Ramadan : avec l’accord de Charles III, un iftar au château de Windsor

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Le roi Charles III d’Angleterre aime mieux l’islam que le christianisme, si l’on peut en juger d’après son choix, cette année, de saluer la communauté musulmane de différentes façons lors du début du Ramadan, et de s’abstenir de toute démarche parallèle à l’égard des chrétiens à l’entrée en carême. Fait d’autant plus significatif qu’il est en tant que chef de la Maison royale britannique également à la tête de la « Church of England », secte protestante qui a conservé la tradition du Mercredi des Cendres et du carême… Il porte même le titre de « défenseur de la foi ». Le tout est de savoir laquelle. Est-ce un message qu’a voulu envoyer le souverain ? Alors ce message n’est même plus celui du relativisme religieux (toutes les religions se valent) mais d’une préférence vis-à-vis de l’islam, voire de la prépondérance nationale de la religion de Mahomet.

L’affaire a en tout cas irrité l’ancien chapelain de la reine Elizabeth, Gavin Ashenden, promu à ce poste en 2008. Il ne l’a quitté qu’en 2017 pour pouvoir s’exprimer plus librement en matière religieuse ; à la fin de la même année, après avoir milité contre la nomination d’évêquesses dans l’église anglicane, il a fait son entrée dans l’Eglise catholique. Quatre ans plus tard, il était nommé rédacteur-en-chef de The Catholic Herald ; c’est là qu’il a publié sa mise en cause de la spectaculaire islamophilie du roi Charles.

 

Charles III salue l’entrée en Ramadan, et oublie le carême

Sous le titre « Pourquoi le roi Charles a-t-il choisi de mettre en avant le ramadan tout en passant sous silence le carême ? », Ashenden a qualifié l’attitude du monarque à l’occasion du Mercredi des Cendres de « moment charnière » dans la vie du Royaume-Uni.

Ashenden rappelle qu’encore prince de Galles, Charles exprimait volontiers son intérêt pour les différentes religions, revendiquant les droits de chacune : une expression de la « liberté religieuse », pourrions-nous ajouter. Mais alors qu’il est difficile de ne pas voir que les différentes religions ont « des dieux différents avec des objectifs différents et une éthique différente ». « Et bien qu’elles partagent certaines valeurs universelles, elles s’opposent et se contredisent à certains égards, et le pèlerin potentiel est contraint de choisir entre elles », ajoute Gavin Ashenden.

Et de rappeler l’une des différences fondamentales entre christianisme et islam : celui-ci se réclame d’un chef de guerre et d’un conquérant, tandis que Jésus-Christ est Sauveur.

« Le Sauveur et le chef de guerre ne suivent pas le même chemin. En effet, le chef de guerre affirme que les documents décrivant le Sauveur et son œuvre ont été falsifiés. Le chef de guerre affirme que le Sauveur n’a pas vaincu la mort et qu’il n’a pas le droit de pardonner les péchés. Le chef de guerre dit aux disciples du Sauveur qu’ils ont été induits en erreur par leurs documents, qu’ils doivent les révoquer et se soumettre à lui et à son Dieu différent. Le chef de guerre déclare que le Sauveur a eu tort d’offrir aux hommes une relation avec Dieu qui est père, avec toute la tendresse d’un père. Dieu est au contraire inaccessible et inconnaissable : une puissance éthique féroce qui exige la soumission comme réponse à une rencontre avec son prophète chef de guerre », écrit Ashenden.

 

L’islam et le christianisme sont « antithétiques »

De fait, comme il le dit plus loin, les deux religions sont antithétiques : « L’histoire de l’islam est une histoire de conquête et de contrôle. Lorsqu’il constitue une majorité dans la société, il ne tolère les disciples de Jésus que dans des conditions très strictes et humiliantes. Le christianisme est plus généreux. Il est plus confiant dans le fait que, confronté au choix entre le chef de guerre et le Sauveur, le cœur humain sera plus vulnérable à l’amour et au pardon qu’à la présentation du pouvoir et du contrôle. »

Le roi Charles n’a rien dit cette année au sujet du carême, dont le début coïncidait à peu de jours près avec celui du Ramadan. Aucun membre de la famille royale n’a été vu à l’église, ni n’a dit quoi que ce soit pour marquer le Mercredi des Cendres.

