Une véritable « expropriation » : c’est ainsi que Mg Giampaolo Crepaldi, de l’Institut Cardinal Van Thuan – ce prélat qui a payé dans sa chair sa résistance au communisme, lui qui fut incarcéré par le régime vietnamien de 1975 à 1988 – accuse la mainmise actuelle des démocraties occidentales d’un totalitarisme aussi tyrannique que celui des pays ouvertement dictatoriaux. Nous vous proposons ici la traduction de sa réflexion initialement publiée sur le site de l’Observatoire international Cardinal Van Thuan. Un texte à méditer… J.S.
La mainmise de l’Etat sur les enfants : un nouveau totalitarisme
A qui sont les enfants ? Les enfants ne sont à personne puisqu’ils sont à Dieu. Il fut un temps où l’idée que l’enfant était un don était ancrée dans le cœur et dans l’esprit de tous, et pas seulement des mères. Un don qui vient de Dieu et qu’il est nécessaire d’éduquer pour qu’il retourne à Lui. On sentait que la procréation appartenait à un cycle de signification qui arrachait l’enfant aux mains de quelque pouvoir terrestre que ce soit, parce qu’il était « au Seigneur ».
Ce sens commun est encore bien vivant chez beaucoup de parents, mais toujours moins en raison de la rationalisation technique et politique qui a assumé également cette forme de domination : la domination sur les fils et les filles. Les utopies politiques sont celles qui ont produit, au cours des siècles passés, des exceptions graves à l’idée que les enfants appartiennent au Seigneur, à commencer par l’ancienne utopie de Platon selon laquelle les enfants nouveau-nés devaient passer immédiatement sous la protection de l’Etat, qui se chargerait de les élever dans des structures publiques afin qu’ainsi, chaque citoyen, voyant les jeunes dans les rues et sur les places, puisse dire : « Cela pourrait être mon fils ». La négation de la famille était nécessaire pour créer une communauté politique d’égaux ayant de solides liens réciproques. On croyait que si les enfants restaient avec leur géniteur, l’unité interne de la communauté deviendrait plus fragile et fragmentée. Cette idée s’est prolongée au cours de l’histoire et passe par la communion des femmes dans les phalanstères du nouveau monde de Fourier, les indications du manifeste de Marx, pour arriver aux Etats totalitaires de la fin du siècle dernier.
L’idéal utopique de citoyens orphelins, afin que chacun puisse se sentir davantage cellule de l’organisme étatique, s’est consolidé progressivement avec la formation de l’Etat moderne, qui concentre en lui-même l’instruction et l’éducation, qui centralise la santé et la prise en charge de la petite enfance, qui affaiblit les formes familiales de la solidarité et se substitue, toujours plus, aux géniteurs et à la famille. Tout cela dans le but de faire du tort à l’Eglise et à la religion de référence des familles, qui confiait aux mères l’éducation, y compris religieuse, des enfants, et enseignait une procréation qui ne trouvait sa place humaine spécifique qu’au sein du mariage.
Mgr Giampoli Crepaldi : « L’Etat se substitue aux parents pour déséduquer »
L’Eglise, avec sa doctrine sociale, a toujours enseigné que les enfants sont aux parents parce que c’était la seule façon pour qu’ils soient à Dieu. Elle a toujours enseigné que de même que le lieu humain de la procréation est le couple d’époux, le lieu humain de l’éducation est la famille. L’éducation est, de fait, une continuation et un accomplissement de la procréation et elle revient dès l’origine aux parents. Disant cela, l’Eglise savait qu’elle énonçait un principe évident de la loi morale naturelle, mais elle savait aussi que c’est seulement de cette manière que les enfants peuvent être éduqués à la piété chrétienne, recevoir les rudiments du catéchisme, apprendre la prière à l’ange gardien. C’est à travers les parents, et non l’Etat, que l’Eglise pouvait faire que les enfants connaissent Jésus-Christ. C’est le revers positif de la médaille : l’Etat se substitue aux parents pour déséduquer les futurs citoyens en ce qui concerne l’Evangile ; l’Eglise s’allie avec les parents, contre l’Etat, pour éduquer les futurs citoyens selon l’Evangile.
C’était une véritable lutte que l’Eglise ne semble désormais plus vouloir mener. Aujourd’hui, pas moins que dans la République de Platon, les enfants paraissent appartenir à l’Etat, qui les prend en charge dans ses propres structures depuis le jardin d’enfants, les forme selon ses propres programmes, et, comme l’Eglise le craignait à raison, les éloigne systématiquement de Jésus-Christ, en parlant mal de Lui ou en n’en parlant pas du tout. L’Eglise ne proteste plus contre cela et elle ne s’engage pas en faveur de formes d’éducation alternative – comme les écoles de parents – qui seraient les seuls moyens pour qu’elle, l’Eglise, recommence à éduquer les enfants à travers la réappropriation de la fonction éducative par les parents. L’école parentale n’est pas seulement l’école des pères et des mères : c’est aussi l’école de l’Eglise à travers les parents. Ce serait une manière de revenir au principe selon lequel les enfants sont à Dieu, et non au ministère de l’éducation.
