La droite nationale française, tout comme ses consœurs européennes, perçoit généralement la Russie de Vladimir Poutine plutôt d’un bon œil et voit au contraire l’OTAN comme un facteur de risque pour la paix en Europe et dans le monde. Si ce sentiment favorable à la Russie actuelle n’est pas partagé par la droite nationale américaine, les interrogations sur l’utilité de l’OTAN, elles, le sont. C’est ainsi qu’un éditorialiste du site libéral-conservateur américain The New American comparait le 11 juillet à une partie d’échecs la montée en puissance des forces russes à Kaliningrad et le déploiement de forces américaines en Pologne, en se demandant si ces déploiements joueront à l’avenir un rôle dissuasif ou s’ils provoqueront plutôt un conflit.
Le président américain Donald Trump n’est pas favorable à une dissolution de l’OTAN contrairement à ce qu’ont cherché à faire croire les médias mainstream des deux côtés de l’Atlantique. Il a toutefois fait remarquer mercredi au sommet de l’OTAN à Bruxelles, alors qu’il mettait les Européens sous pression pour qu’ils investissent davantage dans leur propre défense, que l’OTAN était d’une plus grande utilité aux Européens qu’aux Américains. En cela, il rejoignait le discours de la droite nationale américaine.
L’éditorialiste du New American base son raisonnement sur une information sur des travaux menés sur des sites militaires de Kaliningrad, photographiés par satellites, montrant une volonté d’étendre les capacités de stockage d’explosifs et de munitions, voire, selon certaines sources, d’armes nucléaires. Il cite aussi un général polonais, ancien coordinateur des services de renseignement militaire des pays de l’OTAN, selon qui Moscou utiliserait la présence d’installations antimissiles en Pologne pour justifier le déploiement à Kaliningrad de missiles pouvant atteindre ces installations.
La Russie en situation de très nette supériorité à Kaliningrad : pris en étau, les Pays baltes et le nord-est de la Pologne seraient indéfendables
La citation est toutefois sortie de son contexte, car le général en question ne doute pas que la Russie déploierait de toute façon ces missiles et qu’il faut améliorer la capacité de réaction de l’OTAN dans la région. Comme les sympathisants de la droite nationale en Europe, l’auteur du New American ne tient pas non plus compte du fait que les missiles Iskander ont été déployés à plusieurs reprises dans l’enclave de Kaliningrad ces dernières années, avant que ne soit prise la décision d’installer des éléments du bouclier antimissile américain en Pologne, même si la présence de ces missiles balistiques tactiques d’une portée de 500 km, pouvant aussi être équipés d’ogives nucléaires, a officiellement acquis un caractère permanent au début de l’année 2018, alors qu’il n’y a pas l’équivalent en face, c’est-à-dire en Pologne et dans les Pays baltes.
De la même manière, le déploiement à Kaliningrad de batteries de défense antiaérienne et antimissile S-400 couvrant le ciel des pays baltes et d’une bonne partie de la Pologne a précédé la décision par la Pologne d’acquérir des batteries de missiles antiaériens et antimissiles Patriot, qui ne commenceront à être opérationnelles qu’à partir de 2023-24. L’équivalent côté russe est déjà opérationnel, de même que les capacités terre-terre et terre-mer déployées dans l’enclave de Kaliningrad, encore une fois sans qu’il n’y ait de capacités équivalentes en Pologne et dans les Pays baltes.
