Familles : avoir des parents mariés procure le meilleur statut socio-économique pour les enfants

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Avec son dernier livre, l’économiste américaine Melissa Kearney jette un pavé dans la mare. En effet, il avalise le fait que les familles composées de deux parents mariés représentent pour l’enfant un avantage considérable en termes sociaux et économiques – et que leur déclin manifeste est extrêmement dommageable tant pour les individus que pour les sociétés. Qu’on soutienne ou qu’on détruise l’étude, tout le monde en parle, du New York Times à CNN. Parce qu’il n’est là pas question de valeurs ou d’idéologie selon le camp dans lequel on se place, conservateur ou libertaire. Il est là question de chiffres et de statistiques tangibles qui prouvent qu’il y a bien un lien entre la structure familiale et les résultats sociaux.

Tout simplement, on reconnaît un arbre à ses fruits. Mais cette évidence est insupportable pour un certain nombre de personnes.

 

Parents mariés et enfants : une source majeure d’inégalité socio-économique

The Two-Parent Privilege: How Americans Stopped Getting Married and Started Falling Behind, tel est le titre de l’ouvrage de l’américaine Melissa Kearney, professeur d’économie à l’Université du Maryland. Ses années de recherche l’ont amenée à confirmer cet état de fait : la richesse d’un environnement familial stable impliquant deux parents engagés l’un envers l’autre donne aux enfants de meilleures chances de grandir, à tous points de vue.

« Les preuves sont accablantes : les enfants issus de familles monoparentales ont plus de problèmes de comportement, sont plus susceptibles d’avoir des ennuis à l’école ou avec la justice, atteignent des niveaux d’éducation inférieurs, et ont tendance à gagner des revenus inférieurs à l’âge adulte. Les garçons issus de foyers sans père sont particulièrement susceptibles d’avoir des ennuis à l’école ou avec la justice. Et on pourrait ajouter que les filles issues de foyers monoparentaux sont beaucoup plus susceptibles de devenir elles-mêmes mères célibataires, et aussi que les garçons noirs semblent particulièrement désavantagés par l’absence de père », écrit-elle dans le New York Times.

C’est un fait, la famille américaine s’effondre, et le phénomène n’est pas nouveau. Aux Etats-Unis, les taux de nuptialité ont chuté : seulement 63 % des enfants vivent avec des parents mariés, contre 77 % en 1980. Le mariage a cessé d’être la norme en ce qui concerne le statut relationnel des adultes : alors que 79 % des hommes américains âgés de 30 à 50 ans étaient mariés en 1980, ce chiffre est tombé à 60 % en 2020.

Et le fait que ce taux de nuptialité reste stable parmi les Américains qui ont fait des études universitaires et accèdent aux classes supérieures, et soit de plus en plus rare parmi la plupart des autres classes engendre des inégalités de plus en plus fortes. L’abandon du mariage et des familles biparentales est à la fois le reflet de cette division et un facteur aggravant.

 

L’effondrement de la famille américaine

Oui, mais il y a le concubinage qui revient au même, pourrait-on entendre ! Non, car ces couples fonctionnent davantage sur le court terme et, en réalité, de nombreuses femmes finissent par élever seules leurs enfants.

Selon une étude du Pew Research Center, près d’un quart des enfants américains de moins de 18 ans vivent avec un seul parent et sans autre adulte, ce qui représente plus de trois fois la moyenne mondiale qui est de 7 %. Et qu’on n’avance pas que c’est un signe de libération du patriarcat et d’autonomie féministe ! Le taux de pauvreté chez les jeunes élevés par une mère célibataire est près de cinq fois supérieur à celui des jeunes vivant avec deux parents mariés. Ces mères célibataires ne sont donc pas les femmes les plus prospères sur le plan économique, ni les plus instruites.

Qu’on ne prétende pas non plus que la politique de régulation des naissances n’est pas assez répandue chez ces classes populaires. Melissa Kearney rappelle que les taux de natalité sont en baisse dans toutes les classes. Ce qui s’est produit, et pour toutes, c’est l’augmentation de la proportion des naissances hors union conjugale. En revanche, il faut noter les grandes disparités dans les ménages biparentaux selon les différents groupes ethniques et raciaux : 77 % des enfants blancs grandissent dans des foyers de parents mariés, contre 62 % des enfants hispaniques, 38 % des enfants noirs et 88 % des enfants asiatiques.

L’histoire et la réalité sont bien celles du déclin du mariage, pilier socio-économique essentiel.

 

Réactions à droite et à gauche

Le détail intéressant, c’est que le panel des lecteurs de ce livre est large. Pour la simple raison que l’auteur se dit modérée. Les uns la disent libérale, les autres conservatrice. Libre à chacun de critiquer, mais tout le monde émet un jugement.

La branche conservatrice, bien qu’elle la remercie chaudement de prendre le risque d’un sujet aussi controversé, concentre ses critiques sur ses recommandations politiques. Melissa Kearney propose, comme solution, de tirer sur les leviers économiques, d’améliorer la position relative des hommes à faibles revenus, d’augmenter les transferts aux familles, etc. L’Institute for Family Studies fait remarquer que la mise en œuvre de ces politiques, qui ne sont pas novatrices, a coïncidé avec le déclin continu du mariage. Est-ce que l’argent seul résoudra ces problèmes ? Le choix de se marier et de rester dans une relation biparentale stable n’est pas purement économique.

La réponse du Washington Post, de l’autre côté de l’échiquier, est éloquente. Selon lui, Melissa Kearney enfonce des portes ouvertes, ce qu’elle affirme est d’une évidence rare. Mais l’intention de l’économiste étant, pour lui, forcément mauvaise, à savoir une remise en cause de la perte des valeurs dans la société, ses chiffres et ses faits sont tout juste regardables… Il faut, selon lui, cesser de regarder vers ce modèle devenu rétrograde du mariage et « réfléchir à de nouvelles possibilités pour la structure sociétale »… Ça tombe bien, un universitaire a récemment proposé un élevage pour les enfants– en batterie sûrement.

Alors, réactionnaire la Melissa ? Juste réaliste.

 

Clémentine Jallais