L’exhortation apostolique Amoris Laetitia publiée par le Pape François après les travaux du synode sur la famille met en difficulté bien des catholiques fidèles à l’enseignement traditionnel de l’Eglise : 45 théologiens de haut niveau publient une censure de 19 affirmations qui peuvent induire en erreur le lecteur ordinaire.
Dès son élection, le pape François a voulu traiter l’Eglise comme une fourmilière que l’on dérange et faire le buzz : il y a parfaitement réussi et les médias du monde entier se sont attachés à ses pas pour chanter sa louange, tant il est vrai que ses saillies, et ses projets de réforme, conviennent à l’esprit du monde. En même temps il s’est mis en difficulté vis-à-vis des croyants fidèles à la foi et à la discipline catholique, soit par des postures théâtrales, soit par des actes incompris, soit par des propos peu usuels chez un pape, voire aventurés. Hier j’ai rapporté l’inquiétude extrême du cardinal Zen devant le projet d’accord Vatican-Chine, aujourd’hui, il me faut relayer la lettre adressée par 45 théologiens au cardinal Sodano, doyen du Sacré Collète, contenant une censure de 19 propositions soutenues par Amoris Laetitia qui peuvent induire un lecteur non théologien à l’erreur dans la foi.
45 théologiens invoquent leur devoir de correction envers le pape
Les théologiens, avant de dresser une liste – non exhaustive – de ces 19 erreurs et de donner les raisons de leur censure, ont pris soin de préciser d’abord qu’ils ne mettaient « pas en question la foi personnelle du pape François », ensuite de préciser qu’Amoris Laetitia contient d’excellentes choses, enfin que cette exhortation apostolique a un certain magistère, mais que les conditions de l’infaillibilité papale ne sont pas réunies. Autrement dit, ils peuvent exercer leur critique, puisque le document n’est pas infaillible, et ils le doivent, puisque que le fidèle catholique peut se sentir tenu de croire à ce qu’on y trouve. Invoquant Saint Thomas d’Aquin, selon lequel « les inférieurs ont l’obligation de corriger leurs supérieurs publiquement quand il y a un danger imminent pour la foi », ils entendent parler « contre les erreurs apparentes » d’Amoris Laetitia et ainsi « aider la hiérarchie de l’Eglise à corriger cette situation ».
Un certain flou de François permet des interprétations erronées
Ils ne prétendent pas qu’Amoris Laetitia enseigne explicitement et sûrement des erreurs, mais ils affirment qu’il « n’y a pas de doute qu’il constitue un grave danger pour la foi et la morale catholique », parce que « il contient des propositions dont le manque de précision ou l’ambiguïté permettent des interprétations contraire à la morale ou qui suggèrent une affirmation contraire à la foi et la morale (…ou) des propositions dont le sens obvie semblerait contraire à la foi ou la morale ». Leur méthode est de mettre en lumière ce sens obvie, c’est-à-dire la signification qu’un « lecteur moyen va attribuer normalement » à ces mots. Par lecteur moyen ils entendent « quelqu’un qui ne cherche pas à tordre les mots dans quelque direction que ce soit ». Ce qui les mène, dans la présentation qu’ils donnent des 19 propositions à préciser pour chacune d’entre elles ce sens obvie.
Si Amoris Laetitia dit bien cela, alors…
Pour bien illustrer la méthode, prenons l’exemple de la première proposition frappée de censure. A l’alinéa 83 d’Amoris Laetitia , il est écrit : « L’Eglise… rejette fermement la peine de mort ». Les théologiens répondent : « Si ceci est entendu (sens obvie) comme signifiant que la peine de mort est toujours et partout injuste en elle-même et donc qu’elle ne peut être justement infligée par l’Etat », elle est « hérétique car contraire aux Saintes Ecritures » et « pernicieuse ». Et ils produisent sans difficulté plusieurs passages de l’Ancien et du Nouveau Testament, et de la tradition constante des papes, d’Innocent I à Jean-Paul II à l’appui de leur censure. Ils ne font ici, et la plupart du temps dans leur document, que rappeler l’évidence, le bon sens, et le sens commun de toute l’Eglise des origines à nos jours. Tant et si bien qu’on peut (on doit ?) se demander ce qui a bien pu pousser le Saint Siège à inclure une telle phrase dans Amoris Laetitia et le pape François à la signer.
