Ils sont plusieurs, dans le petit monde des grands réalisateurs du cinéma, à craindre le développement irrépressible de l’Intelligence Artificielle (IA) et surtout à dire publiquement leurs appréhensions. Et force est de constater qu’ils sont plutôt de la vieille génération… Les anciens – comme Ridley Scott, qui voit l’IA comme « potentiellement désastreuse pour l’humanité » – avisent d’un regard non ébloui les risques de cette nouvelle divinité aux fols attraits auxquels rendent un hommage éperdu les gouvernements mondiaux, quoiqu’ils prétendent à une froide et prudente objectivité. L’administration Biden, tout particulièrement, s’est engagée cet été publiquement dans la bataille, contre ou pour l’IA, on ne sait plus trop – de manière non officielle, la Maison Blanche y travaille depuis bien longtemps… C’est vraiment le Graal, le Précieux du monde d’après.
Le cinéma contre les risques de l’IA
« Il faut verrouiller l’IA. Mais je ne sais pas comment vous allez la verrouiller. » C’est par ces mots que le Britannique Ridley Scott s’est adressé au journaliste du magazine Rolling Stone, comme rapporté par le New York Post. Le réalisateur du très moyen Napoléon (mais aussi Blade Runner, Christophe Colomb, Seul sur Mars, Gladiator et le court-métrage 1984) a déclaré que l’IA pouvait non seulement devenir un problème pour l’industrie cinématographique, mais qu’elle pouvait surtout avoir un impact négatif sur la société et être même désastreuse pour l’humanité.
En cela, il rejoint un certain nombre d’Américains, puisque le dernier rapport Bentley-Gallup Business and Society 2023 révèle que 79 % d’entre eux « ne font pas confiance aux entreprises pour utiliser l’intelligence artificielle de manière responsable ».
Mais il s’agit là d’une peur plus fondamentale, qui touche à la nature même de l’IA. « C’est une bombe technique à hydrogène », a-t-il ajouté. Pour le réalisateur de 85 ans, il pourrait bien déjà être trop tard : « Vous ne la verrouillerez jamais. Une fois sorti, c’est sorti. (…) Si je conçois une IA, je vais concevoir un ordinateur dont la première tâche sera de concevoir un autre ordinateur plus intelligent que le premier. Et quand ils se réuniront, vous aurez des ennuis : cette IA pourra prendre le contrôle de tout le système électro-monétaire du monde et le désactiver. Voilà pour le premier désastre. »
Le gouvernement américain veut de nouveaux réplicants ?
Et de rappeler le souvenir de Blade Runner où la méga-corporation Tyrell Corp travaillait à produire, via l’ADN, des androïdes, appelés « réplicants » : de véritables systèmes d’IA dotés de corps avancés de bio-ingénierie conçus pour plagier les capacités physiques et intellectuelles des humains. Son fondateur, le Dr. Eldon Tyrell, pense qu’il est Dieu… mais son œuvre devient immanquablement dangereuse. Le film est sorti en 1982, mais n’avait pas eu à ce moment-là le succès escompté : il s’est rattrapé par la suite, l’évolution numérique redorant le blason prophétique du réalisateur.
« Les data ont quelque chose de non créatif, continue Ridley Scott. On peut obtenir une peinture créée par un ordinateur, mais j’aime à croire – et je dis cela sans confiance – que le système ne fonctionnera pas pour quelque chose de particulièrement spécial qui requiert de l’émotion, une âme. » C’est également ce qu’avait voulu signifier Tim Burton, autre grand réalisateur – américain cette fois – lorsqu’il avait dit que l’IA supprime « l’âme » de l’art, qu’elle est « comme un robot qui prend votre humanité ».
Quant au talentueux Britannique Christopher Nolan et à l’inénarrable américain James Cameron, leurs appréhensions se croisent sur le plan militaire.
Le premier évoque une possibilité terrifiante, « notamment parce que les systèmes d’IA finiront par devenir des infrastructures défensives. Ils seront aux commandes des armes nucléaires. Dire qu’il s’agit là d’une entité distincte de la personne qui utilise, programme et utilise cette IA, montre qu’alors nous sommes perdus ».
Le second, réalisateur de la série Terminator, avait déclaré à la chaîne canadienne CTV News en juillet : « Je pense que nous allons nous lancer dans l’équivalent d’une course aux armements nucléaires avec l’IA, et si nous ne la construisons pas, les autres vont certainement la construire, et alors cela va s’intensifier. »
« Etre à l’avant-garde de l’utilisation de l’IA, pour contrer les utilisations adverses »
Et pourtant, la divinité de l’IA s’assure des fidèles. En mai 2023, la Maison Blanche annonçait qu’elle s’attelait à la lutte contre elle, en promouvant sa vice-présidente Kamala Harris « tsar de l’IA » et en la dotant d’un budget de 140 millions de dollars. Le but étant de déterminer le niveau de réglementation optimale, et surtout le choix de ceux qui tiendront les rênes, pour « atténuer les risques » qu’elle peut comporter. L’administration Biden prévoyait ainsi de créer 25 instituts de recherche afin d’évaluer quatre entreprises à la pointe de la course à l’IA, dont OpenAI, le développeur de ChatGPT, Microsoft et Google.
Quelques mois plus tard, nous rapporte LifeSite, paraissait un document du Département de la Sécurité intérieure (DHS) signé par son secrétaire Alejandro Mayorkas, indiquant que l’IA est sur le point de « modifier radicalement le paysage des menaces ». Et comment compte-t-il contrer « les menaces nouvelles et existantes » ? En utilisant activement et en augmentant considérablement les outils d’intelligence artificielle : la course à l’IA.
Mayorkas détaille ainsi comment les modèles d’IA et d’apprentissage automatique deviennent partie intégrante des diverses fonctions de l’agence. Et souligne la vitesse à laquelle les algorithmes d’IA permettent au DHS de collecter, traiter et analyser de vastes ensembles de données, manne formidable, renforcé par l’arrivée de la 5G et l’Internet des Objets.
Mais on ne peut que penser au renforcement potentiel d’une dynamique de surveillance permanente et totale. Le prix de la sécurité sera alors celui des libertés civiles. D’ailleurs une des principales menaces évoquées par le DHS est celle de la désinformation ! Tout tri implique des préjugés et ce seront ceux du gouvernement. Mais rassurez-vous, votre vie privée et vos droits seront préservés !
Quoi qu’il en soit, l’IA a officiellement atteint le niveau politique. Nul n’écoute les craintes de nos réalisateurs de science-fiction…