Il devait être nommé « dans les vingt-quatre heures », puis dans les quarante-huit heures. Finalement, le nouveau Premier ministre, François Bayrou, qui obtient ainsi un bâton de maréchal longtemps recherché, a donné du fil à retordre à Emmanuel Macron. Mais, moins que son nom, importait la marge de manœuvre du président et la sienne propre, qui conditionnent sa future (in)action et expliquent la chute de son prédécesseur Michel Barnier. En fait, les commentaires de la presse et ceux de la classe politique le montrent, Emmanuel Macron est désigné comme le coupable de l’impasse actuelle et sommé de s’en aller (pour Manon Aubry, de LFI, il « est détesté dans ce pays, plus personne ne veut de lui ») : or c’est en fait le système tout entier qui craque. Cela rappelle le mot de Clemenceau sur son chef de cabinet Georges Mandel qui lui servait de fusible : « Quand je pète, c’est lui qui pue. » Contrairement aux apparences, ce qui s’est joué ces dernières heures, ce n’est pas le sort du Premier ministre, mais celui du président, que le système, après l’avoir adulé (souvenons-nous de mai 2017), pousserait volontiers vers la sortie s’il venait à rater sa manœuvre. Mais alors surviendrait le vrai « saut dans l’inconnu ».
L’impossible équation de Macron pour un pacte de non-censure
Que l’équation soit difficile à résoudre pour Macron, tout le monde en convient, et la raréfaction des candidats dans le vivier des Premiers ministres potentiels se manifeste en la personne de Jean-Yves Le Drian, ancien de l’ère mitterrandienne. Il a refusé le poste, selon ses propres dires, parce qu’il aura 80 ans dans deux ans et demi, « ce ne serai pas sérieux ». Pourtant, il correspondait assez bien au profil défini par le député Ensemble pour la République Thomas Cazenave, c’était un homme qui « a l’art du compromis, qui puisse s’adresse à la droite comme à la gauche », comme ses concurrents sélectionnés par les médias, Cazenave, Lescure, Lecornu, quelques autres et le (mal)heureux élu, François Bayrou. Ce fameux profil qui avait d’abord mené Emmanuel Macron à choisir, en septembre, Michel Barnier. Le drame est qu’il a été censuré, et que les médias placent en tête de la liste des « chantiers » du nouvel arrivant un « pacte de non-censure » pour éviter d’être éjecté, notamment quand il affrontera trois grands dossiers, le budget, les retraites et l’immigration.
De Mélenchon à Wauquiez, le système veut la même politique
Mais ni les uns ni les autres ne semblent voir l’éléphant devant eux dans le couloir. Macron, et les notables qui gouvernent la France, se placent dans un système dont le périmètre exact peut varier, mais qui suppose toujours d’exclure ceux qu’on nomme extrémistes : hier le FN, puis le RN, seul, ce qui a permis aux LR, aux machinistes et à la gauche d’échapper en juillet dernier à la déroute électorale, aujourd’hui le RN et LFI. La désignation de l’extrémiste est toujours arbitraire et répond au besoin de la coalition qui veut gouverner : aujourd’hui, par exemple, Macron a refusé de consulter Mélenchon et Le Pen, mais a reçu Sandrine Rousseau, qui, en matière économique et sociétale, est tout aussi extrémiste que LFI, et qui vient à la fois, chez Gilbert Bourdin, d’insulter un peu sottement la religion catholique tout en s’en prenant à l’écrivain algérien Boualem Sansal que l’Algérie vient d’arrêter. Donc, aussi bien le PS que Macron que LR ou les centristes et les écologistes tendent à perpétuer, avec des nuances qui répondent aux intérêts propres de chacun, l’omelette coupée aux deux bouts qui permet d’associer les mêmes à la même politique.
