Marie et la Rédemption
Méditation

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Le temps de Pâques est l’occasion de réfléchir sur le rôle de la Vierge Marie dans le Mystère de la Rédemption. En effet, Notre-Dame est, non seulement, Mère de Dieu, mais aussi Mère de l’Eglise, et si la première de ces deux réalités est explicite d’après les Evangiles, la seconde mérite des explications.
 
Saint Jean et saint Luc, en particulier, dans leurs écrits (évangiles, lettres et Apocalypse), serviront de guide. Ils font connaître et les actions de Marie – les « évangiles de l’enfance » de saint Luc – et sa nature profonde – dans l’Apocalypse au chapitre douze : « Il parut dans le ciel un grand signe : une femme revêtue du soleil, la lune sous les pieds et une couronne de douze étoiles sur la tête ».
 
La femme « couronnée d’étoiles et revêtue du soleil » est déjà signalée dans les prophéties d’Isaïe (ch. 60) et du Cantique des cantiques (6, 10) pour désigner l’Eglise de l’Ancien Testament, redoutable à ses ennemis. En ces temps-là, les combats ne manquaient pas contre le paganisme et les nations antiques (Cananéens, Philistins, Egyptiens, Perses, Babyloniens, Grecs) voulant l’extermination d’Israël. A chaque fois, l’Eglise des patriarches et de Moïse en ressortait vainqueur, même après de graves épreuves (schismes, exils, prise de Jérusalem, destruction du Temple …)
 
L’Apocalypse ajoute cependant une caractéristique à cette femme couronnée d’étoiles, caractéristique qui n’est pas dans l’Ancien Testament : Elle est dans les douleurs de l’enfantement et met au monde un enfant mâle, enjeu de la persécution horrible d’un dragon qui veut le dévorer. La femme doit s’enfuir au désert avec sa progéniture poursuivie par l’immonde bête. Les commentateurs sont partagés sur le sens à donner à cette vision : ils se divisent pour l’appliquer soit à la Vierge Marie, soit à l’Eglise du Nouveau Testament.
 
Evidemment, cette femme qui met au monde un homme est la réalisation du proto-évangile, la première prophétie faite par Dieu à Eve, où il est dit qu’une inimitié sera entre elle et sa descendance d’un coté, et le serpent avec les siens de l’autre (Genèse 3, 15). La Vierge Marie réalise effectivement cette figure en mettant Jésus au monde. Mais la naissance du Christ se fait sans douleur par privilège spécial. Il ne s’agit donc pas que de l’Incarnation dans ce passage de l’Apocalypse, mais de la naissance de l’Eglise entière qui se fait sur la croix et se poursuit à travers les siècles, jusqu’à la fin des temps, et ce dans la contradiction.
 
Dans cette configuration, Marie est bien affligée de peines immenses. D’abord au pied de la Croix où elle assiste et participe au sacrifice initial de son fils et, par conséquent, de l’Eglise. Réparant la désobéissance originelle d’Adam, la croix compense cette offense à Dieu par une « obéissance jusqu’à la mort » ; elle renoue l’amitié entre Dieu et les hommes, leur ouvre le ciel – c’est-à-dire la béatitude ou vision de Dieu face à face – et fonde la société des élus, l’Eglise qui est le Corps mystique dont le Christ est la tête. Ainsi, l’enfant mâle de l’Apocalypse, mis au monde dans les douleurs, est Jésus-Christ en tant que chef et fondateur de l’Eglise en Croix.
 
Mais la peine de Marie n’est pas terminée au Vendredi Saint. Elle accompagne l’Eglise nouvelle dans ses tribulations : il s’agit de l’exil au désert ; elle est poursuivie par le dragon qui n’a pas pu empêcher la fondation de cette Église, la grande rivale. « Il te mordra au talon » avait annoncé Yahvé à Eve (Genèse 3, 14).
 
Dans le paysage désolé du désert, signe des souffrances et incertitudes de ce temps, du nomadisme perpétuel d’ici-bas en attendant d’entrer dans le royaume des cieux, l’Eglise vit de l’Eucharistie, nourriture purement céleste : « Et la femme s’enfuit dans la solitude où elle avait un lieu préparé par Dieu et où ils [elle et son fils] furent nourris pendant 1 260 jours » (Apoc. 12, 6). Ce nombre de jours reprend celui de la persécution d’Antiochus Epiphane, considérée comme le prototype de toute persécution du peuple élu dans l’Histoire. Les chapitres 12 et 13 de l’Apocalypse exposent ce combat continuel de Satan contre l’Eglise.
 
En résumé, sous la même image de la femme couronnée d’étoiles, du prophète Isaïe comme de l’Apocalypse, persécutée avec sa descendance mais toujours victorieuse, l’Eglise de l’Ancien Testament se trouve identifiée à celle du Nouveau Testament. Mais aussi, avec Notre Dame.
 
Car il est bien certain que la Sainte Vierge est à la fois Mère de Dieu (à l’Annonciation) et Mère des élus (à la croix où Jésus la constitue comme telle, « Voici ton fils » en désignant Jean) et que dans ces deux événements clefs de la Rédemption, Marie récapitule en elle toute l’Eglise.
 
Elle est l’Eglise à Nazareth où elle donne le Fiat libérateur et représente non seulement tous ceux qui y consentiront dans la suite des temps (et celui qui refuse de confesser Jésus-Christ est « Antichrist », dit saint Jean en sa première épître), mais aussi inclue en elle-même Jésus-Christ leur chef, conçu en son sein.
 
Elle est l’Eglise aussi à la Croix où elle seule garde la foi en Jésus Sauveur du monde, alors que tous sont dans l’incompréhension et dans le scandale, et elle offre le sacrifice qui se déroule sous ses yeux, s’affichant pour toujours comme la médiatrice nécessaire de toutes les grâces. Alors mérite-t-elle dans la lettre ce nom de Kékaritôménè, « comblée de la grâce divine », que lui donna l’ange de l’Annonciation : pleine de grâces non seulement en elle-même (Immaculée), mais aussi en tant qu’elle en est la source (Médiatrice de toutes grâces) pour l’Eglise.
 
En cela, la Vierge Marie s’est offerte aussi à la Croix, dans l’imitation de son Fils. Non seulement elle a permis le sacrifice de Dieu, à l’Incarnation, en lui donnant un corps humain capable de souffrances et de mort, mais aussi elle a uni son âme au sacrifice de la Croix vérifiant la prophétie de Siméon : « Un glaive transpercera votre âme ».
 
Cette double fonction de Marie – concevant et sacrifiant son fils – se poursuit pour chacun des élus jusqu’à la fin des temps : transmettant la grâce de la conversion (baptême), elle fait naître les âmes dans l’Eglise, puis elle les assiste dans leurs épreuves. Elle est au désert avec eux pour les mener aux sources de la vie éternelle.