Narcissiques : à force d’autodiagnostics sur les réseaux sociaux, des enfants coupent avec leurs parents

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Un nombre croissant de jeunes se mettent à diagnostiquer leurs parents comme étant des « narcissiques », révèle The Telegraph. Et c’est à cause des réseaux sociaux. Manque de confiance en soi ? Déprime régulière ? Défiance d’autrui ? Regardez la façon dont vous ont traité votre père ou votre mère, et vous comprendrez enfin ! Ce sont en gros les messages de nombre d’influenceurs en ligne qui vous expliquent qu’il faut aller chercher les causes profondes et réelles de votre mal-être dans votre éducation. Et le problème, c’est que beaucoup de jeunes, loin de prendre toute la distance nécessaire, finissent par s’en persuader, et le résultat est bien souvent un éloignement radical, voire une rupture consommée.

Une fois de plus, on y lit les méfaits de la communication à outrance des uns, le plus souvent porteuse d’erreurs, et de la propension décuplée et naïve des autres à s’identifier. On y décèle aussi cette tendance de plus en plus importante dans notre société à trouver, coûte que coûte, un vrai-faux coupable à un état dont on ne devient plus vraiment responsable : de pseudo-victime, on devient vrai accusateur, et le monde entier se remplit de rapports de force dépourvus d’honnêteté, d’humilité et de charité – d’amour filial dans ce cas précis – sans qu’aucun problème ne soit résolu.

 

Les vrais narcissiques : entre 1 et 5 % de la population

Il n’est pas question de nier une quelconque réalité médicale, car il existe bel et bien ce qu’on appelle le trouble narcissique de la personnalité (TPN) qui est une maladie caractérisée par la mégalomanie, ou un sentiment de supériorité, un besoin d’admiration, un manque d’empathie et un sentiment d’être dans son bon droit. On en pose le diagnostic par un examen clinique. Or c’est justement tout ce que ne font pas les réseaux qui alimentent des autodiagnostics, sans intermédiaire médical, et perturbent les jeunes qui finissent par l’appliquer à leurs propres situations.

The Telegraph cite le cas de Charlotte (prénom inventé) qui avait donné un témoignage anonyme, deux ans auparavant. Elle a souffert, toute son enfance, d’un père profondément instable qui passait d’une humeur à l’autre, toujours en l’écrasant, qu’elle ait tort ou raison et pouvait aller, afin de garder la face, jusqu’au mensonge. Charlotte a grandi, comme sa mère a vécu, avec l’idée que, quelles que soient les preuves inverses, elle ne serait jamais douée pour rien.

C’est lorsqu’il a été hospitalisé pour une tentative de suicide que cet homme a été diagnostiqué comme souffrant d’un trouble narcissique de la personnalité (TPN). Charlotte avait alors 20 ans. Il a beau être aujourd’hui décédé, sa fille souffre toujours de cette influence après des années de thérapie.

Mais surtout, elle s’inquiète de la cohorte, aujourd’hui immense et désarmante, de ces jeunes adultes, voire de ces enfants qui jettent un regard critique sur leur propre enfance – ou sur leur relation actuelle avec un parent – et en concluent tout de go que leur parent est un narcissique.

 

Nombreux sont ceux qui dénoncent en ligne le narcissisme de leur père ou de leur mère

Il y a cette idée que désormais, dès qu’il y a une trace d’un comportement dit « toxique », il y a trouble fondamental avéré dont il faut se prémunir de manière radicale, sinon on va irrémédiablement en souffrir. Or, c’est un jugement subjectif. Pour identifier un vrai TPN, par exemple, il faut un diagnostic clinique complet.

Et pourtant, les réseaux et les forums regorgent de ces discussions où des jeunes et des moins jeunes collent des étiquettes, en particulier, à leurs parents. L’article du Telegraph évoquait un forum Reddit intitulé Raised by Narcissists (Elevés par des narcissiques) – un groupe de soutien « pour les enfants de parents abusifs » – qui compte près d’un million de membres… Les utilisateurs de TikTok peuvent également faire défiler des quantités de vidéos sur les parents « narcissiques », expliquant les tactiques, les signes et les comportements, souvent sous forme de listes.

Et ils y glissent tout ce qu’ils peuvent, jusqu’au plus improbable ! Une TikTokeuse évoque le mal causé par sa mère supposée « narcissique », parce qu’elle utilise des phrases telles que « attends que je le dise à ton père », ou « comment crois-tu que je me sente ? » Un autre stigmatise le père qui vous dit quoi faire « au lieu de demander ce qu’il veut ». « Vous n’êtes pas folle », dit à ses « suiveuses » la fille d’une mère « narcissique cachée »…

 

La caisse de résonance des réseaux sociaux pour la dénonciation… des autres

Pourtant, bien que les livres de développement personnel aient largement surfé sur le phénomène, comme Raised by Narcissists, cette démarche est largement simplificatrice : le tableau humain est foncièrement plus complexe.

Qu’en résultera-t-il ? D’abord, une moindre vision et perception des personnes souffrant réellement de ces troubles. Mais surtout, le risque d’une dénaturation, voire d’une rupture des liens familiaux. Il existe d’ailleurs tout un jargon dans ces communautés d’enfants de parents narcissiques ainsi qu’ils se jugent : NC signifie « no contact », VLC « very low contact »… On trouve en ligne nombre d’articles poussant à l’éloignement radical.

Nous faisons face, en réalité, à une autre technique d’abus mental, souvent inconsciente, qui consiste à faire de ses géniteurs les coupables idéaux et à jeter sur eux toute l’opprobre. Car, il est évident qu’un parent qui exerce son rôle de parent sans que son adolescent n’apprécie tellement la chose, n’est pas de la maltraitance narcissique. Tout comme une personne qui n’est pas d’accord avec vous n’est pas coupable de « gaslighting », mot très en vogue signifiant l’abus mental par le mensonge ou la déformation et l’enfumage.

Tout cela tient davantage du lynchage-délestage. On se demande d’ailleurs à ce stade qui est le plus narcissique, car il ne figure, dans cet « étiquetage » de l’autre, aucun retour critique sur soi-même. Le résultat en est que cette soi-disant prise de conscience ne résout rien !

 

Ces enfants et ces adultes qui accusent systématiquement leur famille

Il y a aussi, en toile de fond, une grande négation de l’âme humaine. Car, sans parler des cas strictement médicaux, nous sommes tous, à un instant T, « toxiques » pour employer ce vocabulaire, étant tous marqués du péché originel et chutant tous régulièrement dans notre rapport à l’autre – certains évidemment plus que d’autres, en fonction de leur bonne volonté.

Accuser autrui et en faire l’explication systématique de ses propres maux et de son propre état, jusqu’à en écarter sa propre responsabilité, relève d’un procédé malsain et faussé qu’on lisait déjà chez Rousseau et qui s’est développé dans toute la pensée progressiste.

Sous un jour un peu transformé, on la lit aussi aujourd’hui dans plusieurs processus de « thérapie » modernes, y compris dans le domaine psycho-spirituel, où l’on tente de « plus savoir » pour « mieux pardonner » (agapèthérapies). Les écueils y sont évidemment nombreux et les résultats pas vraiment concluants.

Le fait que tout cela implique le cadre familial est d’autant plus grave, car ce qui s’attaque à la famille participe souvent au combat contre Dieu.

 

Clémentine Jallais