Vladimir Poutine a remporté largement l’élection présidentielle russe. Le monde s’y attendait, le dissident Navalny dénonce un scrutin truqué, l’Occident déplore la victoire d’un dictateur fauteur de guerre froide. Mais la vraie question est : à quoi sert Poutine. Les chiffres sont là. Avec une participation de 67,4 %, Poutine a recueilli 76,67 % des suffrages exprimés, en progression de plus de dix points sur 2012. Navalny et les autres dissidents qui avaient appelé au boycott ont perdu, et quand ils évoquent quelques bourrages d’urnes ou la distribution de gâteaux dans les bureaux de vote pour expliquer le résultat, ils ne convainquent personne. Vous ne me feriez pas voter Macron pour un Paris-Brest. Or Poutine a réalisé le rêve d’Emmanuel Macron : autour de lui ne subsistent que la Russie insoumise communiste de Grounidine (treize pour cent) et le populiste d’extrême droite Jirinovski (six pour cent).
Poutine et la Russie servent à remplir le ventre et réchauffer le cœur des Russes
Ces chiffres sans ambiguïté nous disent ce qu’est Vladimir Poutine pour les Russes : le petit père des peuples, le nouveau Tsar, pas le genre Nicolas II, meilleur des gendres à placer au salon à côté du samovar, plutôt le style Ivan le terrible, le grand guerrier vainqueur, celui qu’on voit sur les photos aux commandes d’un char ou bombant avantageusement le biceps. Quand il a pris le pouvoir des mains débiles d’Eltsine, la Russie était humiliée tous les matins par les Etats-Unis ou quelqu’un de leurs alliés d’Occident, les villes de Sibérie n’avaient plus de chauffage ni de lumière et le traitement des fonctionnaires n’était plus versé. Aujourd’hui les Russes mangent à leur faim, la Russie organise la coupe du monde de foot après avoir réussi les JO à Sotchi, et l’armée russe vient d’humilier l’Occident et ses alliés terroristes en Syrie. Poutine sert prosaïquement à remplir les ventres et à retaper la fierté nationale des Russes.
Poutine sert à faire peur aux démocrates d’Occident
Evidemment, les démocrates d’Occident ne se contentent pas de cette image d’Epinal. Ils tiennent le décompte des coups de canifs que Poutine a donnés depuis dix-huit ans dans le contrat démocratique, et la liste est longue. Ils relèvent que si Poutine s’est débarrassés de nombreux oligarques, il s’est accommodé d’autres, et le soupçonnent de s’être constitué un patrimoine illicite énorme. Ils l’accusent d’entretenir la guerre dans la partie russe de l’Ukraine, lui en veulent d’avoir récupéré la Crimée, trépignent de le voir mettre au pas les milices anti-Assad en Syrie, qu’ils ont armées sous le nom d’opposition modérée et qu’il écrase sous le nom de terroristes. Bref, l’Occident érige Poutine, sinon tout à fait en ennemi, du moins en adversaire principal.
L’affaire de l’espion russe Sergueï Skripai, victime, avec sa fille, d’une tentative d’empoisonnement en Angleterre entre dans ce jeu. Elle sert d’abord les intérêts de Theresa May. Aux prises avec le dossier très difficile du Brexit, chef d’une majorité divisée, elle était à la dérive depuis son dernier discours aux communes en octobre, proprement calamiteux. En accusant Moscou de tentative d’assassinat sur la personne de Skripai, elle s’est retapé la cerise à bon compte.
Poutine sert à Theresa May à se rabibocher avec les Britanniques
Et à grands coups de menton. Elle reproche à Poutine d’avoir agi « en violation flagrante du droit international et de la Convention sur les armes chimiques ». Et d’ajouter : « Jamais nous ne tolérerons de menace du gouvernement russe contre la vie de citoyens britanniques ou étrangers sur le sol britannique ». Grandiose : c’est Albion fièrement dressée pour défendre et ses enfants et le droit du monde.
Voilà justifiée l’expulsion de diplomates russes à laquelle Theresa May a procédé avant de déclarer : « Aux côtés de nos alliés, nous allons réfléchir aux prochaines étapes dans les jours qui viennent ». C’est du vent, bien sûr, mais elle a obtenu un communiqué commun de ses alliés d’Occident, Etats-Unis, Allemagne, France. Et elle a reçu le soutien enthousiaste de son parti, et même d’une partie de l’opposition, soudés par l’union sacrée sur ce sujet comme au bon vieux temps de la guerre froide.
