La politique change avec la Cité : à nouvelle civilisation, nouvelle pratique des institutions

politique change avec Cité
 

Sébastien Lecornu en est à son deuxième ministère en quelques semaines, c’est le cinquième Premier ministre consommé par Emmanuel Macron depuis sa réélection en 2022 et le troisième, après Barnier et Bayrou, depuis la dissolution de 2024. Il vient d’échapper à deux motions de censure. Comme son avenir dépend des socialistes, il a suspendu la réforme des retraites. Et, quand une majorité de Français souhaite une « coalition des droites » au pouvoir, sa déclaration de politique générale a mis le cap à gauche. Aux écolos il a promis un « nouvel acte de décentralisation (…), formidable occasion pour repenser complètement notre planification écologique et énergétique ». Aux autres, une ponction des « grandes fortunes ». Mais pour rassurer sa droite, elle sera « exceptionnelle ». Bref, il godille pour s’assurer les bonnes grâces de la « majorité absolue à l’Assemblée nationale qui refuse la dissolution ». C’est avouer que nos institutions sont bloquées. La faute n’en est pas à Macron ni à sa dissolution. En réalité, nos institutions datent de 1958 et reflètent un Etat de la France qui n’existe plus. Ni les populations, ni leurs us, mœurs et croyances ne sont les mêmes : nous entrons dans une nouvelle civilisation. Or, quand le Cité change, la façon de faire de la politique change aussi car les grandes questions à trancher ont changé. Aujourd’hui, la plus urgente est celle de l’invasion du pays. C’est elle qui régira les futurs regroupements politiques, comme le disent les difficultés des républicains et les votes des motions de censure.

 

De mauvaises institutions blessent la Cité

Dans le célèbre discours qui domine le début de la guerre du Péloponnèse que Thucydide met dans la bouche de Périclès, celui-ci attribue la supériorité de la démocratie athénienne à ce qu’il nomme sa Politeïa, que certains traduisent par constitution, et qui signifie proprement esprit de la Cité : si les citoyens sont plus actifs, plus inventifs et plus courageux, c’est qu’animés par la liberté ils sont prêts à agir en tout pour elle, non seulement par leur vote mais par l’ensemble de leurs actes, et c’est précisément cette union intime entre la forme politique qu’ils ont choisie et leur être qui fait leur puissance. A l’inverse, Maurras, au tournant du vingtième siècle, déplorait l’opposition entre le pays réel et le pays légal qui caractérisait selon lui la Troisième République et en faisait un régime nocif : des institutions artificielles imaginées par des idéologues blessaient l’organisme français comme une mauvaise chaussure le pied. Cela nous rappelle qu’une forme politique ne découle pas d’une décision arbitraire mais suit l’état du corps auquel elle s’applique.

 

La France a changé de civilisation, pas de politique

Il en va ainsi, naturellement, de la France et de sa Constitution. Quand le général De Gaulle l’a fait adopter par référendum en octobre 1958, voilà soixante-sept ans, la France était un pays « blanc, chrétien, de culture gréco-latine », pour parler comme le fondateur de la Cinquième République, encore marqué par ses racines paysannes, comptant sept millions de paysans et moins de 400.000 non-Européens sur le sol métropolitain. Quatrième puissance économique du monde, dotée d’une forte armée de conscription et d’une école à la discipline stricte, non discutée, une société stable et sûre, c’était une république laïque pétrie de mœurs, d’idées, d’us, de sentiments catholiques, comme l’a noté par exemple à son arrivée de Tunisie le philosophe juif Albert Memmi. Aujourd’hui les choses ont changé, qu’on s’en loue ou qu’on le déplore, et la Nouvelle France qu’appelle Jean-Luc Mélenchon de ses vœux est à nos portes, elle est déjà là, le temps que finisse une génération. L’idéologie active du pays légal a bouleversé le pays réel, l’arc-en-ciel a balayé nos us, mœurs, croyances, et, en organisant l’invasion, il a remplacé nos populations. Nous entrons dans une nouvelle histoire, une nouvelle civilisation, une nouvelle cité avec nos vieilles formes politiques : c’est toute l’histoire des pauvres Lecornu, Barnier et Bayrou.

