Peter Thiel : « Je suis allergique à l’IA »

Peter Thiel allergique IA
 

Peter Thiel, fondateur de PayPal et Palantir, fervent partisan de Donald Trump dès ses débuts, est l’un des hommes les plus riches et les plus influents au monde. Et à sa façon, il pressent le vrai danger de la montée de l’intelligence artificielle, ainsi qu’il l’a expliqué lors d’un grand entretien avec le média britannique de droite The Spectator dans lequel il se dit « allergique à l’IA ». L’IA telle qu’elle est réellement…

« Je suis allergique à l’IA depuis longtemps, car cela peut être un horrible mot à la mode. En 2016, sous l’administration Obama, le Conseil national des sciences et des technologies a publié un rapport sur l’IA. Si on avait fait une recherche et remplacé chaque occurrence du mot “IA” par “ordinateurs”, le texte aurait été identique », note ainsi Peter Thiel. Il ajoute :

« Au fil du temps, l’IA a également pris des significations très différentes. En 2014, Nick Bostrom l’a définie comme des machines bien plus intelligentes que les humains. Kai-fu Lee a écrit en 2017, en contrepoint, donnant le point de vue du PCC (Parti communiste chinois) AI Superpowers : il l’y définit comme une sorte d’apprentissage automatique low-tech basé sur les big data. Voilà qu’en 2022, il s’avère que la révolution de l’IA est constituée de LLM (grands modèles linguistiques) capables de passer le test de Turing. Pendant 70 ans, on pensait que c’était cela, l’IA. Ainsi, au cours de la décennie qui a immédiatement précédé cette réussite du test de Turing, nous l’avions oublié. »

 

Peter Thiel allergique à une IA dont on a masqué les capacités ?

Le test de Turing évalue la faculté d’une machine à imiter la conversation humaine. Et depuis la sortie publique de ChatGPT en novembre 2022, les LLM ont montré en l’espace de moins de trois ans leur capacité à tout changer : la perte de la réflexion pour ceux qui se reposent sur eux, les relations humaines qui au pire des cas cèdent devant les échanges avec les robots, la montée des paranoïas liée à ces relations homme-machine, la menace sur les emplois « intellectuels », la montée des robots équipés d’IA qui menace les emplois manuels. Faut-il vraiment croire que personne ne l’avait vu venir ?

Discrètement, Peter Thiel décrit le champ de cet aveuglement dans sa réponse à la dernière question de cette interview menée par des jeunes journalistes du Spectator, qui l’avaient interrogé sur les grands thèmes économiques : « Y a-t-il un domaine de pointe sur lequel vous concentreriez votre énergie ? »

Thiel répond :

« Pour conclure, j’ai passé beaucoup de temps à réfléchir au passé ; parce que c’est important. C’est ce qui nous a amenés au point où nous en sommes. C’est ce qui a façonné bon nombre de ces débats. En même temps, l’histoire a aussi ses limites. Si on se concentre trop sur elle, on ne prête pas suffisamment attention à l’avenir. Il ne s’agit pas seulement de réfléchir au passé.

« Il existe une pièce médiévale sur l’Antéchrist datant de 1160 environ, Ludus de Antichristo. Ce n’est pas une très bonne œuvre littéraire, mais elle met en scène trois rois, les conquérants de l’Antéchrist, qui se concentrent principalement sur le nationalisme, leur pays ou leur histoire. Et ils perdent, parce qu’ils sont trop obsédés par le passé, tandis que l’Antéchrist pense à l’avenir et à ce qui peut être fait. Ils ne voient pas l’Antéchrist arriver. Ainsi, même s’il est très important pour les gens de droite de réfléchir au passé, à l’histoire et à ce qui s’est passé, ils ne doivent pas pour autant perdre de vue l’avenir. »

 

Dans l’avenir, Peter Thiel devine l’Antéchrist

Cet avenir dont tout dit déjà qu’il sera façonné par l’IA ?

Le reste de l’entretien contient quelques autres pépites. Peter Thiel note ainsi que « la dette étudiante s’élevait à 300 milliards de dollars en 2000, contre environ 2.000 milliards aujourd’hui » : « La crise financière mondiale de 2008 a été un tournant décisif. Les emplois de premier échelon sont devenus moins bien rémunérés. Pour les étudiants diplômés après 2008, il est devenu beaucoup plus difficile de se sortir de l’endettement. La dette étudiante vous empêche d’acheter une maison, de fonder une famille, de devenir un véritable adulte. Vous vous retrouvez dans une société complètement différente. »

Une société qui va contre la vie…

A une question sur la « Diversité-équité-inclusion », Peter Thiel répond :

« La diversité peut fonctionner de manière anti-technologique. Si la diversité signifie vraiment homogénéisation, appliquons cela aux scientifiques. Aucune hétérodoxie n’est autorisée, aucune hétérodoxie sur la science du climat, aucune hétérodoxie sur l’évolution, aucune hétérodoxie sur les vaccins, sur les masques, sur l’origine du covid. Tout le monde a l’air différent, mais doit penser de la même manière. La diversité signifie donc la conformité. Et la conformité n’est pas compatible avec la science. Et si la diversité est un schibboleth – c’est je pense, sa signification profonde – alors nous adorons ce dieu appelé diversité. C’est un dieu inconnu. C’est un tour de magie hypnotique qui détourne notre attention. Et donc, nous ne nous soucions plus de la science. »

 

Peter Thiel qualifie la « DEI » de schibboleth et de « dieu diversité »

La définition du schibboleth selon Littré est celle-ci : « Langage ou manières qui appartiennent à des groupes exclusifs, et qui désignent ceux qui en sont et excluent ceux qui n’en sont pas. »

Et la réponse de Peter Thiel à cette dernière question – « Beaucoup de personnes proches du mouvement MAGA semblent penser que le “wokeness”, ou “marxisme culturel”, a surgi de nulle part au début des années 2010, alors que vous avez déjà fait remarquer qu’il s’agit d’un phénomène d’après-guerre » – est elle aussi intéressante :

« Les guerres culturelles sont importantes. Et il y a des cas où un camp a raison et l’autre a tort. Mais le gros problème, c’est que cela nous détourne de questions telles que le logement ou l’économie en général, ou encore la science et la technologie, voire de la prise de contrôle du monde par le PCC. C’est là que je m’oppose à l’utilisation du terme “marxisme culturel”. J’ai toujours pensé que le marxisme concernait au minimum l’économie. L’accent mis sur la politique identitaire, le multiculturalisme et la discrimination positive a commencé dans les années 1970. C’est à ce moment-là que les inégalités ont commencé à augmenter. Ces éléments ont au moins contribué à détourner notre attention de ce que je considère comme des problèmes plus importants. »

Le communisme est toujours là, agissant sur tous les plans !

 

Jeanne Smits