Le 43e pèlerinage de Chrétienté qui relie, depuis 1983, Paris à Chartres a battu en cette Pentecôte 2025 des records de participation. Jamais autant de pèlerins, bannières claquant au vent qui a bien soufflé cette année, n’ont arpenté les routes de la Beauce depuis la refondation contemporaine de cette marche pieuse et expiatrice dont l’histoire remonte au Moyen Age. Les 19.000 inscriptions enregistrées en un temps record ont interpellé la presse (le pèlerinage de la Fraternité Saint-Pie X de Chartres à Paris rassemblait quant à lui 5.500 marcheurs).
L’affaire se jouait si l’on peut dire à guichets fermés et on ne compte pas le nombre de déçus qui ont dû renoncer à venir participer, impatients de subir deux nuits trop succinctes et à la dure, les classiques ampoules aux pieds, tendinites et coups de soleil, et le temps toujours trop humide, trop froid ou trop chaud… Cela dit il fut clément. On a beau nous épouvanter avec le réchauffement climatique, en cette année de Pâques tardives, le mercure n’a pas grimpé au-delà des 22° et les nuits furent fraîches. D’où cette forte impression de douceur ? Mais peut-être est-ce aussi un vent de liberté et de reconnaissance qui souffle. Avec Léon XIV, la donne a vraiment changé. C’était manifeste dans l’homélie de Mgr Christory, qui avait insisté pour prêcher en sa cathédrale à la messe solennelle du Lundi de la Pentecôte : il parla du Christ, « le seul sauveur » en accueillant les pèlerins.
« Que Jésus soit la source, le centre, la raison d’être de nos vies… Le Jubilé de l’Espérance à Rome et le Jubilé des mille ans de la crypte à Chartres sont des canaux de la grâce que Jésus communique à qui se met à son école en l’écoutant en vérité », prêcha-t-il en s’appuyant sur la récente lettre de Léon XIV aux évêques de France. Jésus « s’offre en victime pour payer le rachat de nos péchés »… Oui, le ton, me semble-t-il, a changé. Le nouveau pontificat donne le ton, et il est Christo-centré.
Le pape Léon XIV a prié pour les pèlerins du 43e pèlerinage de Chrétienté
« Nous avons connaissance que le pape Léon prie pour que chaque pèlerin vive une rencontre personnelle avec le Christ », avait d’ailleurs annoncé Mgr Christory en accueillant les pèlerins. Ce n’est pas tout à fait une bénédiction apostolique, mais ce n’est pas non plus le rejet moqueur d’une jeunesse qui trouve ses délices dans la liturgie traditionnelle de l’Eglise latine.
Emotion de voir cette marée de drapeaux et de bannières – certaines datant des origines du pèlerinage de Chrétienté et portées par le chapitre Notre-Dame des Victoires du Centre Henri et André Charlier – avancer solennellement dans la nef d’une cathédrale toujours en pleine réfection, et dont les parties restaurées disent toute la lumière du Moyen Age. Pour les porte-drapeaux et bannières, quelle fierté ! Ce sont le plus souvent de jeunes gaillards, parce que la moyenne d’âge du pèlerinage dépasse à peine les 20 ans, mais s’y mêlaient des hommes et des femmes d’âge mûr, et surtout cette jolie petite fille en costume traditionnel portant haut les couleurs de sa Bretagne.
Cette arrivée des drapeaux des régions et des nations avait plus que jamais son sens eu égard au thème de cette année : « Pour qu’Il règne, sur la terre comme au ciel. » Dans son mot d’envoi adressé aux pèlerins à la fin de cette messe de clôture, l’aumônier général, l’abbé Jean de Massia, devait rappeler le sermon que prononça en pareille occasion par Dom Gérard du Barroux voici quarante ans, en 1985 : son célèbre Sermon sur la chrétienté.