 

Blocage politique et bascule de civilisation

La Constitution de 1958 avait pour mission de résoudre, avec le concours du suffrage universel, les principales difficultés rencontrées en France depuis 1848, question dites scolaire ou religieuse, question économique et sociale, la question coloniale, primordiale dans la conjoncture, étant alors en voie de résolution rapide. Pour savoir comment faire cuire le gâteau national et le partager, pour départager catholiques et francs-maçons, différentes nuances de droite, de gauche et du centre trouvaient à s’exprimer dans les institutions. La droite en gros voulait qu’on ménage les catholiques et la gauche qu’on fasse plus de social. Aujourd’hui, ce dispositif fonctionne à vide. Le dernier parti préconisant de défendre l’ordre naturel, anti avortement, anti LGBTQ, anti GPA, anti euthanasie, etc, était le Front national, qui fut diabolisé pour cela. Il a été remplacé par le Rassemblement national, qui s’est complètement normalisé et ne défend plus, en tant que parti, une vision chrétienne de la vie – même si de nombreux électeurs et quelques cadres de sa frange droite le font, comme aussi quelques amis de Bruno Retailleau. Cependant, sur la question de l’invasion-immigration, il préconise une politique à peu près claire qu’il fut longtemps seul à défendre : une majorité de la population ayant pris conscience du danger vote pour lui.

 

Le front républicain a provoqué le blocage des institutions

C’est ce qui explique l’extrême désordre des réponses politiques en France depuis la dissolution de 2024. Celle-ci n’a pas produit de majorité. Pourquoi ? Parce que les partis, coalitions et institutions du passé, parlaient d’un peu plus d’impôt ou moins de dette ou de transition énergétique, quand l’électeur se demande comment survivre au changement de monde, à la bascule de civilisation actuelle. Cette question elle-même était double : comment affronter l’invasion, l’insécurité, les nouvelles mœurs et la pauvreté qu’elle engendre, et comment s’opposer au déclin moral ? En Italie, Giorgia Meloni répond aux deux questions. En France, le RN, par démagogie ou conviction, néglige la deuxième. Tel quel, il aurait recueilli une majorité si Gabriel Attal n’avait érigé en 2024 un barrage républicain allant des macronistes à l’extrême gauche. Depuis, aucune majorité n’a pu se dégager et trois Premiers ministres en ont fait les frais, enfonçant la France dans l’impasse : le Front républicain a définitivement bloqué les institutions de la Vème.

 

Le défi républicain : comprendre que la Cité change

Pour en sortir, il suffirait pourtant que les élus français se mettent au diapason de leurs électeurs et qu’au lieu de raisonner dans leurs vieilles ornières ils tiennent compte de la révolution des mœurs et des populations. Qu’ils répondent aux questions d’aujourd’hui. Or l’analyse des scrutins des motions de censure montre que c’est encore loin d’être le cas. Si le RN et l’UDR ont voté la motion présentée par la France Insoumise, dans l’espoir d’une dissolution qui permettrait au peuple français de s’exprimer, la gauche, demeurée dans la vieille lecture des institutions, ne s’intéresse qu’aux problèmes d’hier et a refusé par sectarisme de voter la motion RN. Il n’y a donc rien à attendre de ce côté, et c’est compréhensible : Jean-Luc Mélenchon, ses séides et ses supplétifs sont partisans du changement de civilisation induit par la révolution arc-en-ciel et ne veulent pas de l’élection d’une majorité qui pourrait s’y opposer. Mais d’un autre côté, comme nous l’avons écrit récemment, le terme « union des droites » pollue le paysage politique et empêche de comprendre comment débloquer les institutions : ce qu’il faut, c’est une union, ou une coalition, constituée contre la bascule de civilisation, contre la révolution arc-en-ciel mondialiste, une union pour la Nation.

 

Paria des institutions, le RN devant la crise de civilisation

Certains commencent à le comprendre doucement. Un François-Xavier Bellamy, vice-président des Républicains, a déclaré : « Si j’étais député à l’Assemblée nationale, je voterais la censure. » Et Bruno Retailleau hésite. Les jours pairs, il refuse la main tendue de Bardella : Vendéen, il trouve certains RN peu reluisants sur la question bioéthique, l’avortement et tout ça, il les juge aussi bien partageux et irréfléchis sur la chose économique : comment lui donner tort ? Mais, les jours impairs, il commence à imprimer que l’urgence est de ne pas sombrer dans le chaos qu’amène la Nouvelle France de Mélenchon et semble prêt à donner sa main. Ainsi l’esprit vient-il doucement aux filles. Il serait souhaitable que de l’autre côté, le RN comprenne que l’invasion n’est pas la seule menace sur notre civilisation et prenne la mesure du côté moral et spirituel du bouleversement actuel. Le temps presse : pour que nos institutions permettent de regagner quelque chose qui ressemble un peu à la France, il faut les recentrer sur les questions d’aujourd’hui, de sorte qu’elles opposent deux grands camps : celui de la révolution arc-en-ciel et celui de la résistance.

 

Pauline Mille