Derrière Macron, c’est le système qui refuse d’écouter les Français
Or, comme l’a fort bien dit le sénateur communiste Yann Brossat, « ce qui compte, ce n’est pas l’emballage du cadeau, c’est son contenu. La vraie question pour nous, c’est : pour quelle politique ? ». Il a raison, il faut un changement de politique pour sortir de la difficulté, et c’est pourquoi Boris Valaud, le chef du groupe socialiste à l’Assemblée a lui aussi raison, il existe aujourd’hui un « risque d’aggraver la crise politique et institutionnelle ». C’est parce que ni Macron, ni son Premier ministre nommé, ni Brossat, ni Valaud, ni LFI n’ont compris la nouvelle politique qu’il faut mener, ni pourquoi Barnier est tombé. Barnier a été censuré, Macron est détesté parce qu’ils ne mènent pas la politique que les Français réclament depuis quarante ans. Boris Valaud s’accroche à un détail lorsqu’il reproche à Macron d’avoir « lui-même créé (la crise) avec la dissolution ». Macron a choisi la dissolution pour sortir le système de l’impasse où il s’était mis en accumulant de la dette et de l’immigration depuis 1981, sans jamais tenir compte de ses votes d’avertissement, en 1986, 1991, 2005 et 2007 notamment. Les Français ne veulent ni d’une politique de gauche ni d’une politique du centre, ils ne veulent pas d’une politique mondialiste, ils veulent une politique nationale. Un indice : malgré le tam-tam contre le RN depuis la dissolution et à propos du procès des assistants parlementaires à Bruxelles, la cote de Marine Le Pen au dernier sondage a engrangé deux points.
Le système donne aux Français l’inverse de ce qu’ils demandent
Les Français souhaitaient qu’on coupe toutes les pompes aspirantes de l’immigration, qu’on renvoie tous les clandestins, qu’on assure la sécurité d’une part, que l’Etat fasse des économies en cessant de subventionner la ruineuse transition énergétique et les associations d’aide à l’immigration et au bouleversement LGBTQ+, qu’il réorganise l’éducation nationale sur un mode frugal et non idéologique, qu’il coupe dans ses dépenses en ne remplaçant pas la plupart des fonctionnaires qui partent à la retraite et repense la PAC. Au lieu de cela on fait mine d’exclure une France insoumise extrêmement socialiste et (alter)mondialiste, hyper-inclusive, et violemment anti-israélienne, pour leur proposer des communistes et des Verts qui valent Mélenchon à l’exception de l’anti-israélisme rabique, bref, une extrême gauche noire-vert-rouge, alliée à une gauche à peine moins socialiste, un centre du même tonneau et une droite analogue, juste un peu démarqué sur le plan sociétal pour ne pas trop choquer sa clientèle. Bref, une grande coalition arc-en-ciel à l’opposé du souhait des Français.
Bayrou ou pas Bayrou, le système pète et il pue
Bayrou ou pas Bayrou, on n’est donc pas dans une crise de régime, mais dans un crime des élites françaises, acharnées jusqu’à la folie à piétiner la volonté populaire, un suicide comme il n’en est pas d’exemple dans l’histoire, même à Byzance, une trahison de la Nation par la République. Dans cette catastrophe, la personnalité de ne compte pas et l’indignité de Macron n’est que secondaire, malgré la haine qu’elle excite. C’est le système tout entier qui pète, aux deux sens du terme : il craque de partout, et il flatule ignoblement en vidant les intestins pourris de sa politique politicienne. Le choix de Bayrou est l’illustration ultime des petits arrangements de cette classe : il ne figurait pas sur la « ligne rouge » du RN notamment parce que lui et son Modem ont été mis en examen et jugés pour des faits analogues à ceux qui sont reprochés au Parlement Européen à Marine Le Pen et ses amis, ce qui rend ipso facto leur inéligibilité impensable. Quoi qu’il en soit de ce dernier détail, le changement politique que Bayrou peut apporter est si faible qu’il faut craindre qu’il ne réussisse. Ce qui est à vrai dire très peu probable.