Chacun dans le monde se sert de Poutine comme il veut
Naturellement, cela n’a fait ni chaud ni froid à Poutine. Commentant, à peine réélu, les accusations anglaises, il a laissé tomber sans précautions oratoires : « C’est du grand n’importe quoi ». Pour lui, penser qu’un dirigeant russe puisse tenter un assassinat juste avant la présidentielle et la coupe du monde est « absurde ». Deux choses en outre lui sont « venues à l’esprit ». Un, si c’était un poison militaire, ces gens seraient morts. Deux, la Russie ne possède plus le poison qui a servi : « Nous les avons détruits (…) contrairement à certains de nos partenaires qui l’ont promis, mais qui doivent malheureusement encore tenir leur promesses ». Toutefois, les Russes sont « prêts à coopérer » avec les « experts internationaux » qui vont examiner la « substance utilisée ». Bref, il a traité les gesticulations britanniques par un sourire méprisant, sans omettre de prendre quelques menues mesures de rétorsion propres à satisfaire l’orgueil russe. En résumé, pour l’instant personne ne sait qui a fait le coup avec quel poison, n’importe quel Etat pourrait détenir celui-ci, c’est parole contre parole, et chacun des chefs politiques qui évoque l’affaire s’en sert au gré de son intérêt du moment.
Le Poutine Bashing remplace l’islamophobie dans le monde
En réalité, Poutine pose un véritable problème à l’Occident, et en même temps il lui sert grandement. Dans les années quatre-vingt-dix et les années deux mille, lors de la guerre du golfe et de la guerre d’Irak, les Etats-Unis ont pu imposer leurs visées géopolitiques et leur conception du droit international, malgré les réticences de leur allié français, parce que la Russie, trop faible, ne leur opposait nulle résistance réelle. Avec la remontée russe et l’essor militaire chinois, le déséquilibre militaire s’est résorbé et la question politique est redevenue ardue. En droit pur, les Russes ont tort en Crimée et l’Occident en Syrie, dans les faits, ils utilisent chacun les moyens militaires et la propagande dont ils disposent.
Mais le méchant Poutine sert à l’Occident dans la mesure même où il est méchant. D’abord parce qu’on peut lui laisser le sale boulot sur le terrain. Ensuite et surtout parce que le spectacle politique en Occident ne se satisfait pas d’ériger le terrorisme islamique en seul méchant. Daech est une création occidentale et sert la politique des humanistes mondialistes qui l’ont laissé se développer, mais en provoquant un dommage collatéral : l’islamophobie ! Les peuples d’Europe n’aiment pas l’islam qui anime les terroristes. Cela risque de mettre un frein à la pénétration de l’Europe par l’islam que souhaite l’humanisme maçonnique mondialiste. Il est donc utile à celui-ci de dériver sur Poutine le ressentiment populaire.
Poutine est l’idole des populistes du monde entier
Vladimir Poutine a encore une utilité de portée plus vaste : il sert aux peuples du monde entier d’exutoire. Dans la mesure même où les élites et les professeurs de démocratie le haïssent ou/et le méprisent, les populaces avides de knout le révèrent comme une icône. Il a rendu sa fierté à son pays. Il se moque du tiers comme du quart de ce que peuvent dire les ratiocineurs d’Occident. Il va « buter les terroristes jusque dans les chiottes ». Pour éviter le collapsus démographique de la Russie, il a lancé une politique nataliste. Il n’aime pas les pédés et leur gay prides. Bref, ce grand metteur en scène formé par le KGB focalise les admirations, les nostalgies et les espoirs des populistes et des nationalistes du monde entier.
C’est dans cette mesure précise qu’il sert la dialectique mondialiste, reinformation.tv l’a rappelé de nombreuses fois, au risque de choquer les Poutinolâtres. Les propagateurs du projet mondialiste ont en effet mesuré le poids des réactions populaires qu’ils suscitent et décidé pour les vaincre de segmenter le marché, lui en laissant une part déterminante.
Grâce à tout ça Poutine sert à la dialectique mondialiste
A côté du gentil Obama et du gentil Macron, chargés de ramasser les déjà convertis, les jeunes, les minorités, les bobos, les centristes radicalisés, le mondialisme a lancé de nouvelles marques. Theresa May est chargée de séduire les indépendantistes britanniques pour les emmener via le Brexit vers un mondialisme impérial. Poutine, lui, fait la voiture balai pour les nationalistes du monde entier, il lui incombe de leur mettre dans le crâne que le mal c’est le terrorisme et que pour « buter les terroristes jusque dans les chiottes », il faut que tous les gars du monde se donnent la main. On aura noté qu’il a servi aussi à discréditer Trump. Et que, via les BRICS, et la coopération avec la Chine, ou encore l’éloge du communisme, il contribue à réactiver une guerre froide pour rire qui, en rabattant l’insupportable caquet des Etats-Unis superstars, satisfait les peuples et les ramène sans qu’ils s’en aperçoivent vers la dialectique mondialiste. Aujourd’hui, l’économie russe manque de bras : ce que fera Poutine de l’immigration sera une bonne mesure de son apport au projet mondialiste.