Mieux : plutôt que d’adresser un message courtois à ses sujets musulmans, ce qui n’aurait choqué personne, Charles a publié à leur intention ses meilleurs vœux les plus chaleureux, allant jusqu’à faire « preuve d’un extraordinaire acte d’hospitalité symbolique envers la communauté islamique en ouvrant le St George’s Hall du millénaire château de Windsor pour une célébration du repas de l’iftar » qui marque la rupture du jeûne à la tombée de la nuit.

 

Le Ramadan fêté à Windsor avec un appel à la prière islamique

C’est du jamais vu. Cette salle représente « le cœur de l’identité monarchique », selon Gavin Ashenden : on y reçoit habituellement les chefs d’Etat, de somptueux banquets royaux y sont organisés.

Cette fois, pour l’iftar (on fêtait le premier dimanche de carême), la prière du Maghreb annonçant le coucher du soleil a résonné dans le château royal. Plus de 350 personnes, en majorité musulmanes, ont demandé leur ticket gratuit pour profiter de l’invitation. Certaines ont fait leur prière sur place, après avoir entendu le muezzin (1’9” sur cette vidéo) depuis la mezzanine en face de la statue de saint Georges terrassant le dragon (qui, pour la petite histoire, est peint en vert).

Or la prière musulmane faite en un lieu public – et quel lieu public – marque ce dernier comme devant devenir terre d’Islam. Si les modalités de cette appartenance ont fait l’objet de discussions entre « savants » de l’islam, l’important est la pratique publique et autorisée de la prière qui est un prérequis pour que les musulmans puissent y demeurer. Pour Al-Mawardi, juriste sunnite du XIe siècle, si le musulman « est capable de pratiquer ouvertement son Ddin dans un pays parmi les pays de mécréance, ce pays devient pays d’Islam, et ainsi, y résider est meilleur que de le quitter, du fait de l’espoir que d’autres entreront dans l’Islam ». Des oulémas contemporains sont moins catégoriques, tel le sheikh saoudien Al’Outheymin qui exclut de la terre d’Islam les pays où les rites musulmans ne sont pas pratiqués « de manière générale universelle ».

Mais que dire quand les rites de l’islam sont carrément invités à se dérouler dans des hauts lieux de culture et de pouvoir, comme c’est le cas à Londres où des iftars publics ont déjà eu lieu dans de grands musées comme le Victoria and Albert, au théâtre de Shakespeare, The Globe, ou au Guildhall de Londres, centre administratif de la City de Londres ? Et la question devient encore plus critique lorsque c’est un palais royal qui accueille l’appel à la prière et la prière rituelle elle-même, avec l’approbation enthousiaste du roi, et sa pleine connaissance de la signification de tout cela…

Tous les convives, attablés – ou plutôt assis par terre en tailleur autour de tables très basses – autour d’un repas façon fast-food, ne respectaient pas les codes islamiques : plusieurs femmes n’étaient pas voilées. C’est de l’islam « restructuré ». Quant aux codes culturels, ils étaient de toute façon bouleversés : dans ces lieux solennels où l’argenterie, la jolie porcelaine, les bouquets somptueux et les bonnes manières sont la règle, on avait plutôt l’impression d’un repas pris dans quelque tente bédouine. Il est vrai que l’événement avait été imaginé par le Ramadan Tent Project de Londres. Qui aligne les lieux d’« Open Iftar » dans des lieux prestigieux comme autant de conquêtes…

Charles III, en donnant son autorisation personnelle à la tenue d’une prière islamique publique et d’une rupture du jeûne au cœur du Royaume-Uni, n’a pas seulement fait preuve d’hospitalité à l’égard d’une partie de ses sujets : à tout le moins, il a signalé que l’islam a de son point de vue toute sa place dans le pays dont il est lui-même le chef religieux. Pour Ashenden, il a « peut-être » opéré là une « renonciation de facto à son allégeance exclusivement chrétienne ».

 

Charles III et le sheikh Nazim de l’ordre soufi Naqshbandi

Mais si cela allait plus loin ?

Les liens de Charles III avec le soufisme ne sont pas un secret. En 2010, il participait à une exposition sur la culture islamique soufie organisé dans le cadre du Manchester United Football Club où le recevait l’imam soufi le plus influent du Royaume-Uni, Sheikh Muhammad Hisham Kabbani, avec une intervention vidéo enregistrée par Sheikh Nazim Al-Haqqani, chef et guide spirituel de l’ordre soufi Naqshbandi.

