L’aéroport de Barcelone s’enorgueillit – hélas ! – d’une première mondiale : l’ouverture, il y a une semaine, d’un restaurant entièrement robotisé et géré par l’intelligence artificielle. C’est un « grand saut vers le futur », note la revue professionnelle de gastronomie JLP qui vante le caractère « révolutionnaire » et « durable » de l’initiative, qu’elle décrit comme entièrement « au service du voyageur ». C’est faux, bien évidemment : s’agissant d’un « self », l’idée est justement de réduire le service au minimum possible tandis que le voyageur, lui, fait une belle part du travail. Mais comme exemple de la manière dont l’IA se substitue à l’homme – véritable « grand remplacement » – il est parfait.
Tout, chez SELF™ est automatisé. Conçu par le groupe international d’« hospitalité des voyages » Areas, dont le siège est à Barcelone, le « restaurant » ressemble plutôt à un hybride entre MacDo et kiosque à sandwiches classiques au milieu d’une salle de 137 m2. Le client y note lui-même sa commande à une borne à écran tactile pour recevoir un QR-code et un numéro de suivi, avant d’être convoqué au comptoir pour y retirer ses plats préparés par un « bras robotique » muni d’une pince et de cinq « doigts » tactiles en l’espace de quelques minutes.
Gros atout du système : ledit robot peut honorer jusqu’à six commandes à la fois, assurant une rapidité inouïe dans un tel environnement.
L’aéroport de Barcelone, pionnier des tâches externalisées au client
Tout se fait, par ailleurs, « sans contact » entre le moment de la commande et la remise des plats ; Coca-Cola fait partie des « fournisseurs de boissons de haute qualité » ayant participé au projet.
Il reste quand même des salariés humains dans la salle pour « assister » les voyageurs en cas de besoin (un peu comme dans les bureaux de poste où un agent viendra vous aider à contre-cœur si la machine à distribuer les timbres en 25 clics faciles finit par avoir raison de votre patience…) et offrir un « accueil optimal ». Pourquoi se plaindrait-on ? Lesdits serveurs et serveuses portent des « uniformes écologiques, fabriqués en coton biologique », pour plus de « durabilité ».
L’aéroport de Barcelone, plateforme par laquelle transitent quelque 50 millions de voyageurs par an, se veut à la pointe de la numérisation (traduisez : de l’accomplissement de la plus grande proportion de tâches possible par le client lui-même). Le SELF d’Area y joue un rôle d’expérience grandeur nature : il s’agit à la fois d’évaluer le rendement du système et de jauger la satisfaction des « mangeurs » du monde de demain – on hésite à les qualifier de convives.
Un restaurant automatisé à l’IA ? Avant tout un truc à éliminer les humains…
La préoccupation numéro un reste cependant de réduire les coûts sur le long terme. Et elle est tellement assurée, tellement évidente que JLP ne prévoit pas que la « satisfaction client » puisse se révéler négative : « Barcelone a fait le premier pas, mais c’est seulement une question de temps avant que les restaurants robotiques dans les aéroports ne deviennent la nouvelle norme de l’industrie de l’hospitalité et du tourisme. »
Et ce ne sont pas seulement les serveurs et les cuisiniers dont les emplois sont menacés : l’IA se charge également de faire les inventaires et de gérer l’approvisionnement du « restaurant », et utilise une caméra équipée de « vision artificielle » à haute performance qui « apprend » et prend des décisions « optimales » en temps réel en adaptant le service à l’environnement pour en améliorer « la qualité et la rapidité ». C’est ainsi, en tout cas, que le groupe Areas décrit la chose. Histoire de surveiller, peut-être, que le lomo ibérico attendu par le client A ne soit subtilisé par le client B ayant payé un modeste café serré…
Et on appelle ça le progrès !