Ce n’est pas un complot, puisque tout se passe au grand jour : une volonté existe de créer une gouvernance globale dont l’avènement sera facilité par l’agglomération en régions où des Etats souverains cèdent leurs prérogatives nationales à des organismes régionaux telle l’Union européenne. L’UE en est en effet le premier exemple, mais pas le seul, souligne Alex Newman pour The New American dans un article de synthèse qui permet de faire le point. Fabriquer le Nouvel Ordre Mondial – ainsi le dénomment ses propres partisans – à partir d’un nouvel ordre régional, cela passe principalement par des accords de libre-échange dont la mise en place et l’extension continuent, pour aller vers l’intégration politique.
Leur dénominateur commun ? Ces accords de libre-échange de plus en plus étendus dans l’espace vont de pair avec la création de nouvelles bureaucraties supranationales et surtout de cours de justice chargées de contrôler le respect de leurs dispositions par leurs signataires. Le patchwork qui se forme ainsi – que ce soit en Europe, en Amérique ou à travers l’Union africaine ou l’Union eurasiatique – se distingue par le fait que les différentes zones se chevauchent. Ce que l’on vante aujourd’hui comme un bienfaisant multilatéralisme, qu’on s’exprime depuis Davos ou Moscou, devient ainsi un réseau de plus en plus serré, toujours plus facile à intégrer définitivement sous l’autorité de l’ONU ou de quelque autre organisme encore à créer. La nouveauté aujourd’hui, c’est la résistance de certains pays et une désaffection croissante de la part des peuples, dont on dénonce les tentations « populistes ».
La mécanique du Nouvel Ordre Mondial à travers le nouvel ordre régional dévoilée par ses partisans
C’est dès les années 1950 que les mondialistes ou globalistes parlaient ouvertement de leur marche vers un gouvernement mondial sous l’égide des Nations unies. Le cofondateur du CFR, John Dulles – celui-là même qui a donné son nom à l’aéroport international de Washington DC – écrivait alors : « L’ONU ne représente pas une étape finale du développement de l’ordre mondial mais seulement une étape primitive. Il lui appartient donc principalement de créer les conditions qui rendront possible une organisation plus développée », la Charte actuelle Nations unies étant cependant assez forte, selon ce fondateur du Council on Foreign Relations, pour servir de fondement à un « gouvernement mondial » ou à une « fédération mondiale » expressément désignés.
L’idée ne devait pas prendre aussi rapidement que l’auraient souhaité ces représentants de « l’Etat profond ». Alex Newman observe qu’un rapport, paru en 1962 sous le titre « Un monde effectivement contrôlé par les Nations unies » grâce au financement du département américain et par le haut fonctionnaire CFR Lincoln Bloomfield suggérait le recours au régionalisme à grande échelle. Il proposait que « des unités toujours plus importantes se développe par le biais d’union douanière, confédération, de régionalisme, etc. jusqu’à ce qu’enfin les unités les plus grandes fusionnent sous un parapluie global ». Et c’est en effet ce qui s’est déroulé sous nos yeux depuis lors, non sans les guerres et menaces de guerre qui faisaient parti de la stratégie recommandée par le rapport Bloomfield.
« Ce sera beaucoup plus efficace que l’assaut frontal à l’ancienne »
En avril 1974, cette stratégie était déjà fermement implantée. Foreign Affairs, la revue du CFR, expliquait que « la maison de l’ordre mondial allait devoir être construite du bas vers le haut plutôt que depuis le haut vers le bas » . Richard N. Gardner, haut placé au département d’Etat, expliquait dans le même article qu’il fallait grignoter la souveraineté nationale petit à petit : « Ce sera beaucoup plus efficace que l’assaut frontal à l’ancienne. » L’assaut frontal, en effet, risquait de réveiller les peuples : il fallait agir lentement, sans doute même dans l’ombre. Il serait plus facile de faire céder des pans de souveraineté à des organismes régionaux, disait-il.
