, Peters se pose sérieusement la question et explique que la cérémonie du mariage ne consiste pas à demander un couple s’ils veulent être mariés, mais repose sur un consentement « ici et maintenant » par lequel chacun dit se marier avec l’autre en le prenant pour époux. Si l’on s’en tient aux comptes-rendus qui ont paru dans la presse, le pape se serait contenté de demander au couple s’ils voulaient être mariés, joignant ensuite leurs mains pour les prononcer mari et femme. Y a-t-il eu échange de consentements par les parties : Il serait bon d’avoir des précisions… Car sans cela, il n’y a pas de mariage.
 
Puis se pose la question des témoins : pour qu’un mariage respecte la forme canonique, rappelle Peters, il faut cinq personnes immédiatement présentes, « agissant ensemble et en même temps » : la mariée, le marié, l’officiant et deux autres témoins effectifs. Il est possible que cette condition ait bien été remplie, mais les choses ne sont pas claires.
 
Cependant, reste la question de la licéité : canoniquement, plusieurs choses sont exigées. Cela va de la préparation pastorale, la vérification que les intéressés ont été confirmés, l’exhortation à la réception du sacrement de pénitence et de l’eucharistie avant le mariage, la vérification de l’absence d’obstacle à la validité ou à la licéité, la vérification du consentement libre, ce qui suppose, par exemple, de savoir si l’un ou l’autre était engagé dans le mariage. C’est à cela que sert la publication des bans…
 

Le pape François régularise une situation vieille de 8 ans : les retards dont proverbiaux dans l’aviation…

 
On dira que les deux membres d’équipage étaient sur le point de se marier religieusement en 2010. Mais à ce propos, et à moins qu’une enquête n’ait été engagée préalablement dans une affaire finalement très, très préparée par le Vatican en vue d’une opération de « com », on n’a que la parole des intéressés. Prise au vol, c’est le cas de le dire.
 
Par ailleurs, et de manière ordinaire, les catholiques sont invités à se marier dans une église paroissiale et en ayant recours au trésor liturgique de l’Eglise pour la célébration du rite sacramentel.
 
Il est difficile de considérer les quelques secondes octroyées à ce couple, en plein boulot, dans une situation totalement baroque, sous l’effet d’une évidente pression psychologique créée par le côté exceptionnel des circonstances, comme un temps de préparation adéquat et propice au consentement qu’on pourrait appeler « éclairé », à l’heure où, selon l’avis du pape lui-même, « la moitié des mariages sacramentels sont nuls ». Etrange légèreté, alors que les exigences canoniques se révèlent au contraire insuffisantes dans nombre de cas.
 

Questions canoniques graves sur un mariage en plein vol

 
Ajoutons qu’en tant qu’ils sont deux baptisés (là encore, on le suppose !) mariés civilement et qu’ils cohabitaient, Paula Podest et Carlos Ciuffardi vivaient objectivement dans un état de péché grave. Objectivement, ce sont deux concubins se livrant à la fornication. L’Eglise comme le pape n’ont pas les moyens de savoir ce qu’il en est du for interne des deux membres du couple, mais sans en juger, ils sont précisément tenus de tenir compte de cette réalité objective. Et cela n’a pas été fait : pas même par le rappel qu’il serait urgent de régulariser une situation anormale du point de vue catholique ou de se séparer.
 
Mais il est vrai que le pape lui-même a déclaré en 2016 que certains couples baptisés qui cohabitent se trouvent au sein d’un « vrai mariage » : » Je suis sûr que c’est un vrai mariage, qu’ils ont la grâce d’un vrai mariage en raison de leur fidélité », disait-il. Sous cet éclairage, le mariage impromptu dans un avion s’explique mieux, ce qui ne veut pas dire qu’on puisse l’approuver.
 

Jeanne Smits

 
 

Dernière minute

– Dans un entretien accordé à emol.com, publié il y a un mois, Carlos Ciuffardi et Paula Podest rêvaient tout haut de pouvoir se marier sur le vol du pape François pour lequel ils avaient été désignés membres d’équipage, avec le pape lui-même comme officiant. Voilà pour la « surprise » affichée par les uns et les autres… « Fake news », donc : Fabrication, coup monté : En tout cas, il semble bien qu’on se soit moqué du public. De toute façon, rien de tout cela n’apporte une réponse aux questions canoniques posées par Ed Peters, et il les réitère ici.