Quatorze ans que Boeing et Airbus se querellaient devant l’Organisation mondiale du commerce en s’accusant mutuellement de subventions étatiques illégales… Si l’OMC avait enjoint les deux parties de mettre fin à ces pratiques en 2011, de nouvelles plaintes de part et d’autre avaient engagé un second examen. Mardi, l’instance d’appel de l’OMC a jugé que l’Union européenne ne s’est pas encore totalement mise en conformité avec ses obligations… Une victoire pour Boeing ? Sans doute, mais Airbus se dit aussi satisfaite – et Boeing risque de recevoir la même sentence du même organe en 2019.
L’importance dans l’histoire n’est donc pas tant dans les décisions rendues que dans la place du décisionnaire devenu arbitre-roi : les pays et même les ensembles de pays (en l’occurrence l’Europe) ne sont plus maîtres de leur marché. Les outils mondialistes sont en place – et juridiquement il n’est plus possible de leur échapper.
Boeing contre Airbus ou l’OMC contre Boeing et Airbus ?
Les deux monstres de l’aéronautique se plaignent depuis des années de systèmes qu’ils pratiquent en réalité tous les deux. L’OMC a évalué à 26 milliards de dollars le montant des aides illégales perçues par Boeing, et à 22 milliards de dollars celle reçues par Airbus. Coquettes sommes nécessaires pour soutirer le plus grand nombre de parts de marchés et se maintenir surtout à hauteur de son adversaire, en tout état de cause.
Selon l’OMC donc, l’UE n’a pas supprimé toutes les aides publiques à Airbus sur deux avions différents, à savoir l’A380, le plus gros avion de ligne mondial et l’A350. Pour le directeur général de Boeing, « la décision finale d’aujourd’hui envoie un message clair : le non-respect des règles et les subventions illégales ne sont pas tolérés. Le succès commercial des produits et services devrait être motivé par leurs mérites et non par des actions qui faussent le marché ».
Devant la décision de l’OMC, Washington n’a pas hésité à brandir la menace de sanctions visant des produits européens tant que l’UE n’aura pas arrêté de « porter atteinte aux intérêts des États-Unis »… des sanctions commerciales qui pourraient s’élever à plusieurs milliards de dollars par an selon Washington.
Une victoire pour une défaite ?
Comme le notait TheNewAmerican, les défenseurs du marché libre pourraient tout naturellement saluer cette décision, ainsi que ceux qui fustigent la main mise et l’ingérence fondamentales de l’Europe – une Europe, remarque le journaliste, qui n’hésite pas à vouloir s’inspirer des « aspirations créatives » de Marx, cf Jean-Claude Juncker à Trèves le 5 mai dernier. Trump s’est montré d’ailleurs tout heureux de cette victoire et de l’assurance d’un marché libre et équitable pour les travailleurs américains.
Seulement d’abord, c’est un peu, comme le faisait remarquer un proche du dossier européen, « une victoire à la Pyrrhus ». Car l’organisme genevois n’a pas retenu les plaintes américaines selon lesquelles les prêts aux modèles les plus vendus d’Airbus, l’A320 et l’A330, avaient un impact important sur les ventes de Boeing, rejetant ainsi environ 94 % des revendications américaines !
Et puis c’est sans compter le deuxième round de cette affaire qui doit juger, en 2019, la plainte déposée par l’UE contre Washington, pour les mêmes raisons… Boeing a bénéficié d’un soutien « massif et continu » du gouvernement américain, ont rappelé les ministres français. Ils pratiquent tous le même sport – et dans les autres secteurs du marché, aussi. La décision de l’OMC à l’encontre des États-Unis pourrait se révéler du même métal que celle de mardi à l’encontre de l’Europe.
Les instances mondialistes : les intermédiaires sine qua non
Alors, oui, ce verdict autorise les États-Unis « à appliquer des mesures de rétorsion douanières sur les importations de produits européens ». Mais c’est encore au panel d’arbitres de l’OMC qu’ils devront demander une estimation des dommages ! En outre, ils seront de facto annulés une fois que le pays concerné se sera « intégralement conformé aux recommandations et décisions » de l’organisme.
En somme, les États-Unis ne peuvent prendre aucune décision personnelle souveraine légitime en la matière… l’OMC reste maîtresse de toutes les décisions sur toute la longueur – récompenses ou punitions.
Évidemment, ces grandes instances internationales vont rendre ici ou là de salutaires jugements : l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) vient de s’illustrer notamment en soutenant une entreprise américaine qui se heurtait au Canada à des problèmes environnementaux passablement idéologiques – un succès. Mais, comme le faisait remarquer The NewAmerican, qui dit que l’OMC n’interdira pas demain à ces mêmes États-Unis de se retirer des Accords de Paris sous prétexte que cela leur donnerait un « avantage concurrentiel injuste » ? !
Et il n’y aura personne au-dessus pour juger de la vérité ni de la légalité d’une telle assertion. Formellement ou hypocritement conçues pour être des intermédiaires, ces instances dirigeantes mondiales telles que l’OMC et l’ONU ont fini par maîtriser et dominer les acteurs qu’elles prétendaient servir : ce sont les nouvelles garantes de la justice universelle ou plutôt de la « procédure » mondialiste. Et presque tout le monde trouve ça normal.