Referendum d’Australie : stop à la révolution aborigène

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Le Premier ministre travailliste d’Australie, Anthony Albanese, élu en 2022 à cause de l’usure de la coalition libérale-nationale après neuf ans de pouvoir, a tenu en octobre un referendum dont il faisait son cheval de bataille afin de donner à la communauté aborigène des peuples d’Australie et du détroit de Torres une « voix » représentative inscrite dans la Constitution. Malgré le soutien originel des libéraux et des travaillistes, des six Etats et des deux Territoires composant l’Australie, des médias et de l’ensemble des élites, malgré aussi des sondages prédisant d’abord une victoire écrasante du oui, c’est le non qui l’a emporté facilement. Un stop très net au progrès d’une révolution mondiale qui vise à promouvoir un peu partout le droit des « peuples premiers ». La communauté aborigène d’Australie a elle-même contribué à cet échec, au nom du bon sens.

 

La question aborigène en Australie

Le détroit de Torres est l’étendue d’eau située au nord de l’Australie, qui sépare celle-ci de la Nouvelle Guinée. Dans sa partie orientale se situe l’île de Murray qui a commencé à être habitée au neuvième siècle avant Jésus-Christ par des populations venue de Papouasie. Considérée, comme le reste de l’Australie, comme Res nullius, la chose de personne, elle fut conquise et colonisée, comme le reste de l’Australie, par la Couronne britannique. Or, depuis le dix-neuvième siècle et jusqu’à récemment, la population aborigène de toutes ces îles a été souvent mal traitée par les nouveaux arrivants, parfois chassée comme des animaux, ou carrément exterminée par des convicts comme en Tasmanie, la ségrégation raciale restant légale jusqu’aux années 1960. Il subsiste en Australie et dans le détroit de Torres 900.000 personnes qui se sentent la population aborigène du lieu et souffrent dans l’ensemble d’un moindre accès aux soins et à l’éducation, d’une espérance de vie moindre, d’un taux de pauvreté et d’incarcération plus élevés que la moyenne.

 

Des élus aborigènes ont voté non au referendum

Le referendum d’Anthony Albanese semblait donc partir d’un bon sentiment et bénéficia au départ du soutien de l’establishment australien dans son ensemble, Etat fédéral, Eglises, syndicats, grandes entreprises, universités et fédérations de sport. Mais au fil de la campagne cette unanimité se brisa : le parti national préconisa le « non » et le parti libéral s’y rallia au printemps 2023 tout en laissant à ses élus le libre choix, estimant que la « Voix » prévue par les travaillistes ne résoudrait aucune des questions sociales soulevées. Quant aux élus aborigènes, plusieurs firent campagne pour le non au referendum. La sénatrice Lidia Thorpe estimait que la Voix serait un « organe consultatif impuissant », la sénatrice Jacinta Nampijinpa Price regrettait le flou d’un projet dont le détail ne serait défini qu’après le referendum, et l’ancien député Warren Mundine lui reprochait « d’inscrire dans la Constitution une division entre les Australiens selon leur race ». Plus de trois électeurs sur cinq leur ont donné raison, tant sur le plan national que dans les divers Etats.

 

Un stop à la révolution du droit de propriété

Ce qui a été rejeté n’est donc pas le fait de vouloir aider la population aborigène conformément à la justice, mais celui de changer la Constitution conformément à une révolution mondiale du droit de propriété et de souveraineté, opérée au nom des « peuples premiers », révolution qu’on peut observer notamment en Amérique du Nord (au Canada et aux Etats-Unis), en Amérique du Sud (Amazonie, y compris la Guyane française), et dans le Pacifique (Nouvelle-Calédonie). L’amendement soumis au referendum proposait en effet « de modifier la Constitution afin de reconnaître les peuples premiers d’Australie en établissant une Voix de l’aborigène et de l’habitant des îles du détroit de Torres ». Cette « Voix », dont il n’a pas été précisé comment elle serait élue ni comment elle s’organiserait, avait surtout une portée symbolique : en cas de victoire du oui, il était entendu qu’elle serait consultée pour tout acte politique concernant la communauté aborigène et qu’elle incarnerait en quelque sorte la légitimité politique de celle-ci.

 

L’Uluru, l’aborigène et la voix des esprits

Ce referendum était la suite logique d’un processus lancé dans les années 1980 précisément par un habitant d’une des îles du détroit de Torres, Eddie Mabo, natif de l’île de Murray, jardinier à l’Université James Cook de Townsville, qui fut choqué de découvrir que « son » île était la propriété de la Couronne britannique et entreprit quelques années plus tard une longue bataille juridique pour la… récupérer. Le plus piquant est qu’il finit par gagner d’une certaine manière : le 3 juin 1992, quelques mois après sa mort, la Cour suprême d’Australie décidait que le territoire australien n’était pas Res nullius à l’arrivée des colonisateurs et que les aborigènes pouvaient être considérés, en tant que premiers occupants, comme légitimes propriétaires de la terre. Toute une série de décisions politiques et juridiques a suivi, dont la plus symbolique peut-être est le classement de l’Uluru. Il s’agit d’une colline de grès rouge vénérée par les aborigènes Anangu, qui en font le lieu d’une légende importante pour eux et l’objet d’un culte païen. En particulier, selon les sages Anangu, les esprits d’Uluru leur auraient dit que la montagne réclamait le silence et ne supportait plus les escaladeurs. Eh bien, le 26 octobre 2019, l’escalade de l’Uluru a été interdite afin de ne pas provoquer la colère des dieux et respecter la culture aborigène.