Ce dernier affirmait en 1996 que le prince de Galles s’était « converti à l’islam » et que cela s’était passé « en Turquie » (pays du soufisme et des Derviches tourneurs) : « Je ne peux pas en dire plus. Mais oui, il s’est bien converti », assurait-il. Buckingham Palace avait balayé l’affirmation d’un seul mot : « Nonsense » (« absurde »).

Middle East Eye est du même avis : dans un article publié le 13 septembre 2022, peu après la mort d’Elizabeth II, ce média déclare que Charles n’est pas un converti secret. « Mais son admiration à l’égard de la foi islamique et la connaissance qu’il en a sont bien connues », ajoute le journal.

Avant de devenir roi, le prince Charles s’était plusieurs fois exprimé sur des sujets relatifs à la religion et à la théologie musulmanes ; il avait même révélé s’appliquer à l’apprentissage de l’arabe afin de mieux connaître le Coran.

On connaît le militantisme écologiste du roi Charles. En 1996, lors d’un discours sur la « construction de ponts » (air connu) entre l’islam et l’Occident, il assurait que la prise en compte de la vision islamique de l’ordre naturel nous aiderait, « nous Occidentaux, à repenser et en mieux notre bonne intendance vis-à-vis de l’homme et de son environnement ».

 

Charles III, un souverain islamo-compatible

Lui qui parraine le centre pour les études islamiques de l’université d’Oxford depuis 1993 y a fait un discours en 2020 pour dire : « D’après ce que je sais des enseignements et commentaires fondamentaux [de l’islam], le principe important que nous devons garder à l’esprit est qu’il y a des limites à l’abondance de la nature. Ce ne sont pas des limites arbitraires, ce sont les limites imposées par Dieu et, à ce titre, si ma compréhension du Coran est correcte, les musulmans ont pour ordre de ne pas les transgresser. »

En cette même occasion, il déclarait que l’islam possède « l’un des plus grands trésors de sagesse et de connaissance spirituelle cumulées dont dispose l’humanité », l’opposant au « matérialisme occidental ». « La vérité qui dérange, c’est que nous partageons cette planète avec le reste de la création pour une très bonne raison : nous ne pouvons pas exister seuls sans le réseau de vie complexe et équilibré qui nous entoure. L’islam l’a toujours enseigné ; ignorer cette leçon revient à violer notre contrat avec la Création. »

Et de vanter l’urbanisme islamique à travers les siècles : il citait les systèmes d’irrigation en Espagne vieux de 1.200 ans comme exemples de la manière dont les « “enseignements prophétiques” savaient mettre en place une planification des ressources à long terme au bénéfice de “l’économie à court terme” ». Middle East Eye affirme que le jardin du roi Charles dans le Gloucestershire a été inspiré par des traditions islamiques et des plantes nommées dans le Coran. Le célèbre Carpet Garden y a été conçu d’après un tapis turc.

 

Charles III aime mieux l’histoire de l’islam que le Moyen Age chrétien

Il a même déclaré, en 1993, que le « Prophète lui-même n’aimait pas, voire craignait l’extrémisme » et demandait que l’Occident n’oublie pas la « dette » de sa civilisation et de sa culture à l’égard du monde islamique. Celui-ci, ajoutait-il, a « préservé une vision métaphysique et unifiée de nous-mêmes et du monde qui nous entoure », que l’Occident a perdu, selon lui, à la suite de la révolution scientifique.

« Nous devons nous rappeler que nous, en Occident, sommes redevables aux érudits de l’Islam, car c’est grâce à eux que les trésors de l’apprentissage classique ont été préservés pendant le Moyen Age en Europe », a-t-il déclaré à l’université Al-Azhar en 2006 – mythe explosé notamment par l’historien Sylvain Goughenheim, auteur d’Aristote au Mont Saint-Michel, et que tous les médiévistes rejettent. Il faut noter que Charles utilisait le terme « Dark Ages » (les siècles obscurs) pour désigner le Haut Moyen Age.

Charles III a également fait preuve d’une bonne connaissance de la finance islamique, selon le média : il y voit de nombreuses qualités qui pourraient bénéficier aux marchés globaux.

Bref, l’affaire de l’iftar à Windsor Castle s’inscrit dans le contexte de l’admiration du roi Charles pour l’islam. Qu’il en oublie le christianisme ne devrait étonner personne.

 

Jeanne Smits