Il s’agit de la plus grosse manifestation patriotique en Europe, avec régulièrement une centaine de milliers de marcheurs. Quand les libéraux de la coalition PO-PSL dirigée par Donald Tusk étaient au pouvoir, la Marche de l’Indépendance du 11 novembre à Varsovie était chaque année l’occasion d’affrontements. Ceux-ci étaient de toute évidence – au moins en partie – le fruit de provocations organisées par le pouvoir. Depuis novembre 2015, c’est-à-dire depuis la formation d’un gouvernement dirigé par les conservateurs du PiS, cette marche se déroule sans problème, de la même manière que les manifestations contre ce gouvernement ou celles en faveur de l’avortement. Mais pour les fêtes du centenaire de l’indépendance recouvrée de la Pologne, voir des organisations qui se réclament du nationalisme (sans rapport avec le PiS, qui se réclame de la démocratie chrétienne) organiser une telle manifestation et attirer des patriotes polonais de tous bords (en majorité non liés aux nationalistes), c’est trop pour les « libéraux » bruxellophiles.
En Pologne, la justice défend le droit de manifester aussi bien pour le lobby homosexualiste que pour les mouvements nationalistes
Le maire de Varsovie, Hanna Gronkiewicz-Waltz, qui était vice-présidente de la Plateforme civique (PO) jusqu’en 2017, menaçait de prendre prétexte de la moindre incartade (slogan raciste sur une banderole, fumigène…) pour demander la dissolution de la manifestation. Une rigueur dont elle ne fait pas preuve à l’égard des manifestations de son camp. Mercredi elle a décidé, en concertation avec son successeur élu le 21 octobre, également de la PO, d’interdire cette année la manifestation organisée par les nationalistes. Et ce sont les mêmes qui prétendent à Bruxelles et dans les médias étrangers que le PiS limite leur droit de manifester librement !
Bien entendu, cette interdiction a été renversée le lendemain-même par un tribunal, mais la mairie veut faire appel de cette décision de justice défavorable. Elle n’a aucune chance de gagner, car l’atteinte au droit de manifester est patente. Visiblement, les libéraux polonais sont pour le droit de manifester, mais uniquement pour les libéraux, l’extrême gauche et le lobby homosexualiste. Pour faire bonne mesure, précisons que le voïvode (équivalent d’un préfet) de Lublin, du PiS, avait interdit une « marche des égalités » homosexualiste qui devait se dérouler le 13 octobre dernier, en invoquant le risque d’atteintes aux bonnes mœurs sur la voie publique, mais que sa décision a elle aussi été renversée par la justice polonaise qui n’accepte pas que des manifestations soient interdites à titre préventif. C’est une nouvelle fois l’illustration du fait que la démocratie se porte très bien en Pologne, et probablement même nettement mieux qu’en France. La Commission européenne se trompe de cible, si elle se croit investie de compétences pour faire respecter la démocratie et l’état de droit dans toute l’UE.
Le gouvernement et le président veulent remplacer la Marche de l’Indépendance du centenaire par une grande manifestation officielle
Sauf que… réagissant à l’interdiction prononcée par la mairie, le président Andrzej Duda et le Premier ministre Mateusz Morawiecki ont décidé ensemble d’organiser une grande manifestation patriotique officielle qui empruntera l’itinéraire réservé de longue date par les organisateurs de la Marche de l’Indépendance. Il paraîtrait que de tels événements officiels ont priorité sur les manifestations de la société civile. Une telle interprétation du droit est toutefois contestée par certains juristes, et les organisateurs nationalistes, s’ils ont été invités à participer à la nouvelle marche officielle, n’apprécient pas trop la manœuvre. Le résultat, en effet, c’est qu’après la décision de justice défavorable à la mairie de Varsovie aux mains des libéraux, ce sont les conservateurs du PiS qui, dans les faits, empêchent la tenue de la manifestation organisée par les nationalistes.
Espérons que, pour le centenaire de l’indépendance recouvrée de la Pologne, les patriotes des différentes sensibilités sauront malgré tout marcher ensemble. Il se trouvera certainement des milices de gauche pour tenter de semer le trouble, mais fort heureusement les policiers polonais ont mis fin jeudi à un mouvement de grève de portée nationale : un tiers d’entre eux s’étaient mis en arrêt maladie. Dimanche, entre les vrais militants d’extrême droite qui pourraient venir de l’étranger participer à la Marche de l’Indépendance et les libéraux et l’extrême gauche qui essayent chaque année, sans succès, de bloquer cette manifestation patriotique, les forces de l’ordre polonaises auront besoin d’être à pied d’œuvre pour que les citoyens normaux puissent fêter dans le calme leur attachement à une Pologne libre et indépendante.
Olivier Bault
Correspondant à Varsovie