Le sermon sur la Chrétienté sur la route de Paris à Chartres
« Qu’est-ce que la chrétienté ? (…) C’est la lumière de l’Evangile projetée sur nos patries, sur nos familles, sur nos mœurs et sur nos métiers… Si nous cherchons à pacifier la terre, à embellir la terre, ce n’est pas pour remplacer le Ciel, c’est pour lui servir d’escabeau », cita l’abbé de Massia. C’est tout ce sermon historique qu’il faut relire. Et peut-être surtout ces mots : « Chers amis, nous n’avons pas peur de la révolution : nous craignons plutôt l’éventualité d’une contre-révolution sans Dieu ! »
Et l’abbé de Massia de montrer que cette espérance et cette mise en garde sont plus que jamais d’actualité : « Vous êtes la preuve vivante que le flambeau des chercheurs de Dieu ne s’est pas éteint… Alors que l’on annonçait la fin du christianisme dans notre vieille Europe, alors que des lois se déchaînent pour offenser Dieu, dans le même temps une foule d’inconnus, de catéchumènes, de recommençants, de convertis découvrent Jésus-Christ, se convertissent à l’Evangile, vous en êtes les témoins !… Quel encouragement pour les rêveurs de chrétienté que nous sommes… Car au fond, si nous voulons que le Christ règne, et que l’Evangile irrigue cette terre desséchée, ce n’est pas pour prendre une revanche sur nos ennemis. Ce n’est pas pour faire triompher un parti. Ce n’est pas pour écraser les autres, mais c’est parce que nos cœurs sont étreints de l’immense pitié du Christ de voir tant d’âmes passer à côté du vrai bonheur, perdues dans une société qui s’est organisée pour les éloigner de Dieu. »
« Pour offenser Dieu », « pour éloigner de Dieu » : il y a en effet une action consciente, une volonté, une finalité dans les temps que nous vivons, qui se résume en deux mots : Non serviam. Face à quoi il ne faut pas prendre les moyens du monde : « Le but de tout ce que nous faisons, de notre engagement, c’est la charité, c’est l’amour de Jésus, c’est l’amour des gens. »
La foi des jeunes soutenue par d’insignes reliques
Cette année, privilège insigne, la relique du Voile de la Vierge que l’on vénère à Chartres accompagna l’entrée des pèlerins en s’intégrant dans la procession des bannières. Mais aussi des reliques de la Vraie Croix, généreusement prêtées par le diocèse d’Angers, et affixées à une lourde croix de procession en bois, ornée du Cœur Sacré de Jésus portée sur les 105 kilomètres du parcours par les membres de l’association SOS-Calvaires qui l’avait fabriquée. Elle fut dressée dans le chœur et c’est devant elle que fut prononcée la consécration au Sacré-Cœur du pèlerinage et de tous les pèlerins, à l’occasion du 350e anniversaire de ses apparitions à sainte Marguerite-Marie à Paray-le-Monial.
Sans doute cela a-t-il donné un surcroît de courage à ces milliers de jeunes, heureux de chanter à tue-tête en avançant sur les chemins de Chartres, mais prêts aussi au silence : ce silence qui est une marque de la liturgie tridentine qu’ils aiment, avec toute sa transcendance et sa sacralité. Cette année a été marquée par des attaques multiformes contre ce que l’on dénonce comme l’« exclusivisme » de la messe traditionnelle au pèlerinage de Chartres : ses ennemis veulent en faire la preuve d’un manque d’unité et de charité fraternelle, et la preuve d’un raidissement qui s’attache aux formes jusqu’à mépriser ceux qui n’y adhèrent pas. L’idée est d’imposer la messe Paul VI au pèlerinage de chrétienté, en obligeant ses organisateurs à accepter qu’elle puisse être dite en son cadre. La tranquille ténacité des cadres laïques de Notre Dame de Chrétienté, qui ont montré depuis les débuts de 1980 qu’ils ne céderont pas, a déjà permis à des dizaines de milliers de jeunes de découvrir toute la beauté de l’ancien rite – dont une journaliste ignare de TF1 a pu dire avec aplomb, lors de son reportage pour le JT de samedi soir par ailleurs sympathique, qu’il n’est « pas reconnu par le Vatican » !
