La question du patriotisme, soit le fait d’aimer sa patrie et de l’aimer avant celles des autres, ce qui ne signifie pas les haïr, se pose à tout Homme, que ce soit à titre d’être humain, de membre d’une Cité terrestre ou de fils de l’Eglise.
Durant la campagne présidentielle française de 2017, tous les candidats majeurs se sont en effet réclamés d’une forme de patriotisme. L’exercice était attendu pour Marine Le Pen ou François Fillon, beaucoup moins chez Emmanuel Macron – élu depuis – et Jean-Luc Mélenchon. M. Macron est l’incarnation de la volonté d’intégration européenne et mondiale, animée par les idéologies européistes et mondialistes, opposées aux Nations, considérées comme des archaïsmes, un stade de l’organisation des sociétés humaines figé au XIXème ; or, sans rien renier de ses convictions profondes, M. Macron s’est déclaré à de nombreuses reprises « patriote », c’est-à-dire attaché aussi à sa patrie française. De même, M. Mélenchon, de philosophie politique d’extrême-gauche marxiste, tenant lui de l’internationalisme prolétarien, bien différent de l’européisme et du mondialisme, mais qui le rejoint en considérant la Patrie comme une structure politique historiquement obsolète, s’est déclaré subitement « patriote » lui aussi…Il y a bien lieu de douter de la sincérité de ces déclarations patriotiques de MM. Macron et Mélenchon, mais elles ont bien été prononcées, et, motivation probable du reste, ont eu un impact électoral positif. L’internationalisme prolétarien pur du discours de M. Mélenchon en 2012 lui aurait coûté quelques points, ce qui ne s’est donc pas reproduit avec la mention positive de la Patrie en 2017.
Ainsi la question du patriotisme est-elle bien un sujet de réflexion qui fait écho à l’actualité de la chose publique. Durant les dernières décennies, mais que sont-elles au regard de deux millénaires d’Histoire de l’Eglise ? le patriotisme a été dénoncé par beaucoup de prêtres et d’évêques dans l’Eglise catholique. Certaines déclarations du pape François, mais tenant du discours « privé » et non du magistère pontifical véritable, peuvent faire croire à une adhésion des plus hautes autorités de l’Eglise à l’idée de l’avènement d’un monde sans-patrie…
Pourtant, les choses sont plus complexes. Le patriotisme est-il vraiment un péché ?
LE COLLOQUE DE RENAISSANCE CATHOLIQUE SUR LA QUESTION DU PATRIOTISME A LA LUMIERE DE LA DOCTRINE CATHOLIQUE AUTHENTIQUE
L’association Renaissance catholique propose, depuis plusieurs décennies (depuis 1988, année de sa fondation, précisément), à travers sa revue, ses livres, ses colloques, des réflexions authentiquement catholiques face aux défis de notre époque.
Ainsi a été tenu le colloque annuel en 2007 de Renaissance catholique, autour du thème « le patriotisme est-il un péché ? ».
Nous avons vu que ce sujet est plus que jamais d’actualité. Aussi est particulièrement pertinente la réédition opérée en décembre 2016 des actes de ce colloque. Quelques articles ont été actualisés. L’exercice n’a pas été possible pour tous, du fait du rappel à Dieu de certains des plus célèbres des auteurs. Mais les réflexions profondes, sur les principes, avec une doctrine catholique, s’appuyant sur la franche érudition de Jean Madiran ou de l’abbé Bruno Schaeffer, énoncent des vérités qui dépassent de loin l’actualité immédiate.
Jean Madiran évoque la question précise de l’Action Française, objet d’une des rares condamnations pontificales – prononcées par Pie XI en 1926 – pour un mouvement politique en France ; selon lui, elle avait été inique ; qu’on le suive totalement ou non sur cette question précise – il y a certainement matière à débat sur le « nationalisme intégral » -, Jean Madiran développe une définition d’un sain nationalisme parfaitement compatible avec la doctrine catholique.
Quant à l’abbé Bruno Schaeffer, il rappelle les fondements de la doctrine sociale de l’Eglise, et ses développements de Léon XIII à Pie XII, à peu près oubliés aujourd’hui, bien à tort, qui inscrivent le chrétien dans une hiérarchie de communauté, avec la famille, la corporation, la nation ; le catholique aime les siens, son métier, sa nation. Les références précises et précieuses sont données. Dans sa prudence, la doctrine sociale de l’Eglise admet parfaitement, et même impose, des limites au droit à l’immigration, actuellement considéré par beaucoup de clercs, et à tort, comme un droit absolu, sans aucune limite théorique ou pratique.
