Javier Milei élu président d’Argentine : un homme libre de la trempe de Bolsonaro et de Trump

Milei président Argentine libre
 

On ne donnait pas cher des chances de celui que la gauche appelle « l’anarcho-capitaliste » vainqueur du deuxième tour de l’élection présidentielle en Argentine : Javier Milei traînait à 7 points derrière son adversaire péroniste, Sergio Massa, actuel ministre de l’économie, et la flamboyance parfois douteuse du personnage aurait pu rebuter l’électorat. C’est finalement avec une belle avance – 55,69 % des suffrages, et un taux de participation honorable de 76,3 sur plus de 99 % des votes dépouillés. Il est vrai que la candidate de droite Patricia Bullrich, arrivée troisième au premier tour avec 24 % des voix, a apporté son entier soutien à son adversaire « ultra-libéral » dans de brefs délais, et que le report de voix a fonctionné à merveille.

Même si Mme Bullrich avait mené une campagne énergique contre le sémillant Milei, elle avait des raisons fortes de choisir son camp : la victoire de cet homme qui se définit comme « anti-système » est avant tout personnelle, puisque sa formation « La Libertad avanza » ne bénéficie pour l’heure que de peu d’appui au Sénat et à la Chambre, et qu’il va devoir manœuvrer avec la droite conservatrice pour imposer les réformes qu’il a promises.

 

Milei, élu président de l’Argentine avec une majorité inédite depuis 1983

Reste qu’il a été élu avec la plus forte majorité depuis la réintroduction de la démocratie en Argentine. « Il a réussi à s’emparer de la fatigue de ceux qui sont en haut, de ceux qui sont en bas, de ceux qui sont au milieu, des jeunes, des adultes : la lassitude de tout le monde », a déclaré à BBC Mundo Juan Carlos de Pablo, économiste à l’université de San Andrés et ami de Milei depuis plus de 30 ans.

Lassitude face à l’inflation, qui tourne aujourd’hui autour des 140 % par an, conscience de l’impasse où le socialiste Alberto Fernandez, président sortant, menait le pays : la banque centrale a répondu à la crise en faisant fonctionner la planche à billets, et l’Argentine, avec ses ressources immenses, jadis une des plus grandes économies au monde, est au bord de la banqueroute.

Aussi Javier Milei a-t-il une batterie de mesures en réserve, pour autant que ses jeux d’alliances permettront de les mettre en œuvre pour mettre fin à « cent ans de décadence » : l’idée est de faire « payer la classe politique » plutôt que de faire « payer le peuple comme jusqu’à présent ». Première mesure annoncée : « fermer la Banque centrale, c’est une obligation morale ». Il veut aussi « dollariser » la monnaie justement pour prendre la Banque centrale de haut : « Nous proposons que la monnaie soit celle élue par les individus. » Liberté des prix pour qu’ils reflètent le marché, liberté des loyers négociés de gré à gré complètent le tableau.

Au chapitre des privatisations, il ne touchera pas à l’Education ni à la Santé qui sont de la responsabilité des provinces, mais les médias publics seront dénationalisés, a-t-il promis. La baisse des impôts est sur les tablettes mais il reste à nommer le responsable chargé de mettre de l’ordre dans le fisc argentin.

 

Milei annonce « la fin de la décadence » pour l’Argentine

« Aujourd’hui commence la fin de la décadence » et s’annonce « la reconstruction de l’Argentine », a lancé Milei lors de son discours de victoire : « Aujourd’hui, nous adoptons le modèle de la liberté, pour redevenir une puissance mondiale. »

Y parviendra-t-il ? Déjà, Javier Milei concentre l’hostilité internationale, la même qui avait visé Trump et Bolsonaro jugés d’« extrême droite ».

Parmi ses promesses électorales, la suppression de la Banque centrale, symbolisée, comme celle d’un secteur public hypertrophié, par les multiples apparitions de Milei muni d’une tronçonneuse, la libéralisation des ventes d’armes, la volonté de rompre les relations diplomatiques avec la Chine et le Brésil qui sont pourtant aujourd’hui parmi les plus importants partenaires commerciaux de l’Argentine, la réduction drastiques des dépenses publiques (et donc du socialisme) ne lui assurent guère la sympathie des mondialistes de tout poil.

