En Russie comme en Chine, la visite de Xi Jinping à Poutine saluée comme ouvrant une nouvelle ère de la « multipolarité »

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Xi Jinping, reçu en grande pompe par Vladimir Poutine à Moscou à l’orée d’une visite d’Etat de trois jours, a voulu rendre visible l’amitié persistante entre l’ex-Russie soviétique et la Chine, plus grand pays ouvertement communiste au monde. De part et d’autre, les médias d’Etat ont salué l’événement qu’ils présentent comme fondateur, signe de la fin de l’« hégémonie » occidentale et ouvrant une nouvelle ère dans les relations internationales mondiales. Il n’est pas indifférent de noter qu’il y a dix ans, le président Xi qui entamait son premier mandat avait réservé son premier voyage à la Russie, où Poutine détenait déjà effectivement le pouvoir depuis treize ans. A peine réélu pour un troisième mandat historique, Xi Jinping fait le même « pèlerinage » initial, pour ne pas dire initiatique. Rien de nouveau sous le soleil ? Est-ce vraiment la naissance de l’ère de la « multipolarité » qui est au centre de la rhétorique russe ?
 
Dans le contexte de la guerre en Ukraine, l’amitié manifestée par le président chinois à son homologue russe apparaît comme le signe d’une alliance face cet « Occident » que les deux puissances rendent responsable de la situation. Dans le « plan en douze points » sur la crise publié par Pékin le 24 février dernier, plan de paix que Xi Jinping apportait à Moscou et que Poutine a salué, les Etats-Unis sont accusés de vouloir « intensifier la tension dans le détroit de Taïwan ». La note ajoute : « Le seul qui puisse résoudre le problème est celui qui l’a créé. La clef de la résolution de la crise ukrainienne n’est pas dans les mains de la Chine, mais dans les mains des Etats-Unis et de l’Occident. » Et rien n’est dit sur le retrait des troupes russes de l’Ukraine en vue de négociations de paix.
 

Poutine et Xi Jinping ont salué leurs progrès réciproques

 
Les deux chefs d’Etat ont multiplié les compliments réciproques. Poutine a déclaré que « la Chine a fait une percée colossale dans son développement ces dernières années », sans rappeler, mais fallait-il s’y attendre, que la Chine a essentiellement bénéficié de la faiblesse de ses coûts de production alors même que les pays développés lui ont fait le cadeau de participer au commerce international avec cet avantage, faisant d’elle de manière délibérée « l’usine du monde ».
 
En réponse, Xi Jinping a félicité Poutine : « La Russie a fait des progrès significatifs dans la prospérité du pays sous votre direction », et l’a adoubé en vue d’un prochain mandat : « Vous aurez des élections l’année prochaine ; je suis sûr que le peuple russe vous soutiendra. »
 
Les deux hommes ont répété combien leurs deux pays sont proches, à la fois par leur regard sur le monde, la croissance de leurs relations économiques (pour un chiffre d’affaires qui a « plus que doublé » pour atteindre 185 milliards de dollars) et les « tâches et objectifs communs », pour reprendre les mots de Poutine. La Russie est désormais le principal fournisseur de la Chine en gaz naturel ; à la fin de 2022, elle atteignait la deuxième place pour la fourniture de pétrole, derrière l’Arabie saoudite, et a dépassé celle-ci pendant les deux premiers mois de 2023.
 
Bref, les liens ne font que se renforcer, et sont largement interprétés dans la presse russe et chinoise comme signes de la progression bienvenue de la « multipolarité » face à « l’hégémonie » globale étatsunienne dans un monde « unipolaire ».
 

La Russie et la Chine, bloc déjà bien ancien de la multipolarité effective

 
Voire. L’avènement de la Perestroïka et la chute de l’Union soviétique ont certes sonné la fin de la Guerre froide, donnant l’impression que le champ était désormais libre pour un monde globalisé sous conduite américaine – et dans lequel la Chine communiste entrait de plain-pied par le biais du commerce international. Mais dans la réalité, les zones d’influence ont continué d’exister, les initiatives expansionnistes n’ont pas manqué – songez à la présence chinoise et, de plus en plus, russe en Afrique, qui se justifie en dénonçant le « colonialisme » occidental – et les « blocs » ont continué de se frotter l’un à l’autre. Autour de la Chine et de la Russie, les BRICS se sont constitués, et cherchent depuis l’élection de Lula au Brésil à reprendre sérieusement du service. La « Nouvelle Route de la Soie » chinoise – saluée par Poutine lors de ses discussions avec Xi – sert plutôt la cause de l’intégration eurasiatique que les développements souverains et séparés prônés au nom de la « multipolarité ».
 
Selon Dmitry Trenin, membre du Conseil de la politique étrangère et de défense de la Russie (organisme non gouvernemental avec lequel Poutine parle volontiers, notamment par le biais des réunions du groupe de Valdaï), il faut s’attendre à davantage de coopération entre la Russie et la Chine, cette dernière ayant compris selon lui qu’il existe plan de Washington de « vaindre d’abord Moscou, puis de se retourner contre Pékin ». Pour autant, il n’y aura pas un nouveau « bloc militaire » sino-russe en « Eurasie ». L’idée serait plutôt, alors que la Chine atteint un nouveau statut géopolitique mondial mis en évidence par son récent rôle directeur dans la mise sur pied d’un accord entre l’Iran (qui fait partie de la sphère d’influence russe) et l’Arabie Saoudite, de voir la Russie et la Chine à la tête d’une marche vers un « nouvel ordre », en « réduisant la dépendance de nombreux pays vis-à-vis des Etats-Unis et de ses alliés européens ».
 

Xi Jinping-Poutine : une visite qui exalte la régionalisation eurasiatique

 
En clair, c’est la constitution de grandes régions de pouvoir et d’influence, possible étape nécessaire vers un mondialisme plus affirmé.
 
Ce qu’il y de passionnant dans cette affaire, c’est que Russes et Chinois ont adopté un vocabulaire et des notions communes au service d’une action pour le moins voisine, sinon conjointe : multipolarité, coexistence amicale, coopération, avenir partagé pour l’humanité, dénonciation de l’« impérialisme » et du « colonialisme » comme à la grande époque du communisme flamboyant.
 
Rien de nouveau sous le soleil, décidément !
 
La Chine ouvertement communiste, persécutrice de ses minorités et des chrétiens, effroyable Big Brother aux capacités de contrôle totalement inédites, vise un rôle de leader planétaire en affirmant clairement ses amitiés. Faut-il s’en réjouir ?
 
Jeanne Smits