Le colloque, justement ambitieux, a défini strictement et étudié les notions voisines de patriotisme et de nationalisme, et ce sans céder à l’anathème facile courant, en usage tant dans une perspective catholique, distinguant un patriotisme qui serait sain d’un nationalisme qui lui serait intrinsèquement mauvais. Le nationalisme exagéré, agressif envers les autres Nations, belliciste, pose lui effectivement problème, ce qui n’est forcément le cas de tout nationalisme.
Le colloque a osé, à juste titre, car c’est ainsi que se comprennent le mieux les choses, remonté non seulement au XIXème siècle, et aux enseignements pontificaux de ce siècle, mais aussi jusqu’à l’Empire Romain.
LA QUESTION HISTORIQUE DE LA FIN DE L’EMPIRE ROMAIN D’OCCIDENT : LA FAUTE DE CHRETIENS COUPABLES D’OUVERTURE EXCESSIVE A L’AUTRE ? NON !
Michel de Jaeghere propose de longues réflexions sur cette question historique essentielle. Il maîtrise parfaitement la période complexe des IVème et Vème siècles, qui a vu trois phénomènes majeurs : la christianisation de l’Empire romain, son effondrement dans sa moitié occidentale, la submersion de cette partie par des peuples mouvants barbares armés.
Beaucoup de penseurs païens contemporains des événements, ou de néo-païens du XVIIIème siècle à nos jours, ont relevé la concomitance des deux premiers phénomènes et vu un lien de cause à effet. Devenu chrétien, l’Empire romain aurait perdu toute ressource morale pour lutter contre les Barbares envahisseurs. Il aurait ainsi renoncé à se battre, d’où un résultat prévisible, la fin de l’Empire. Le Christianisme aurait détourné les meilleurs cadres civils et militaires vers une carrière ecclésiastique, soit – selon cette thèse – un gaspillage de ressources humaines. Enfin, la compassion chrétienne aurait empêché de faire preuve de toute la dureté nécessaire face aux Barbares. L’Empire païen, à la suite de la République, n’avait pas hésité à accomplir de grands massacres de peuples considérés, à tort ou raison, comme posant des problèmes majeurs, ce que l’on qualifierait de nos jours de génocides, ni plus ni moins. C’est pour le moins dur comme approche, et fort critiquable : il n’y a eu aucune occasion concrète de terrible choix de ce type.
Durant les dernières décennies en France, le courant intellectuel néo-paganisant dit de la « nouvelle droite » a repris cette accusation de chrétiens incapables de servir leur Etat, voire de traîtres. Toutes ces accusations se trouvent chez l’historien britannique Gibbon, dès le milieu du XVIIIème siècle. Ces auteurs néo-paganisants se sont servis aussi en abondance de citations de clercs catholiques confus qui, depuis plus d’une quarantaine d’année, ont développé le thème de l’ouverture à l’autre jusqu’à l’antipatriotisme manifeste.
Ce recours facile a tenu en fait de la démarche anachronique : les penseurs chrétiens des IV et Vème siècle n’ont jamais prétendu que l’Empire ne devait surtout pas se défendre, et accueillir dans la joie les Barbares…Voir dans l’allochtone arrivant en masse nécessairement « une source de richesse » relève d’une approche pour le moins naïve. Un pays a le droit de rester lui-même, en bonne doctrine chrétienne, ce qui n’est plus le cas en cas d’immigration de masse. Saint Augustin, penseur catholique majeur de ce temps, et de tous les temps, avait explicitement invité les Catholiques à accomplir leurs devoirs civiques envers l’Empire, y compris le devoir de le défendre par les armes contre les Barbares !
En outre, les Barbares des IVème et Vème siècle étaient souvent chrétiens, ou aspirant à l’être, même s’ils avaient plutôt adopté l’hérésie arienne, dans un premier temps, que le Catholicisme. Il n’y avait pas à l’époque le poids fondamental de l’islam qui empêche toute assimilation, cette croyance n’apparaissant qu’au VIIème siècle en Arabie. Force est de constater que les invasions barbares, de manière probablement involontaire, ont toutefois fini par emporter l’Empire romain. Le niveau de civilisation s’est alors effondré, pour de nombreux siècles. L’Eglise a alors servi à préserver l’essentiel de la culture littéraire antique, chrétienne mais aussi profane.
