Le pape François a reçu trente personnalités appartenant à l’association des Poissons roses qui regroupe des catholiques français qui se disent de gauche. Il leur a tenu un mélange de vérités premières et de propos ambigus que l’hebdomadaire La Vie a recueilli. Ce n’est pas manquer de respect au Souverain Pontife que de remarquer que son discours humaniste fait passer Dieu au second plan. Espérons que cela ne s’inscrive pas dans un plan concerté.
Le pape François aime séduire les médias. On se souvient que sa première interview pontificale fut pour La Reppublica et son directeur athée. Plein de verve et de vie, il sait comment créer le buzz. Après le grand sermon qu’il a prononcé récemment sur l’accueil des migrants et sa phrase sur Donald Trump qui ne serait « pas chrétien » parce qu’il préfère les murs aux ponts, il a médusé les Poissons roses en parlant de « l’invasion arabe » qui déferle sur l’Europe – mais pour tempérer immédiatement cette affirmation, en estimant que cette « irruption est positive ». Et d’ajouter : « Combien d’invasions l’Europe a connu tout au long de son histoire ! Elle a toujours su se surmonter elle-même, aller de l’avant pour se trouver ensuite comme agrandie par l’échange entre les cultures. » Voilà une façon bien irénique de voir la vie. Aujourd’hui, elle donne toute satisfaction aux Poissons roses qui nagent en eau tiède, mais entre le quatrième et le huitième siècle, l’Europe ne s’est pas sentie vraiment « agrandie par l’échange des cultures ».
Le pape François caresse les poissons roses dans le sens du poil
Quoiqu’il en soit, la marque de sa parole est l’ambivalence, comme on le voit aussi par la proposition suivante : « La meilleure mondialisation serait plutôt un polyèdre. Tout le monde est uni, mais chaque peuple, chaque nation conserve son identité, sa culture, sa richesse. » Le pape François dit aussi que l’Europe est menacée de « vide » « si elle oublie son histoire » : c’est un virtuose de la parole à deux faces où chacun peut trouver son bien, une sorte de funambule des médias.
Autre exemple d’un même penchant, cette confidence : « Un ambassadeur venu d’un pays non chrétien m’a dit : nous nous sommes égarés dans l’idéologie de l’argent. Voilà l’ennemi : la dépendance au veau d’or. Quand je lis que les 20 % les plus riches possèdent 80 % des richesses, ce n’est pas normal. Le culte de l’argent a toujours existé, mais aujourd’hui cette idolâtrie est devenue le centre du système mondial » Tout lecteur des évangiles sait que Mammon est un mauvais maître, mais on ne voit pas dans ces phrases de mise en garde contre l’envie sociale et le socialisme. Aussi les uns les liront-ils à la lumière de Rerum novarum, les autres à celle de la théologie de la libération. Le pape François, jésuite de langue italienne qui se dit lui-même « un po furbo », doit s’en réjouir.
Les dangers d’une pastorale humaniste
Cependant, il semble difficile de prendre en bonne part certaines de ses déclarations. A propos de laïcité par exemple. Il se réjouit que la France ait « une très forte vocation humaniste », cite les noms d’Emmanuel Mounier, Emmanuel Levinas et Paul Ricœur, un catholique, un juif, un protestant, et appelle notre pays à toujours plus de laïcité. « De nos jours, un Etat se doit d’être laïque ». Puis il précise le type de laïcité qu’il préconise : « Une laïcité saine comprend une ouverture à toutes les formes de transcendance, selon les différentes traditions religieuses et philosophiques. D’ailleurs même un athée peut avoir une intériorité » C’est la laïcité positive prêchée naguère par Nicolas Sarkozy, la laïcité à l’américaine, la laïcité humaniste – une laïcité, ne tournons pas autour du pot, que revendiquent et qu’ont inventée les francs-maçons. Une laïcité qu’approuverait chaudement un Vincent Peillon, qui se fit au ministère de l’Education nationale le chantre de la religion de la république, universelle, synthèse des propositions de tous les libéraux « sans dogmes, sans clergé, sans intercesseur ». Bref, la religion de l’homme.
Cette entreprise maçonne a été fermement condamnée par Léon XIII dans l’encyclique Humanus genus : « Il s’agit de détruire de fond en comble toute la discipline religieuse et sociale qui est née des institutions chrétiennes et de lui en substituer une nouvelle façonnée à leurs idées et dont les principes fondamentaux et les lois sont empruntées au naturalisme ».
La vie spirituelle maçonne n’est pas catholique
Cependant le pape François n’est pas Vincent Peillon : n’est-on pas en train d’instruire un faux procès ? On aimerait que cela soit le cas, mais lorsqu’il dit : « même un athée peut avoir une intériorité », il nourrit notre inquiétude. Soit c’est une lapalissade sans intérêt, un athée peut avoir une vie intérieure, oui, bien sûr, et le ciel est plus clair le jour que la nuit. Soit cela met l’intériorité de l’athée sur le même plan que celui du religieux, et cela induit que la révélation n’est pas nécessaire au salut. Malheureusement, un autre passage de la Vie semble confirmer cette dernière interprétation : « Laissons de côté la dimension religieuse », ose François. « La miséricorde est la capacité de nous émouvoir, d’éprouver de l’empathie. Elle consiste aussi, face à toutes les catastrophes, à s’en sentir responsable. A se dire que l’on doit agir. Cela ne concerne donc pas seulement les chrétiens, mais tous les humains. C’est un appel à l’humanité. » Cet appel humaniste en diable laisse volontairement Dieu de côté, comme si c’était pire qu’une hypothèse inutile, un obstacle à l’union des hommes. Dans cette optique la miséricorde devient une pitié, un amour purement humains, et le pardon qui vient de Dieu est sans objet. Cette symbiose de tous les individus de bonne volonté dans la charité humaniste rend un son furieusement maçon.
Ici, comme dans l’affaire du synode sur les divorcés remariés, comme dans l’encyclique sur l’environnement Laudato Si, ou la rencontre à Cuba avec le patriarche de Moscou, le Saint Père choisit le langage de la cité terrestre sans référence à la Cité céleste, dans une perspective exclusivement humaniste, comme s’il avait accompli une révolution anti-copernicienne mettant l’homme au centre de tout. Comme si l’obsession pastorale qui semble guider sa vie avait produit en lui une foi purement humaniste.
Mutatis mutandis, et dans un tout ordre d’idées, les déclarations socialisantes d’un Florian Philippot contre la loi El Khomry relèvent du même phénomène, du même abandon : le souci électoral, comme le souci pastoral, mène à l’errance, faute d’une doctrine rigoureuse.