La République centrafricaine résume l’immense partie d’échecs qui voit en Afrique la prédominance française, européenne et américaine contestée par la Chine et la Russie. Dans ce pays classé au 188e rang dans l’Index du développement humain de l’ONU, à la population misérable, déchiré par la guerre civile menée par les milices armées à dominante islamique et accablé par le déplacement du quart de ses 4,5 millions d’habitants, les ressources naturelles abondent, diamant, or, cuivre et uranium. La République centrafricaine est par ailleurs un carrefour presque incontournable en Afrique. Jusqu’ici la France, ancienne tutelle coloniale de 1890 environ à 1960, continuait d’exercer une influence dominante. Mais la Russie et la Chine manifestent un intérêt croissant sur ces terres regorgeant de richesses, susceptibles de faire échapper le pays à l’influence de la France au profit de la leur.
La France est intervenue en 2013 mais sa visibilité militaire diminue au profit de la Russie
La France est intervenue militairement en 2013 après le renversement du président François Bozize par une alliance dominée par les musulmans, la Seleka. Le pays est à 80 % chrétien (dont 51 % de protestants) et à 10 % mahométan, selon le recensement de 2003. Depuis le 30 mars 2016, le président de la République centrafricaine est Faustin-Archange Touadéra, après une élection présidentielle disputée. La France a dirigé la mission de paix de l’ONU mais sa visibilité militaire a diminué, réduite aujourd’hui à 81 formateurs militaires et à des drones. Au début de ce mois, Paris a envoyé des Mirage-2000 depuis le Tchad pour survoler le nord du pays, mise en garde directe aux milices rebelles qui tiennent cette région. Mais plusieurs éléments permettent de dire que derrière cet affrontement régional la Chine et la Russie sont aux aguets, selon les analystes.
La République centrafricaine est un jeu d’échecs géopolitique », explique une source officielle à Bangui, « chacun avance ses pions : quand une puissance bouge, les autres prennent note et réagissent en fonction ». La Russie a ainsi effectué un mouvement d’importance en fin d’année dernière, après avoir obtenu l’autorisation de l’ONU de fournir le pays en armes et en personnels militaires. Cette aide visait clairement à consolider le gouvernement centrafricain aux abois, dont l’armée est d’une faiblesse légendaire. Ce fut une exception à l’embargo sur les armes imposé par l’ONU en 2013, quand la guerre civile ravagea la Centrafrique. Le Royaume-Uni, la France et les Etats-Unis ont manifesté leur inquiétude, exigeant que les fournitures russes soient limitées à des armes légères et que Moscou organise leur traçabilité afin qu’elles ne finissent pas sur le marché noir.
La Russie a signé plusieurs accords bilatéraux avec la République centrafricaine
La Russie aurait signé plusieurs accords bilatéraux avec Bangui, prévoyant notamment une protection rapprochée du président Faustin-Ange Touadéra. Plusieurs milices rebelles auraient été approchées par des médiateurs russes. « L’Occident a manqué le train », estime un diplomate aux Nations unies, qui affirme que « les Russes sont désormais partout dans l’appareil d’Etat de la République Centrafricaine ». Cette présence est appuyée par une opération de séduction auprès de la population : une vingtaine de poids-lourds russes ont franchi le mois dernier la frontière en provenance du Soudan pour une mission de restauration des hôpitaux en ruine.
Pour Thierry Vircoulon de l’IFRI (Paris), interrogé par Channelnewsasia.com, la Russie de Vladimir Poutine vise à prendre « une revanche historique » après les humiliations consécutives à l’effondrement de l’URSS, tandis que les pays occidentaux paraissent « fatigués » de leur implication en Afrique. Notons que le président Touadéra est arrivé à Moscou ce mercredi pour participer au sommet économique de Saint-Pétersbourg, où il devrait rencontrer Vladimir Poutine.
La France se préoccupe surtout de migrations tandis que la Chine assoit son influence économique
Du côté des anglo-américains, les politiques isolationnistes en cours éloignent Etats-Unis et Royaume-Uni des questions africaines, selon Ronak Gopaldas, un consultant à l’Institut sud-africain des études sur la sécurité. « On assiste à un glissement très net des relations entre l’Occident et l’Afrique, estime-t-il, désormais essentiellement centrées sur les question de migrations et de sécurité (surtout la France, NDLR), ce qui fait de cette période un créneau idéal pour les nouveaux entrants ». Et parmi ces candidats, la Chine est l’autre poids lourd.
Au cours des six derniers mois, la Chine a effacé pour 17 milliards de dette bilatérale centrafricaine, organisé un programme de formation des hauts fonctionnaires du pays en Chine et offert du matériel militaire au gouvernement de Bangui. Pékin pour autant ne semble pas nourrir d’ambitions politiques ou militaires en République Centrafricaine. L’influence économique reste son vecteur d’influence. Deux compagnies publiques chinoises étaient présentes en République centrafricaine depuis 2007, où elles foraient des puits de pétrole avant de les abandonner fin 2017 après que la milice islamique FPRC a dénoncé l’orientation favorable à Pékin du gouvernement de Bangui.
Si les capitales occidentales s’inquiètent de ces vents contraires, le gouvernement de la République centrafricaine paraît serein. En mars, Touadéra s’est répandu en louanges sur ces « pays amis ». Pour Thierry Vircoulon, la République centrafricaine « est un Etat à genoux, un pays à vendre », dont les acheteurs « sont les puissances émergentes telles que la Chine et une puissance ancienne, la Russie, sur le chemin de sa renaissance ». Pour Vircoulon, « L’Occident n’est plus sur les rangs des acheteurs ; nous sommes au XXIe siècle, les colonisateurs ne sont plus les mêmes ».