 

La révolution aborigène est païenne

Ce qui peut ressembler à une galéjade n’en est hélas pas une. Car c’est là que la revendication des peuples premiers rejoint le panthéisme païen de l’écologisme politique exprimé dans le culte de Gaïa. Témoin par exemple l’article du dramaturge québécois Yves Sioui Durand, Huron d’origine, pionnier du théâtre amérindien au Québec. Après avoir déploré « l’effacement de peuples entiers, l’effacement de la culture et de l’art, l’effacement de la pensée religieuse, puis l’abolition forcée de la langue » par les « conquistadores », il proclame : » Les Amérindiens sont aujourd’hui la voix ultime de la Terre ; ils témoignent, dans leur chair, de la blessure écologique permanente de cette Terre. » Et d’ajouter : « Le renversement de nos valeurs religieuses et sacrées, dénoncées par les missionnaires comme étant des superstitions barbares et des sorcelleries, a été l’un des moments les plus tragiques de notre histoire, renvoyant ainsi des groupes entiers à la torture, au désespoir et à la folie. La perception du caractère sacré et entier de la création est l’un des fondements de l’identité́ amérindienne. » Voilà dessinée en peu de mots l’intersectionnalité écolo, païenne et décoloniale.

 

Referendum en Australie : des citoyens plus égaux que les autres ?

Si la tradition, la nature, l’environnement, entrent massivement dans le vocabulaire utilisé pour séduire le bobo occidental, le fond du discours, en faveur du « droit » des « peuples premiers » est qu’ils étaient les premiers occupants. C’est le cas des aborigènes d’Australie et du détroit de Torres qui étaient là « il y a peut-être soixante-mille ans », et plus sûrement voilà 2.800 ans. C’est le cas des Indiens d’Amérique du Nord auxquels on « rend » leurs terres. C’est aussi le cas de Canaques de Nouvelle-Calédonie qui ont le droit de voter à certains scrutins, contrairement aux fonctionnaires, militaires et autres métropolitains. Or, c’est contraire à la loi française dans ce dernier cas, et contraire aux « valeurs » démocratiques occidentales. Le chef du parti libéral partisan du non au referendum a cité Animal Farm de George Orwell, avec the Voice, « tous les Australiens auraient été égaux, mais certains un peu plus égaux que les autres ». D’ailleurs, si un parti exigeait le droit des « premiers occupants » en Europe, il serait ipso facto traité de raciste, et déjà l’expression « Français de souche » est regardée avec inquiétude par la gauche morale.

 

En Guyane, l’aborigène veut des avantages non-stop

Tout cela s’explique si l’on creuse un peu plus profond ce qui se trouve sous cette revendication des « peuples premiers » : c’est en fait une façon de revendiquer et de montrer du doigt les « crimes » des Européens, des Blancs, des colonisateurs. C’est manifeste aux Etats-Unis avec la dénonciation des « massacres » perpétrés par l’armée américaine, et au Canada, avec le prétendu « génocide » subi par les nations autochtones dans les pensionnats catholiques. Le cas de la Guyane française le confirme avec éclat. La République française ne reconnaît que des citoyens, mais a cependant concédé depuis 2017 un statut particulier aux Indiens de Guyane, qui sont moins de quinze mille et jouissent de l’usufruit de près de 9 % du territoire guyanais (760.000 hectares), ce qui leur donne à peu près 50 fois plus d’espace qu’un citoyen métropolitain. Mais la fédération des Amérindiens de Guyane, fondée en 1984, ne trouve pas cela suffisant. Elle voudrait que soit reconnue « l’autochtonie », le droit prépondérant sur la terre guyanaise des premiers occupants.

 

La révolution et les convergences anticoloniales

Elle s’est plainte à propos des projets d’exploitation massive de l’or, et elle a fait entendre sa voix à la conférence de Rio de 2012, en soulignant le lien qui existe entre son droit de propriété et l’environnement, puisque les peuples premiers sont censés avoir un rapport particulier avec la Terre Mère, ce que François professe aussi dans sa vision amazonienne de l’environnement et de la morale. Le droit des peuples premiers est donc une révolution juridique et politique menée au nom d’une sorte de paganisme universel. Mais les « ethnologues » qui conseillent les autochtones guyanais viennent de la métropole avec des idées révolutionnaires simples : si la notion de premier occupant n’est pas très légale ni socialiste, celle de convergence des luttes est plus correcte. Aussi les peuples de Guyane qui réclament des droits auprès de la France se sont-ils constitués en « grand conseil coutumier des populations amérindiennes et bushinengue » : par ce dernier mot il faut entendre les descendants des Noirs marrons (esclaves échappés) retournés à la forêt : ils ne sont pas arrivés avant les colonisateurs français, mais sont leurs « victimes », comme les Indiens.

 

Un peuple premier ne travaille pas !

Il s’agit d’une instrumentalisation de l’histoire ancienne au profit d’une révolution parisienne et internationale encouragée par l’ONU. Aujourd’hui, ces petites tribus noires vivent très bien du tourisme et d’un artisanat peu fatiguant. De même que les Indiens, ils profitent de la protection de la France contre les bandes surinamaises et l’immigration sauvage venue du Brésil – protection qui s’étend à la forêt guyanaise, bien moins abîmée que la brésilienne, par exemple. Significativement, il y a un peuple qui n’entre pas dans la catégorie des peuples premiers, « amérindiens et bushinengue », ce sont les Hmong installés à Cacao par Giscard d’Estaing pour éviter qu’ils ne soient massacrés par la République populaire du Vietnam : ils travaillent la terre, ils produisent, vivent en paix sans alcoolisme ni criminalité particuliers. Cela n’a rien de révolutionnaire, c’est carrément bourgeois.

 

Pauline Mille