Ajoutez à cela son « climato-scepticisme », sa volonté de réduire la taxation du soja et sa promesse de sortir du Mercosur (avec lequel Bruxelles doit ou devait signer quatre jour avant l’entrée en fonctions de Milei le 10 décembre), et des menaces sur la vente de lithium à la Chine qui représentent aujourd’hui près de 40 % des exportations argentines dans le domaine, on comprend que le nouveau président argentin n’est pas vraiment conforme aux rêves de l’ONU ou du Forum économique mondial.

Et ce même si, en 2014, Milei avait participé à un colloque du World Economic Forum sur l’investissement dans le capital humain en Amérique latine…

 

Pour l’Argentine libre, contre le socialisme et le communisme

Milei déteste le « socialisme et le communisme », et c’est pour cette raison qu’il s’est permis de lancer des propos insultants au sujet de son compatriote et ancien cardinal de Buenos Aires, le pape François, qu’il accuse d’apporter son soutien au communisme. Certains ont cru que cela découragerait les Argentins, majoritairement catholiques, de voter pour Milei, mais il n’en a rien été.

Aujourd’hui les prêtres adeptes de la théologie de la libération ou du peuple sont effondrés : il en va ainsi du Padre Paco, membre d’un groupe « progressif », « Curas en opción para los pobres », qui a réagi quelques heures après l’élection : « Je suis sur le point d’envoyer un message aux personnes que nous aidons. Ceux qui ont voté pour Milei, soyez cohérents et ne venez plus au réfectoire. Il n’y aura pas à manger pour tout le monde. »

Mais dans le même temps, Milei se distingue par la force de son discours pro-vie : il est radicalement opposé à l’avortement (sauf en cas de danger pour la vie de la mère) qu’il juge « moralement indéfendable », et à l’euthanasie, ce qui ne fait pas exactement de lui un libertarien. En revanche, il serait ouvert à la mise en place du marché des organes au nom de l’« autonomie personnelle », ce qui ne manque pas d’un certain humour noir face aux partisans de l’avortement libre, puisqu’il l’a annoncé en faisant un parallèle avec le « droit des femmes de disposer de leurs corps ». Allez savoir…

 

Milei, champion de la liberté, mais pas de l’avortement

Mais nul doute que son intention de détricoter la loi de légalisation de l’avortement imposée par Alberto Fernandez ne lui vaille encore davantage d’animosité de la part des leaders mondiaux… En même temps, il est partisan de la liberté en matière de drogues, de mariage, de « préférence sexuelle » et d’« identité de genre », tout en dénonçant le « lavage de cerveau » que constitue l’éducation sexuelle à l’école. Cerise sur le gâteau, il n’a pas caché son scepticisme à l’égard du vaccin covid.

Le portrait personnel de Milei est déroutant pour le moins. Jadis footballeur semi-professionnel, il a été musicien rock, gourou de « sexe tantrique », économiste auteur de plusieurs ouvrages dans le sillage de l’école autrichienne, fréquent commentateur économique à la télévision. Il a un lien quasi-mystique avec ses cinq chiens Mastiff anglais, clones de son chien Conan mort en 2017 : ils sont supposés lui insuffler des conseils politiques, économiques, et la vision de l’avenir.

Voilà de sérieux bémols concernant le profil de cet homme hors normes, mais ils n’ont pas suffi à convaincre plus de 55 % des électeurs argentins qu’il ne pouvait pas être la réponse à leurs problèmes.

Qu’en pense la Russie ? La version hispanophone de RT.com proposait le 15 novembre un éditorial où il était présenté comme un adversaire du monde « multipolaire » qu’affirment promouvoir la Russie et la Chine, bénéficiant de l’alliance des droits conservatrices internationales, voire de leur financement, pour le protéger face à « l’ingérence contraire des pays qui transitent vers une nouvelle souveraineté multilatérale ».

C’est toujours intéressant de le savoir…

 

Anne Dolhein