France 3 a fait encore mieux, diffusant sous la signature de Toky Nirhy-Lanto, Lagomaina Hoatou et de l’AFP ce propos surréaliste : « Cette année, la messe a été organisée de façon ordinaire. C’est ce qu’on appelle la messe nouvelle : célébrée dans la langue “locale”, et face à l’assemblée. Dans ce cadre, les fidèles eux-mêmes peuvent distribuer la communion. Ce que rejette le courant traditionnaliste. » Peut-être ont-ils vu trois images filmées montrant Mgr Athanasius Schneider – lui qui se présente aujourd’hui comme le « missionnaire de la tradition » – prononcer l’homélie du dimanche en français et face à la foule ?
Le 43e pèlerinage de Chrétienté attire l’attention des médias
On sourit, mais le fait est que le pèlerinage de Paris à Chartres est devenu enfin, plus de quarante ans après ses débuts, un fait de société qui attire le regard médiatique, qui ainsi, à sa façon – sauf incompréhension abyssale de tel ou tel journaliste – le rend missionnaire. Pour la deuxième année consécutive, Cnews a ainsi choisi de diffuser la messe de la Pentecôte depuis la halte de Rambouillet, rendant la découverte « fortuite » de la messe traditionnelle accessible à tous les foyers équipés d’un écran de télévision.
Ce fut donc Mgr Schneider qui prêcha : une homélie courte mais vigoureuse rappelant que nul ne peut vivre « de la plénitude de la vie du Christ sans être dans son Corps mystique, dans l’Eglise catholique ». Prend-on la mesure de ce que cela signifie que d’être dans le Corps mystique ? Mgr Schneider cita à ce propos le saint Curé d’Ars évoquant l’état des âmes habitées par le Saint-Esprit : « C’est le Saint-Esprit qui forme les pensées dans le cœur des justes et qui engendre les paroles de leur bouche. »
Il a fait l’éloge de la messe traditionnelle, le vrai « rite pentecôtiste », qui donne « l’ébriété sobre » d’une liturgie « guidée par la raison illuminée par la foi, aussi par la dignité et la beauté extérieures » – « rite jamais dépassé ou démodé ».
Mgr Schneider a fortement évoqué le thème central du pèlerinage : celui de Jésus-Christ régnant « sur tous les cœurs des hommes, sur toutes les nations, sur toutes les sociétés et institutions humaines », et rappelant qu’aucune « fraternité humaine » ne peut atteindre à la paix sans la reconnaissance de cette royauté, dans l’adhésion à l’Eglise catholique, le respect des commandements de Dieu et la « charité infatigable » à l’égard du prochain dans l’amour surnaturel.
La foi enthousiaste des jeunes sur les routes de Paris à Chartres
Tous les pèlerins, de tous les âges mais jeunes dans leur grande majorité, qui ont bénéficié d’une organisation dont on imagine la complexité, d’autant que les effectifs gonflent d’année en année, ont pu trouver dans ces trois jours d’effort une récompense d’une valeur infinie, le Christ lui-même, entourés de l’amour maternel de Notre-Dame de Chartres.
Regardons-les s’avancer vers les marches de l’autel de la cathédrale pour recevoir la sainte hostie… Leurs traits sont parfois tirés par la fatigue, les pieds – objets des soins constants du pèlerin – se posent avec précaution pour avancer malgré la douleur, c’est cabossés mais purifiés, le regard clair, qu’ils s’agenouillent comme des générations de chrétiens l’ont fait avant eux pour recevoir Jésus lui-même. Ils savent pourquoi ils vivent ; ils veulent le règne du Christ dès aujourd’hui et d’abord dans leurs âmes, avant de rejoindre ces mêmes prédécesseurs dont la foi et les dons s’expriment dans la beauté pérenne de cette cathédrale bâtie pour accueillir le saint sacrifice.
Ce n’est pas un hasard si la messe s’achève sur le Christus vincit, Christus regnat, Christus imperat. C’est le présent de l’indicatif, le temps de la réalité et même de la certitude : contre Lui, nul ne peut rien.