Zbigniew Brzezinski, du CFR lui aussi et proche de David Rockefeller et de sa Commission Trilatérale, tenait un langage très similaire en 1995 lors du « State of the World Forum » organisé par l’ancien président soviétique, Mikhail Gorbatchev. Il se trouve que l’un des responsables du site souverainiste The New American, William Jasper, était dans la salle. Celui-ci atteste de ce qu’a dit alors l’ancien conseiller à la sécurité nationale américaine : « Nous ne pouvons pas lancer dans un gouvernement mondial d’un seul pas rapide. Pour faire court, la condition préalable en vue de la future globalisation – la globalisation authentique – est la régionalisation progressive, car à travers elle nous pouvons avancer vers des unités plus grandes, plus stables, plus coopérantes. » La même année, l’ONU créait de toutes pièces sa « Commission sur la gouvernance globale » : celle-ci publiait des articles qui allaient exactement dans ce sens.
Au point où nous en sommes, la progression de ce plan semble se réaliser à grande échelle, avec l’Union européenne qui se détache du peloton, elle que Gorbatchev a goulûment décrite comme « le nouveau soviet européen » lors d’une visite au Royaume-Uni en l’an 2000. On a vu la lente évolution qui l’a fait passer du statut de Communauté économique européenne à celui de Communauté européenne pour arriver enfin à celui d’Union européenne. En 2012, le président non élu de la Commission européenne de l’époque, José Manuel Barroso, lui-même passé par le maoïsme révolutionnaire, mettait en évidence les machinations que les anti-mondialistes dénonçaient depuis des décennies. « Nous allons devoir aller vers une fédération : tel est notre horizon politique », disait-il sans ambages.
Le nouvel ordre régional déjà incarné par l’UE
Et l’on peut dire que l’UE possède déjà de nombreux attributs du pouvoir régalien : celui de « battre monnaie » à travers la monnaie unique, une agence de maintien de la loi, l’ébauche d’une armée continentale, des cours et tribunaux qui imposent la jurisprudence du haut européen vers le concret des pays membres. Bruxelles est à certains égards plus puissante que Washington vis-à-vis des Etats américains, avec sa capacité de rejeter des budgets nationaux. Le pouvoir de l’Union européenne n’a que faire, soit dit en passant, des refus explicites signifiés par des référendums à l’échelon des pays membres.
L’Union africaine est-elle aussi bien engagée sur la voie, avec son Parlement, sa force armée, sa cour de justice… Elle travaille à la mise en place d’une monnaie continentale, à la mise en place de trois immenses zones de libre-échange qui ont vocation à se rejoindre, appuyées sur l’apparition d’un nouveau passeport africain unique. Il n’est peut-être pas étonnant que l’ex-dictateur marxiste Robert Mugabe ait été proclamé président de cette UA peu de temps avant son renversement par les forces armées du Zimbabwe. Le financement de cette vaste entreprise est assuré à la fois par le gouvernement américain, l’UE et la Chine – Pékin a construit le siège central de l’Union africaine, tout un symbole.
L’Union des Etats d’Amérique du Sud, UNASUR ou UNASUL participe de la même logique et se construit sur le modèle de l’Union européenne, avec monnaie, armée, Parlement, etc. Les troubles au Venezuela communiste ayant échaudé certains membres, cette construction connaît aujourd’hui des hoquets. De toute façon, d’autres organismes supranationaux travaillent à l’intégration sud-américaine : Mercosur, l’Alliance bolivarienne, CELAC et quelques autres.
L’Union eurasiatique de Poutine prépare aussi le Nouvel Ordre Mondial
L’Union eurasiatique, encore au stade de l’Union économique eurasiatique, est un exemple particulièrement frappant de la marche coordonnée vers une gouvernance mondiale. Vladimir Poutine, loin de s’y opposer, travaille à la mise en réseau de la Russie, du Bélarus, du Kazakhstan, de l’Arménie et du Kirghizistan, en attendant de rassembler l’ensemble des anciens pays satellites de l’Union soviétique déjà réunis dans la Communauté des Etats indépendants (CEI). Poutine s’est vanté dans Izvestia du processus bien plus rapide de formation de l’Union eurasiatique grâce à « l’expérience de l’UE et d’autres associations régionales » sur laquelle les autorités ont pu s’appuyer. Il mettait également en évidence la conformité du régime réglementaire eurasiatique avec les normes européennes dans la plupart des cas, sur le fondement des principes de l’OMC. La Russie est en plein accord avec le mouvement général et promet elle aussi, sous la plume de Poutine, de participer « à la mise en place du développement durable global ». C’est encore lui qui voyait l’UE et l’Union eurasiatique créer à l’avenir « une communauté harmonisée d’économie allant de Lisbonne à Vladivostok, une zone de libre-échange qui pourrait aussi avoir recours à des modèles d’intégration plus sophistiqués » dans de nombreux secteurs, avec à la clé un futur abandon des visas. Il désignait clairement « les institutions régionales existantes, tels l’UE, NAFTA, APEC et ASEAN entre autres » qui pourront devenir à terme « les briques d’intégration que l’on pourra utiliser en vue de créer une économie global plus durable ».
