Proche-Orient : le mensonge de la rhétorique des camps

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Certains mots sont un mensonge. « Sans-papier » nie la réalité du clandestin, et, en Méditerranée, les termes « réfugiés », « détresse », masquent la vérité d’un trafic humain dont les envahisseurs sont à la fois les victimes et les promoteurs. De même, au Proche-Orient, le mot « camps » est-il utilisé de manière rhétorique pour désigner celui qui l’attaque comme le méchant. C’est vrai à Gaza aujourd’hui, où la presse déplore qu’Israël bombarde « les camps de réfugiés », c’était vrai voilà quarante ans au Liban. La rhétorique est donc ancienne et permet à celui qui la pratique de prendre la posture ô combien profitable de victime.

 

Confusion et mensonge : les « civils » au Proche-Orient

Les camps ne sont pas le seul mot qui permet cette opération et joue sur l’exploitation du sentiment d’humanité. Il y a aussi les enfants : le méchant peut-être aussi bien celui qui les tue que celui qui s’en sert comme bouclier, et les deux ennemis à l’œuvre au Proche-Orient se renvoient activement la balle en ce moment. Il y a aussi l’hôpital. C’est pourquoi les mêmes se livrent à une vaste bataille d’information pour déterminer qui a bombardé l’hôpital Al-Ahli à Gaza. Il est d’ailleurs presque aussi méchant de se servir d’un hôpital comme fortification militaire : l’intoxication russe autour de la maternité de Marioupol en 2022 le rappelle. En fait, la question tourne autour des civils innocents et sans défense sur le champ de bataille, et de leur intrication dans le dispositif militaire.

 

La rhétorique des enfants, des hôpitaux et des camps

Au Proche-Orient, en ce moment, le Hamas a délibérément attaqué des cibles civiles sans défense, anticipant la riposte d’Israël, qui ne pouvait faire nul doute. Dans sa contre-attaque, l’Etat hébreu a exigé à plusieurs reprises que la population quitte le nord de la bande de Gaza, afin d’avoir les mains libres pour y anéantir les combattants du Hamas. A l’inverse, ceux-ci ont demandé aux Gazaouis de rester à Gaza City pour leur servir de boucliers. Ainsi, quand une bombe blesse et tue des civils, ce qui est inévitable dans un champ de bataille peu étendu et farci de civils, il devient facile de dénoncer Israël comme le méchant aux yeux du monde entier. Dans cette rhétorique de guerre, les « camps » tiennent une place éminente.

 

Une rhétorique touchante, et en même temps un mensonge

Pourquoi ? Parce que le mot remue profondément l’affect du public, en même temps que la chose, ambiguë, est le lieu où les civils innocents et les militaires se confondent dans une réalité où il est difficile de distinguer qui est qui. Que les camps nous touchent, c’est une évidence. C’est là qu’on parque les réfugiés, les malades, les blessés, ceux qui ont fui, abandonnant tout. C’est le lieu, pour ceux qui s’y pressent, de la précarité, et, pour nous qui en voyons le spectacle, de l’humanitaire, de la solidarité. Ces camps jetés au milieu de la guerre rappellent, si l’on remonte plus loin, les camps de concentration et les ghettos. Le chroniqueur de France Inter Guillaume Meurice n’a fait qu’exprimer en gros sabots ce que beaucoup suggèrent avec insistance, quand il a traité le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou de « sorte de nazi sans prépuce ».

 

Au Proche-Orient, les camps du Liban, déjà…

Il ne s’agit pas d’approuver en tout la politique d’Israël. Il est même nécessaire de l’évaluer et de la critiquer pour avancer un jour dans la voie diplomatique. Mais il ne faut pas céder à la rhétorique de la victimisation qui est une exploitation éhontée de sentiments par ailleurs honorables. Car, au Proche-Orient, les camps qui nous émeuvent tant sont aussi le lieu empoisonné où se rencontrent le civil et le militaire, avec souvent la complicité du civil. Dans l’affrontement actuel des propagandes, il est difficile de savoir ce qu’il en est des fameux souterrains du Hamas sous les camps et de l’armement de ceux-ci. Mais l’exemple du Liban d’il y a quarante ans peut nous fournir de précieuses indications.

 

L’armement lourd des camps-forteresses

La communauté internationale a condamné avec indignation les massacres commis dans le quartier de Sabra et le camp de Chatila situés dans la zone d’occupation de l’armée israélienne, du 16 au 18 septembre 1982, par les milices chrétiennes. Elle a eu raison, puisque l’opération fut montée dans un esprit de vengeance avoué, et qu’en plus des combattants anti-chrétiens, de nombreux civils ont été tués après les combats. Mais l’opération contre Tel al-Zaatar de 1976, aujourd’hui présentée (par Wikipédia notamment) comme un « massacre » de Palestiniens, fut un long siège meurtrier menée par les phalanges libanaises contre une véritable forteresse qui terrifiait la population de Beyrouth, dont l’armement lourd comportait de nombreux canons de 155 mm et des milliers de roquettes anti-char. La rhétorique des camps a pour objectif de cacher que les « civils sans défense » sont utilisés depuis cinquante ans au Proche-Orient par un projet politique et militaire.

 

Pauline Mille