Une chose qui n’a pas été vue, et qui aurait mérité un commentaire, est précisément le caractère impérial, et non national de l’Empire romain. Les sujets de l’Empereur devaient se sentir Gaulois, Ibères, Italiens, Africains (au sens antique, correspondant à l’Afrique du Nord actuelle), avant tout, suivant leurs Nations naturelles, d’où peut-être un léger manque de zèle parfois pour sauver l’Empire d’Occident. Et ceci n’a rien à voir avec le Christianisme.
LA REPONSE A LA QUESTION POSÉE : LE BON CATHOLIQUE EST AUSSI UN BON PATRIOTE !
Le catholique appartient certes, par définition, à une Eglise universelle, comme l’indique l’étymologie grecque du terme. Le catholique doit donc posséder une dimension essentiellement spirituelle dépassant le seul cadre national. En cela, il diffère de beaucoup d’Eglises orthodoxes, grecques schismatiques, qui se veulent avant tout, sinon exclusivement, nationales. Pourtant le catholique ne fait-il que s’inscrire dans une dimension universelle ? Non, et nous avons vu pourquoi.
En outre, concrètement, cette universalité fraternelle, voulue d’inspiration chrétienne par certains, est aujourd’hui confondue avec le mondialisme, la volonté de réaliser un monde sans frontières, uni sur des valeurs complètement opposées à celles du Catholicisme ! Ainsi l’ONU, organisation incarnant le mondialisme, réalise-t-elle la promotion systématique de la contraception, de l’avortement, des « droits des minorités sexuelles », ce qui signifie concrètement la promotion de l’homosexualité, et de bien des comportements sexuels fantaisistes réprouvés par la morale catholique. Il n’existe pas de communauté humaine chrétienne universelle sur le plan de l’organisation politique et sociale de la vie des hommes. En pratique, réfléchir à son institution aboutit au mieux à des utopies irréalisables, au pire à une confusion avec les rêves maçonniques de république universelle. Rappelons que la franc-maçonnerie est hostile au catholicisme et promeut des valeurs – au sens sociologique – qui lui sont opposées.
Le catholique doit vivre sur terre, au sein de communautés humaines naturelles. Il doit s’inscrire dans une communauté locale, une commune, et une communauté nationale, une nation. Tels sont les repères naturels de l’homme. Dieu, qui a créé l’homme, l’a voulu ainsi. On ne peut pas dépasser la nature humaine. L’homme n’est certainement pas meilleur aujourd’hui qu’hier, bien au contraire. Par exemple, le fameux « droit à l’avortement », promu par le mondialisme onusien, en vient ainsi à tuer un tiers des enfants avant leur naissance en France ; il s’agit donc là d’un fait social absolument massif, non de quelques cas marginaux particulièrement douloureux. Cet avortement de masse aurait été totalement impensable dans la Chrétienté médiévale, organisée suivant des royaumes nationaux, des Portugais aux Polonais, voire, et nous n’en faisons pas un modèle, le paganisme antique. Ce dernier tendait plutôt, globalement, au respect de la vie et à la famille, en soi et par utilité à la Cité.
Les papes de Léon XIII à Pie XII ont certes condamné le nationalisme excessif, mais précisément dans ses excès, et non le nationalisme en tant que tel, ni a fortiori tout patriotisme, comme on voudrait le faire croire de nos jours. Jean Madiran et l’abbé Bruno Schaeffer l’ont particulièrement démontré lors de ce colloque, avec talent formel, rigueur de la démonstration et précision. A titre de comparaison, le socialisme et le communisme ont été condamnés absolument par les enseignements pontificaux, pour leurs philosophies profondes, et pas seulement des excès. Et cette condamnation n’est, bien à tort, plus guère rappelée de nos jours. L’amour de sa nation peut conduire aussi à aimer sa religion traditionnelle, comme le catholicisme pour la France. C’est au contraire l’adhésion, ou du moins la collaboration pratique, à des idéologies mondialistes et sans-frontiéristes qui posent ou devraient poser de graves problèmes moraux aux catholiques, et non l’amour de leur patrie, et ses conséquences pratiques.
Octave THIBAULT
Prix 23 €.
Le Patriotisme est-il un péché ?
Auteurs :
Ouvrage collectif (11 auteurs)
Collection :
Actes de la XVIe Université d’été de Renaissance Catholique
Format :
150mm x 210 mm
Pages :
environ 434 p.
Rayon :
politique – société
EAN :
9782916951164
Parution :
décembre 2016