« La communauté islamique aux Pays-Bas est en pleine croissance et y comptera autant de membres que la communauté protestante d’ici à 2050. » Il ne s’agit pas de quelque phrase ramasse-clics sur les réseaux sociaux, mais de la déclaration très réfléchie de Jan Latten, ancien démographe en chef du Bureau central de la statistique néerlandais, dans une tribune publiée le 23 avril par le quotidien chrétien Nederlands Dagblad. Il prévoit que le nombre de musulmans aura atteint les quatre millions au milieu de ce siècle, soit quatre fois plus qu’aujourd’hui (aux termes des statistiques officielles dans ce pays qui compte actuellement un peu plus de 18 millions d’habitants).
Selon le démographe, le processus de sécularisation au Pays-Bas marque aujourd’hui un « arrêt », et ce sont les musulmans qui sortiront en quelque sorte gagnants, notamment quand à leur proportion par rapport à la population totale, à l’heure où le nombre des catholiques, lui, décroît.
Le nouveau visage des Pays-Bas en 2050
Un grand nombre de Néerlandais ne sont plus du tout croyants : « En 2024, 56 % d’entre eux se déclarent sans attache religieuse selon le CBS », souligne Latten, rappelant qu’en 1900 la quasi-totalité de la population se déclarait soit catholique soit protestante. « Les Pays-Bas ont changé : ce pays qui construisait alors des églises est devenu un pays où on ferme les églises », et ce depuis les années 1970 surtout où « l’influence de la religion dans le quotidien a fortement diminué ». Les normes religieuses ont été largement remplacées par « l’autonomie personnelle », alors que des comportements jadis jugés « peccamineux » sont devenus « normaux », et expriment des choix personnels.
Mais la tendance change, selon Jan Latten. En 2023, 58 % des Néerlandais se déclaraient sans attache religieuse ; 2024 marque ainsi un tournant. « Les fêtes chrétiennes continuent d’être massivement fêtées », mais encore les questions de foi sont au cœur du « débat sociétal », souligne-t-il, « en raison des frictions entre les expressions religieuses et les normes laïques ».
« Pensez aux débats sur la présence de policiers en uniforme lors de rassemblements religieux, au renforcement des appels à la prière dans les quartiers résidentiels ou au souhait de fonctionnaires de porter des vêtements religieux dans l’exercice de leurs fonctions. Ces questions suscitent des tensions sociales et politiques entre les partisans et les opposants à l’expression religieuse dans la sphère publique », écrit Latten, avec des accents qui renvoient assez nettement à l’islam.
« L’orthodoxie croissante » des jeunes protestants et musulmans
Il en convient d’ailleurs : « Ces tensions reflètent les changements dans le paysage religieux. L’arrivée de nouvelles communautés religieuses, notamment issues de pays musulmans, joue un rôle important à cet égard. Cependant, on observe également des signes d’orthodoxie croissante parmi les croyants des communautés traditionnelles. »
Et il souligne que les chiffres bruts sur la proportion de non-croyants ne rendent pas compte des changements démographiques qui tiennent en deux mots : « vieillissement » et « migrations ». « Parmi les personnes âgées de plus de 75 ans, 57 % se considèrent comme protestantes ou catholiques, tandis que seulement 1 % se déclarent musulmanes. Chez les 15-18 ans, la situation est différente : le pourcentage de musulmans, qui s’élève à 14 %, est équivalent à celui des protestants et deux fois plus élevé que celui des catholiques », note le démographe.
Le nombre de catholiques semble s’être effondré de la manière la plus spectaculaire, et ceux qui restent tendent à faire partie d’une partie de la population qui est en train de mourir. « Dans le même temps, par le jeu de l’immigration, une génération de jeunes qui adhère à une autre religion est en train de prendre de l’importance », observe Jan Latten.
Mais ce n’est pas tout : « La communauté islamique aux Pays-Bas est actuellement estimée à environ un million de croyants et devrait continuer à croître au cours des prochaines décennies. D’ici au milieu du siècle, près de deux millions d’immigrants sont attendus, dont une partie viendra renforcer la communauté islamique. »
Toujours plus de musulmans aux Pays-Bas en 2050, par naissance ou par immigration
Autrement dit, les autorités néerlandaises accueilleront de plus en plus de migrants sans se soucier des différences culturelles : sous ce rapport, rien ne changera par rapport à la politique de ces dernières 50 années.
Mais Jan Latten souligne aussi que les jeunes d’aujourd’hui se révèlent plus conservateur que leurs aînés. Parmi les 15-18 ans, le nombre de ceux qui s’affichent protestants est passé de 8 % en 2023 à 14 % 2024, et ils sont plus nombreux à ne pas adhérer au discours sur les droits transgenres ou sur l’adoption par les couples homosexuels.
Quant aux jeunes musulmans, ajoute le démographe, ils se montrent eux aussi plus « orthodoxes » : « Chez eux, la séparation culturelle joue un rôle important » – elle joue un rôle de marqueur identitaire et mène à une « auto-ségrégation » par l’habillement, l’école, les sites de rencontres…
Ces modifications sociétales pourraient faire un surgir la notion de comportements peccamineux (« rapports sexuels avant le mariage, nudité féminine, homosexualité », détaille Latten) dans une population où le nombre de musulmans devrait, si toutes les tendances actuelles sont maintenues, atteindre 3 à 4 millions sur une population totale estimée à 20 millions d’individus en 2050.
« Déclin démographique de la population autochtone »
« En raison du déclin démographique de la population autochtone, la communauté catholique restera modeste, tandis que la communauté protestante pourrait représenter une taille égale à celle de la communauté musulmane. Si les signes d’orthodoxie croissante au sein de ces groupes se confirment, les “péchés” redeviendront une ligne directrice pour la vie d’un nombre croissant de personnes », constate enfin Jan Latten.
Il y voit un facteur de pression sur la « cohésion sociale » aux Pays-Bas où la majorité sécularisée serait obligée d’« affronter des groupes de plus en plus nombreux qui, en raison de leurs convictions religieuses, sont moins libéraux ».
On voit les limites de sa pensée. Il met dans le même sac les croyances et la morale du christianisme et de l’islam, sans jamais souligner la spécificité de ce dernier qui n’opère pas de distinction entre le spirituel et le temporel, sans percervoir non plus, apparemment, la différence entre une société chrétienne occidentale et une société islamique. Au-delà des chiffres, remarquables, il manque l’essentiel : la réflexion.