Négociations du Brexit : l’UE retourne contre le Royaume-Uni le problème épineux de l’Irlande… qu’elle souhaiterait toute entière dans son giron

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Alors que les négociations du Brexit ont repris à Bruxelles le 9 novembre entre le Royaume-Uni et l’UE, pour l’établissement d’un accord de principe, avant l’ouverture des tractations commerciales, un document de la Commission européenne publié par The Telegraph révèle une pierre d’achoppement : l’Irlande, où devrait logiquement survenir une frontière extérieure physique pour séparer la République d’Irlande, membre de l’UE, et l’Irlande du Nord, engagée dans le Brexit avec le Royaume-Uni.
Les uns ne veulent pas retrouver de mur. Les autres refusent le vide. L’Europe y trouve, elle, une merveilleuse occasion de forcer la main anglaise sur un dossier aux enjeux économiques mais aussi politiques. Et comme l’a dit hier Michel Barnier, négociateur en chef de l’UE sur le Brexit, « le temps presse »…
 

Le document qui paralyse les négociations

 
Le dossier n’est pas nouveau, mais l’UE le réservait. Car les autorités britanniques attendaient avec impatience l’ouverture des négociations sur le commerce, prévue en décembre, et il se pourrait bien que ce nœud gordien les retarde, ou du moins, les « conditionne ».
 
Ce document de la Commission européenne divulgué par The Telegraph et sur lequel ni l’Irlande, ni l’UE n’ont voulu faire de commentaires, fait écho des demandes renforcées de la part de l’Eire sur la question de la frontière nord-irlandaise.
 
Intitulé « Dialogue sur l’Irlande / Irlande du Nord », il indique que pour préserver l’accord de paix du Vendredi Saint, maintenir la coopération Nord-Sud et l’économie de toute l’île, l’accord de divorce du Brexit doit respecter « l’intégrité du marché intérieur et l’union douanière » dont l’Irlande restera membre.
 
En bref, il est « essentiel » que le Royaume-Uni s’engage à éviter une frontière rigide, souvenir trop douloureux et aux conséquences économiques néfastes, en restant membre de l’Union douanière de l’UE et continue de respecter les « règles du marché intérieur et de l’union douanière ».
 
Ce que propose Dublin est pour Londres la quadrature du cercle : soit le Royaume-Uni accepte de demeurer dans ce qu’il a choisi de bannir, soit il laisse conférer à l’Irlande du Nord un statut spécial qui compromettra son intégrité territoriale.
 

L’Irlande réunifiée pour l’UE ?

 
Une vision évidemment soutenue par l’Union européenne qui, dans les deux cas proposés, voit ses propres intérêts qui ne sont pas moindres. Et, alors que les Britanniques évoquaient en août une simple frontière invisible qui utiliserait la technologie pour faire du commerce une « frontière sans friction et homogène », l’UE balaye cette idée jugée « légère » et fait du problème, via la République d’Irlande, une arme de choix : un préalable à toute tractation commerciale.
 
L’idée de réunification refait donc surface. Déjà, lors du sommet du 29 avril, les dirigeants de l’UE l’avaient évoquée, en parlant d’une adhésion automatique de l’Irlande du Nord à l’UE, une fois le Brexit finalisé, dans l’hypothèse où elle serait réunifiée avec la République d’Irlande, selon des sources européennes. Le tandem a des intérêts communs.
 
D’autant qu’il n’est pas question que de commerce : les unionistes irlandais, protestants, partisans du maintien dans le Royaume-Uni, considèrent qu’il s’agirait d’un premier pas vers la réunification de l’Irlande – ce que les Irlandais du Nord refusent à 63 %, mais que ceux du Sud souhaitent à 80 %…
 

La quadrature du cercle pour le Royaume-Uni

 
Le Royaume-Uni ne peut que s’empêtrer dans cette impasse, poursuivi par ses promesses, qui aux Britanniques, qui aux Irlandais…
Theresa May avait assuré, en juillet 2016, à Belfast, qu’elle ne voulait pas de retour aux « postes-frontières du passé » dans cette Irlande du Nord, « où il est impératif que le travail sur le processus de paix ne soit pas affecté de quelque manière que ce soit », tant d’un point de vue politique que d’un point de vue économique. Pour autant, la libre circulation entre les deux Irlande pourrait rapidement se révéler « intenable », la frontière irlandaise étant devenue une frontière de l’UE, avec tous les oukazes administratifs et financiers que cela impose.
 
De l’autre côté, le RU assure toujours vouloir quitter le marché unique et l’Union douanière. Et comme l’a affirmé aujourd’hui, vendredi, le ministre britannique chargé du Brexit, David Davis, cela ne peut pas, ne doit pas se conclure par « la création d’une nouvelle frontière à l’intérieur du Royaume-Uni », c’est-à-dire entre la province britannique d’Irlande du Nord et le reste du royaume…
 

Le Brexit sera durement payé

 
La solution à ce dossier impossible ? Comme le disait un porte-parole du gouvernement irlandais : « que le Royaume-Uni reste dans l’Union douanière et le marché unique. » Nous y voilà !
Il rajoute : « Mais en fin de compte, c’est une décision du Royaume-Uni ». Certes. Encore que cette décision soit fortement contrariée et gênée par d’autres. Ce n’est pour rien que l’Europe avait identifié le dossier de la frontière irlandaise comme l’un des trois sujets prioritaires pour la première phase des négociations en cours.
 
Comme quoi, il est facile de dire « oui » à l’Europe. Plus difficile de lui dire « non ». Encore bien plus de lui imposer l’une puis l’autre réponse…
 

Clémentine Jallais