Le pape François doit condamner 11 propositions hérétiques
Sur les 19 affirmations que les 45 théologiens ont frappé de censure, 11 ont été jugées « hérétiques « (toujours « contraires aux Saintes Ecritures », et, selon le cas, « perverses, scandaleuses, impies, dépravées, blasphématoires ou pernicieuses »), et 8 « tombant sous une censure inférieure, « erronée dans la foi, fausse, téméraire, dérogeant à la pratique ou la discipline de l’Eglise ». Il ne s’agit donc pas de détails, mais d’erreurs très graves qui touchent au cœur de l’enseignement catholique et peuvent nuire gravement aux âmes des lecteurs. C’est pourquoi les 45 théologiens signataires, qui viennent de trois continents, de pays tant germaniques, qu’anglo-saxons ou latins, France comprise, ont adressé une demande expresse au cardinal Sodano, doyen du Sacré Collège, afin que « les Cardinaux et Patriarches fassent une pétition au Saint Père pour qu’il condamne les erreurs indiquées dans le document de façon définitive et sans appel, et qu’il déclare avec autorité que Amoris Laetitia n’exige qu’aucune d’entre elles ne soit tenue ou considérant comme étant peut-être vraie ». Sous les formes de la dévotion filiale, il s’agit d’une mise en demeure très nette, et ce n’est pas le moindre des paradoxes du pontificat du pape François, dont les initiatives vont dans le sens du monde et de la prétendue « modernité », qu’il libère enfin la parole des théologiens dits « conservateurs ». Pour une fois, la presse ne bruit pas à tout instant des théologiens allemands inévitables jusqu’à hier, dont la fonction immuable était de brouiller la perception de la doctrine catholique dans le public.
La difficulté des divorcés remariés
La condamnation des onze erreurs définies comme hérétiques par les 45 théologiens est l’occasion de rappeler des points évidents de la doctrine catholique traditionnelle, que 55 ans de pratique post -Concile tendent à faire perdre de vue à une part du public. Par exemple la supériorité de l’état de vie virginal consacré au Christ sur le mariage chrétien, la faculté de l’homme, avec la grâce de Dieu, de remplir les exigences objectives de la loi divine, l’éternité des peines de l’enfer, le fait que les divorcés remariés qui choisissent leur situation en pleine connaissance de cause soient en état de péché grave, le fait que violer volontairement et en matière grave une loi divine dont on a pleine connaissance constitue un péché mortel, que la loi divine interdise absolument certaines actions dans n’importe quelles circonstances, etc.
Enfin, l’alinéa 308 et la souplesse ambiguë qu’il recommande en matière à l’Eglise en matière d’eucharistie pour les divorcés remariés « même (si elle) court le risque de se salir avec la boue de la route », encourt la censure des 45 théologiens pour la raison suivante :
« Si cela est entendu dans le sens que Notre-Seigneur Jésus-Christ veut que l’Église abandonne sa discipline pérenne de refuser l’Eucharistie aux divorcés remariés et de refuser l’absolution aux divorcés remariés qui n’expriment pas de contrition pour leur état de vie et le ferme propos d’amendement à son égard », alors la proposition est hérétique. Ne serait-ce que parce qu’elle s’oppose à la première Epitre aux Corinthiens, chapitre onze, verset 27 : « C’est pourquoi quiconque mangera ce pain ou boira le calice du Seigneur indignement, sera coupable envers le corps et du sang du Seigneur. »
La censure des 45 théologiens est de bonne méthode
La méthode utilisée par les 45 théologiens paraît salubre et adaptée à la communication du pape François, qui depuis qu’il est entré en fonction se caractérise par des déclarations d’allure spontanée, mais imprécises, qui prennent rarement un tour juridique ou scientifique, et demeurent dans le flou, ce dont de nombreux prêtres, évêques, cardinaux et laïcs se prévalent pour l’interpréter à leur manière : cela provoque une grande incertitude sur la pensée du Saint Siège, brouille la diffusion de la doctrine romaine et entretient une sorte de bouillon de culture d’hérésie de fait. On ne sait pas quel sens exact le Pape François donne aux 19 passages critiqués, mais en précisant les choses, on évite que l’interprétation relevée par les 45 théologiens puissent être tenue pour bonne par les fidèles et donc les induire en erreur.
Sans faire de procès d’intention au pape François, on est en droit de relever que le flou qu’il sème donne des fruits dangereux. Le mariage chrétien n’est pas en effet un sujet secondaire, puisqu’il est une figure de l’union entre le Christ et son Eglise. Un jésuite peut faire de la politique et du billard à trois bandes : un pape doit mener clairement son troupeau. La façon dont il réagira à la demande des 45 théologiens nous éclairera sur sa volonté. Pour l’instant, tout se passe comme s’il se conformait souvent à l’opinion du monde, dans le droit fil de Vatican II et de son désir d’ouverture au monde.
Le pape François va plus loin que Paul VI
Ici, le pape François va beaucoup plus loin que Paul VI : l’aggiornamento que celui ci avait refusé avec Humanae Vitae, son successeur s’y livre dans Amoris Laetitia. On a bien l’impression, si on lit, et si on lie, ensemble les propositions frappées de censure, que c’est la notion même de loi divine intangible, de péché objectif, qui est dans le collimateur d’Amoris Laetitia. Or, si l’indulgence pour le pécheur est le devoir du pasteur, l’absence de toute complaisance pour le péché est celui du dépositaire de la foi. Donner à croire aux fidèles qu’il y aurait du « jeu » dans le Décalogue en raison des circonstances revient à trahir cette foi, selon la vieille phrase de Paul Bourget : « Il faut vivre comme on pense, sinon tôt ou tard on finit par penser comme on a vécu ». Et le pape François, dans Amoris Laetitia, montre le danger qu’il y a à laisser la pastorale prendre le pas sur la doctrine au point que le pastoral finit par former le doctrinal.
Pauline Mille