La minorité catholique Irob, en Ethiopie, est menacée d’extinction

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Trois ans et demi que la guerre la ravage : la communauté catholique Irob, en plein centre des combats, est aujourd’hui menacée d’extinction. Basée dans la région du nord du Tigré, à la jonction de l’Ethiopie et de l’Erythrée, cette très ancienne minorité a subi entre 2020 et 2022, dans une grande ignorance médiatique, un nettoyage ethnique méthodique, entre exactions, viols, dépouillements, assassinats. A l’heure d’aujourd’hui de nouveaux conflits internes avec des milices locales ajoutent à la misère de ces catholiques, en proie à des déplacements à l’intérieur du pays et à la famine : on ne sait pas combien il reste de ceux qu’on dénombrait à 50.000, à la fin des années 1990.

 

Les Irob : un « nettoyage ethnique incessant », « fermement nié » par l’Ethiopie

En revanche, on connaît les mots de l’évêque catholique d’Adigrat, Mgr Tesfaselassie Medhin, dans une lettre datée du 15 avril envoyée pour la fête de Pâques. Il y évoque, dans tout le Tigré, « des souffrances indescriptibles, des inégalités, des difficultés et des morts dues à deux années de conflit, de sécheresse et de manque d’attention aux besoins essentiels », en soulignant particulièrement « les communautés marginalisées des Irob avec leurs souffrances inimaginables ».

« Nous sommes victimes d’un nettoyage ethnique », a déclaré la directrice de l’association de la société civile Irob Anina. « Nos maisons ont été pillées, ceux qui s’opposent disparaissent et on n’entend plus parler d’eux. Les autorités érythréennes rassemblent les habitants des villes et villages et leur disent que soit ils acceptent de changer de nationalité… soit ils doivent partir. Mais c’est notre terre. »

Dans toute la région du Tigré, la famine est « extrême » selon Jan Nyssen, professeur belge spécialiste de l’Ethiopie. Elle l’est encore plus à Irob où la géographie difficile de cette région rurale montagneuse rend encore plus délicate l’agriculture. Mais la grande majorité d’entre eux ont été dépouillés, déplacés.

Ils étaient pourtant là depuis des siècles, parlant une langue afro-asiatique (le Saho) différente du reste de la population environnante qui appartient plutôt à l’Eglise orthodoxe éthiopienne, et affichant une identité culturelle unique. Une fraction, somme toute de la petite proportion de catholiques évoquées à 1,2 million de personnes en Ethiopie. Mais une fraction très fidèle, à l’avenir désormais incertain.

 

Deux années de guerre civile qui ont fait au moins 600.000 morts

On disait l’Ethiopie facteur de stabilité régionale au milieu de pays en guerre ou en crise : les deux Soudan à l’Ouest, l’Erythrée au Nord et la Somalie au Sud-Est. La situation n’aura pas duré. Aujourd’hui, au lieu d’accueillir des réfugiés, elle en crée. Comme le rapportait le quotidien italien Avvenire, la tragédie de la communauté Irob s’inscrit dans le contexte d’une tragédie plus vaste dont fut et est toujours victime la région du Tigré.

A la fin de l’année 2020, le Front populaire de libération du Tigré (TPLF), groupe paramilitaire de gauche qui avait dirigé le gouvernement de coalition éthiopien de 1991 à 2019 avant d’en être éjecté, a lancé des attaques contre des bases militaires fédérales, déclenchant une guerre avec les Forces de défense nationale éthiopiennes (ENDF) du gouvernement.

Un très violent conflit civil s’est abattu sur les populations. Deux ans plus tard, dans un appel du 6 avril à la communauté internationale, Mgr Tesfasellassie Medhin évoquait « les massacres génocidaires de civils, les viols généralisés et les violences liées au genre, les pillages et incendies de propriétés, d’habitations, la destruction de lieux de culte (églises, mosquées), d’installations économiques, d’établissements de santé, d’écoles, de musées »… Les frontières inter-régionales autour d’Irob ont été fermées, séparant les familles et empêchant l’aide humanitaire d’entrer. Et les villages ont été minés pour les empêcher de se réinstaller, obligeant ceux qui en avaient la force à fuir dans les montagnes. « Le Tigré est vraiment en enfer », avait confié un prêtre catholique à Edward Pentin du National Catholic Register, en avril 2022.

 

Une minorité catholique qui risque de s’étioler

Et ce l’était d’autant plus qu’il lui fallait subir une troisième force militaire, à savoir l’armée érythréenne qui profita de la situation pour épauler les forces fédérales éthiopiennes et ravager en fin de compte cette région d’Irob qu’elle a toujours estimé lui appartenir. Aujourd’hui encore elle occupe le terrain, forçant l’assimilation en délivrant des cartes d’identité et en enrôlant des civils. Et d’autres milices régionales du Tigré ont pris le relais contre l’armée éthiopienne, refusant de faire profil bas (on le voit même en Europe). L’évêque catholique, dans sa lettre de Pâques, appelle à « faire taire les armes ».

Lorsque la guerre a officiellement pris fin en novembre 2022, toute la région était dévastée. Au total, 600.000 personnes avaient été tuées, au moins 2 millions avaient été déplacées et 2,3 millions avaient besoin d’une aide humanitaire. Mais à l’heure actuelle, la misère s’étend. On estime que la reconstruction de la région du Tigré coûtera environ 20 milliards de dollars.

Symbole éminent, la principale école catholique du Tigré, autrefois un phare pour les universitaires dans tout le pays, peine à retrouver son ancienne notoriété. Fondée par les missionnaires en 1845, elle offrit un enseignement de qualité, via l’enseignement du latin, du français, de la philosophie et de la théologie. Tous ses diplômés ont joué un rôle important dans la modernisation de l’Ethiopie dans divers domaines. Il lui est aujourd’hui difficile de recruter des enseignants étrangers qualifiés.

 

Clémentine Jallais