On croirait entendre les responsables de l’UE…
Alex Newman énumère ensuite d’autres entreprises similaires à travers le monde, que ce soit au Proche Orient, sous diverses impulsions, en Asie du Sud-Est ou ailleurs. De telle sorte qu’il n’y a aujourd’hui aucune zone de population qui soit épargnée, et la convergence des différents modèles est trop remarquable pour être fortuite, souligne Alex Newman. Tout au long du processus, il s’est trouvé des leaders nationaux pour protester, la main sur le cœur, qu’on ne recherchait nullement « à sacrifier l’indépendance et la souveraineté », comme le proclamait l’ancien Premier ministre britannique Edward Heath en 1973. Il incitait ses concitoyens à ne pas avoir peur : 45 ans plus tard, les Britanniques ne savent pas encore comment ils vont sortir de l’UE alors qu’ils l’ont décidé en 2016.
Giuliano Amato : « Emietter les morceaux de souveraineté petit à petit »
Dans l’édition du 13 juillet 2000 du quotidien italien La Stampa, celui qui était alors Premier ministre, Giuliano Amato, affirmait clairement la nature du plan, sans prendre la peine de dissimuler. « L’Union est à l’avant-garde de ce monde qui change : il désigne un avenir de princes sans souveraineté. La nouvelle entité n’a pas de visage, et ceux qui sont aux commandes ne peuvent être ni identifiés ni élus… C’est aussi de cette manière que l’Europe s’est faite : en créant des organismes communautaires sans donner aux organismes présidés par des gouvernements nationaux l’impression qu’ils étaient sujets à un pouvoir supérieur… Je ne crois pas que ce soit une bonne idée de remplacer cette méthode lente et efficace – qui garde les Etats nationaux libres de toute anxiété alors même qu’on les dépouille de leur pouvoir – par d’importants bonds institutionnels. C’est pourquoi je préfère aller lentement, émietter les morceaux de souveraineté petit à petit, en évitant les transitions brusques depuis le pouvoir national vers le pouvoir fédéral », écrivait-il.
Henry Kissinger, autre grand mondialiste devant l’Eternel, parle désormais de manière plus claire du projet. L’ancien secrétaire d’Etat américain évoque dans son livre World Order, paru en 2014, la nécessaire « stratégie cohérente capable d’établir un concept d’ordre parmi les différentes régions et de relier ses ordres régionaux les uns aux autres ». Ces phrases-là faisaient partie des bonnes feuilles de son livre publiées par le Wall Street Journal, accessible à chacun. Il plaidait ouvertement pour une « structure de règles et de normes internationale », et saluait l’Europe et son projet de « transcender l’Etat ». L’UE, depuis lors, ne cache pas sa volonté de soutenir les ordres régionaux, en particulier aux Amériques, comme le détaillait son rapport Stratégie globale publié quelques jours après le vote du Brexit. Tout cela au nom du bien de l’humanité, quoi que votent les peuples.
Les prochaines étapes vers le Nouvel Ordre Mondial
Les prochaines étapes, nous les connaissons déjà. Le fameux TIPP ou traité transatlantique devaient rapprocher l’UE et l’Amérique du Nord sous la compétence d’une nouvelle bureaucratie ad hoc – cela aurait représenté plus de la moitié du PIB mondial. Exactement au même moment, on cherchait à mettre en place le partenariat transpacifique (TPP). D’une façon ou d’une autre, directement ou indirectement, la plupart des économies mondiales s’en serait trouvée affectées. Donald Trump y a mis un frein ; mais un frein partiel. Il faut davantage qu’un grain de sable pour gripper le mécanisme.
On notera aussi l’illusion d’opposition entre ces grands blocs qui se constituent : chef-d’œuvre de dialectique, la construction globaliste joue sur ce qu’on pourrait appeler les préférences régionales. Les crises éventuelles – militaires ou liées à la grande peur du climat – servant alors à imposer une solution de sortie par le haut, désirée par tous. Pour que chacun – comme dans 1984 – finisse par aimer Big Brother ?