De ce point de vue, les démocraties occidentales ne se distinguent pas des régimes totalitaires. L’enfant est introduit dans le « système » : il est éduqué par des professeurs – fonctionnaires de l’Etat, uniformément instruit par l’université publique et les cours de formation ministériels ; il est précocement « psychologisé » par des fonctionnaires de l’Etat, présents déjà dans toutes les écoles ; il est précocement sexualisé par des fonctionnaires de l’Etat à travers des projets du curriculum auxquels il est impossible de se soustraire ; en ce qui concerne sa santé, il est examiné dès qu’il se trouve dans le ventre maternel, et il peut être éventuellement avorté par des fonctionnaires de l’Etat ; on l’envoie faire un Erasmus dans n’importe quel autre pays où il apprendra des styles de vie et des valeurs standardisées par des fonctionnaires de cet Etat-non Etat qu’est l’Union européenne ; pendant son parcours scolaire, on lui enseignera l’utilisation de la contraception, y compris la contraception d’« urgence », et la fécondation artificielle pour que, à son tour, il puisse créer d’autres enfants orphelins de l’Etat.
Mgr Giampoli Crepaldi de l’Institut Cardinal Van Thuan dénonce le totalitarisme
Le problème, c’est que les démocraties font tout cela sans que cela se voie. L’éducation d’Etat parle d’inclusion quand elle veut dire uniformité ; de tolérance quand elle veut dire immoralité ; d’égalité des chances quand elle veut dire indifférentisme sexuel ; liberté de choix quand elle veut parler de sexualisation forcée dès le jardin d’enfants, conformément aux directives émanant d’un quelconque bureau de fonctionnaires de l’Etat uniformisés selon la pensée unique dominante. De cette façon on met à l’écart les géniteurs, qui en arrivent à s’en réjouir. L’Eglise aussi reste à l’écart et l’enfant est déformé avant même d’entendre le mot « Dieu » pour la première fois, si tant est qu’il l’entende.
Les enfants sont à Diei, pensait-on jadis. C’était la reconnaissance du caractère absolu de sa valeur qui se fondait sur la gratuité du don. Seules les choses qu’on n’achète pas ont véritablement une valeur. La procréation doit être un acte gratuit parce qu’ainsi, on peut penser à la vie nouvelle comme à un don gratuit. Humanae vitae de Paul VI le savait bien, qui précisément fondait sur une procréation véritablement humaine non seulement la moralité de l’acte conjugal, mais la moralité de toute la société. S’il n’y a pas de gratuité dans l’acte initial de la vie, comment pourrait-il y avoir de gratuité dans les autres et subséquentes relations sociales ?
Effectivement, depuis la contraception, il y a eu une dégradation progressive de la perception publique de la dignité de l’enfant. Les enfants sont conçus en laboratoire, fabriqués à partir d’embryons décongelés ; ils sont confiés à des couples homosexuels pour l’accueil ou l’adoption ; ils sont divisés, véritables objets de dispute de la part de géniteurs divorcés ; ils sont achetés, vendus et font l’objet de contrats dans l’abominable pratique des ventres à louer ; ils font l’objet d’interventions de la santé publique par rapport à des symptômes de « dysphorie de genre » ; ils sont transformés en objets cliniques ou thérapeutiques dès le premier symptôme de légère dyslexie ou d’hyper-kinésie ; ils sont livrés au système du spectacle et de la publicité depuis la petite enfance et les parents les voient le matin, pour ne les revoir qu’en fin d’après-midi ou la nuit.
Mgr Giampoli Crepaldi : « Le droit de l’enfant de grandir sous le cœur de sa mère »
L’Eglise a toujours enseigné et défendu le droit de l’enfant de grandir sous le cœur de sa mère, et avant, même, son droit d’être conçu de manière humaine sous les cœurs de ses parents. Lorsque l’Eglise disait que la famille est une société petite, mais véritable, ou lorsqu’elle invoquait le respect de la subsidiarité, elle le faisait en regardant vers les enfants, dans l’intention de les soustraire au Léviathan qui voulait se les approprier.
Platon désirait une forte cohésion interne entre les citoyens et c’est pour ce motif que l’Etat qu’il avait pensé enlevait les enfants aux parents dès la naissance. Néanmoins, ce qu’il imagina était clairement une utopie. Mais plus tard, les systèmes politiques de la communauté de femmes, de la planification centralisée de la procréation, de l’eugénisme d’Etat, du genre enseigné dans toutes les écoles, n’ont pas produit, et ne produisent pas de cohésion sociale ; bien plutôt, ils font de nos enfants, lorsqu’ils deviennent adultes, des individus faibles, isolés et envahis par la peur. Exproprier les enfants les réduit à l’état de choses.
+ Giampaolo Crepaldi, archevêque de Trieste
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