En raison du déploiement toujours très modeste des forces de l’OTAN en Pologne et dans les Pays baltes (quelque 8.500 hommes en tout) et d’une mobilité des forces de l’OTAN en Europe très inférieure à la mobilité des forces russes, ainsi que l’ont démontré les manœuvres militaires menées des deux côtés, la Russie est en situation de très forte supériorité dans la région de la mer Baltique. L’aviation militaire russe accroît le nombre de vols au-dessus de la Baltique, avec ses transpondeurs éteints malgré les promesses de la Russie, testant ainsi les capacités de réaction des avions de l’OTAN et provoquant surtout une augmentation du nombre d’avions de l’OTAN déployés dans le cadre de la mission Baltic Air Policing, même si les forces aériennes déployées par l’OTAN restent très modestes : généralement quatre avions après l’accession des Pays baltes à l’OTAN en 2004, généralement huit avions depuis 2015. Aux côtés de ces huit avions de combat, les Pays baltes n’en ont aucun à aligner face à l’aviation militaire russe déployée à Kaliningrad et du côté de leurs frontières orientales et la Pologne ne dispose que de 48 F-16 dernier cri, de 30 Mig-29 ancienne version et de 32 Su-22 vétustes. C’est la seule force aérienne significative opposable à la Russie, mais qui ne fait clairement pas le poids face à l’aviation et aux systèmes anti-aériens déployés dans l’enclave de Kaliningrad. Plus à l’ouest, l’armée allemande sous-financée est dans un état de délabrement avancé et ne serait probablement d’aucun secours.
Ce n’est pas la Russie qui réagit aux déploiements de l’OTAN près de ses frontières, mais tout le contraire
L’erreur de ceux qui estiment la Russie continuellement provoquée par les déploiements successifs de l’OTAN à proximité de ses frontières, c’est de croire que ce sont les mesures prises par l’OTAN pour améliorer ses capacités de réaction qui entraînent la montée en puissance des forces russes dans la région. En réalité, c’est tout le contraire qui se produit, et la montée en puissance de l’OTAN face aux déploiements opérés par la Russie au cours de la dernière décennie reste symbolique. Elle ne représente pas tant une réponse militaire que politique puisqu’elle rassure les anciens pays satellites de l’URSS sur la fiabilité des engagements des États-Unis et des autres pays européens à leur égard. Rappelons d’ailleurs que, jusqu’au déploiement d’une brigade lourde en Pologne l’année dernière, l’US Army n’avait plus de chars d’assaut en Europe depuis 2013.
Côté russe, les déploiements opérés montrent au contraire la volonté de se donner la capacité d’empêcher une réaction de l’OTAN en cas d’attaque contre les Pays baltes et, éventuellement, dans le nord-est de la Pologne pour consolider la présence russe à Kaliningrad et dans les Pays baltes. Il ne faudrait, d’après les militaires de l’OTAN, qu’une soixantaine d’heure maximum à l’armée russe pour occuper l’ensemble des Pays baltes, tandis que les systèmes et armements déployés à Kaliningrad rendraient toute intervention des marines et des forces aériennes de l’OTAN ainsi que des forces terrestres polonaises (les seules à proximité) très problématique.
Le but du Kremlin n’est bien entendu pas forcément de se donner les moyens d’attaquer les Pays baltes ou encore la Pologne (pour quoi faire ?), mais plutôt de pousser l’OTAN à parler continuellement d’une menace russe et à y réagir, afin de montrer au peuple russe que, sous la présidence de Vladimir Poutine, la Russie est à nouveau un pays craint et respecté, comme au temps de l’URSS.
En revanche si l’on supprimait l’OTAN comme le réclament certains, la tentation pourrait être grande pour le locataire actuel ou futur du Kremlin de mettre à profit la supériorité militaire de la Russie pour récupérer une partie des territoires et de la zone d’influence perdus avec la chute de l’URSS, ce dont elle s’est montrée capable en Géorgie et en Ukraine. C’est pourquoi, conformément à ce qu’en pensent les pays du flanc oriental de l’OTAN, qui connaissent la Russie de plus près, l’existence de l’OTAN et l’amélioration de ses capacités de réaction restent la meilleure garantie de paix en Europe centrale et orientale et la condition d’une relation apaisée avec la Russie à l’avenir. S’il faut renoncer à quelque chose pour consolider la paix en Europe, c’est uniquement aux opérations offensives comme celle menée contre la Serbie à la fin des années 1990 ainsi qu’à la rhétorique sur une prétendue supériorité morale de l’Occident par rapport à la Russie. Du reste, il n’est pas dit que ce ne soient pas un jour les pays d’Europe occidentale qui aient à appeler au secours leurs alliés de l’OTAN contre une offensive islamiste à l’intérieur de leurs frontières.