Otmar Issing met en garde contre le super-Etat européen qui naîtrait d’un ministère des finances de la zone euro

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On l’appelle le « père de l’euro », en Allemagne du moins. Ancien membre du conseil de la Bundesbank, premier économiste de la toute nouvelle Banque centrale européenne en 1990, toujours conseiller de Goldman Sachs, l’Allemand Otmar Issing vient de mettre vivement en garde contre la tentative de mettre subrepticement en place un super-Etat européen par le biais d’un ministère des finances de la zone euro. Le projet, a-t-il averti, est contraire à tous les principes de la « démocratie moderne ».
 
Le Pr Issing s’exprimait devant le séminaire d’Ambrosetti, une rencontre annuelle discrète qui se tient sur les rives du lac de Côme à Cernobbio en Italie pour « promouvoir les valeurs européennes ». Les invités sont des hommes d’Etat, des prix Nobel, des industriels, des financiers : bref, des personnes influentes sur le plan politique.
 

Otmar Issing, père de l’euro, met en garde contre un super-Etat européen sans contrôle démocratique

 
On ne peut guère soupçonner Otmar Issing, qui fut le principal architecte de la mise en place de la monnaie unique européenne, d’être opposé à la construction européenne. Ce qu’il dénonce, ici, c’est la marche forcée vers une union supranationale. Elle était contenue en germe dans le projet de l’euro, pourrait-on objecter. Reste que la critique d’Issing a du poids, même si elle ne vise qu’à inciter à ne pas aller trop vite – à arriver au fédéralisme d’une autre manière.
 
Il serait « dangereux » d’accorder à l’Union européenne le pouvoir de contrôler à la fois les impôts et les dépenses des Etats membres au niveau fédéral sans établir d’abord une union politique plénière, sur des bases démocratiques. Mais, ajoute aussitôt Issing, un tel processus est aujourd’hui impensable : la création d’un « super-Etat » européen doté d’un congrès comparable à celui des Etats-Unis nécessiterait une volonté des peuples qui fait évidemment défaut.
 

Un ministère des finances de la zone euro ne peut exister sans une intégration politique aujourd’hui impossible

 
Il exigerait notamment des référendums dans l’ensemble des pays membres, ainsi qu’une majorité des deux tiers dans les deux chambres du parlement allemand : « Les chances d’obtenir une union politique sont voisines de zéro », assure Otmar Issing. Mais en omettant cette étape, en accélérant l’intégration européenne, on aboutirait à la mise en place des pleins pouvoirs au bénéfice de l’Union qui pourrait décider de manière unilatérale – y compris sur les aspects « sensibles » de la vie nationale des Etats. « On imagine mal comment mettre en place un contrôle démocratique », a-t-il souligné.
 
Le contrôle des budgets doit être « laissé » aux gouvernements nationaux et aux parlements souverains qui sont réellement responsables devant leurs peuples : « On ne peut atteindre l’union politique au sein de l’Union européenne par la petite porte. Ce serait une violation du principe “pas d’imposition sans représentation”, et constitue une approche erronée et dangereuse. » Il faisait clairement utilisation, selon le correspondant du Telegraph sur place, à la Révolution américaine et aux événements qui ont conduit à la Guerre civile anglaise des années 1640 : deux réactions à des tentatives monarchiques d’ôter au parlement son pouvoir de contrôler les dépenses de l’Etat.
 
La proposition de créer un ministère des finances de l’UE date du mois de juin : les présidents de la Commission, du Conseil, du Parlement, de l’Eurogroupe et de la BCE proposaient dans leur « Rapport des cinq présidents » la création d’un conseil fiscal européen et d’un fonds d’investissement stratégique aux pouvoirs accrus, taillés sur mesure pour permettre la création d’un « Trésor de la zone euro » dès 2017.
 
Cette entreprise souffrirait des même défauts que ceux qui entachent l’euro, en crise permanente dans la mesure où les principes du traité qui l’ont mis en place sont violés en permanence, selon Issing qui reste favorable à la mise en place d’une fédération européenne « démocratique » sur le modèle des Etats-Unis mais dénonce depuis longtemps le système actuel où des entités supranationales prennent leurs décisions à huis clos – et favorisent en même temps les « révoltes populistes ».
 
Le jouet échapperait-il aux mains de ceux qui l’ont créé ? C’est possible. Mais il ne faut pas oublier qu’au moment de la création de l’euro, nombreux ont été ceux qui ont souligné l’impossibilité d’avoir une union monétaire sans unification politique et économique. On a mis la charrue devant les bœufs délibérément dès le début.
 

Anne Dolhein