Valeri Rachkine et Sergueï Oboukhov, élus communistes à la Douma, préparent une proposition de loi qui vise à faire de la mise sur le même plan du communisme et du nazisme un délit répertorié dans le code pénal russe. Les deux parlementaires voudraient le voir puni d’une peine allant jusqu’à dix ans d’emprisonnement afin d’empêcher que le régime communiste en vigueur en Russie Soviétique ne soit assimilé au régime nazi de Hitler, par « respect de la mémoire » des Russes qui ont « donné leur vie » pour battre l’Allemagne au cours de la Seconde Guerre mondiale. Une loi contre le négationnisme d’une nouvelle sorte… L’idée qui la sous-tend a reçu l’appui de hauts responsables proches de Vladimir Poutine.
Les deux auteurs de la proposition s’en sont ouverts à RT.com, la télévision russe anglophone contrôlée par l’agence russe d’Etat RiaNovosti. Rachkine et Oboukhov ont expliqué que leur texte se veut une réponse à une utilisation politique de l’histoire par les Etats-Unis, invoquant notamment la résolution APCE de 2006 sur la nécessité de la dénonciation internationale des crimes des régimes totalitaires.
Rachkine et Oboukhov défendent l’héritage du communisme contre le nazisme
Cette résolution de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe rappelait les crimes du communisme, non sans signaler que celui-ci demeure (visiblement, NDLR) au pouvoir dans plusieurs pays du monde sous forme de « régimes communistes totalitaires ». Tous, rappelle la résolution, ont été « caractérisées par des violations massives des droits de l’homme ». Elle souligne aussi combien les crimes du communisme ont été oubliés, escamotés, occultés, et qu’au contraire des « crimes horribles du nazisme », ils n’ont pas été jugés, et appelle de vœux une juste étude historique de l’étendue de l’horreur imposée à tant de pays du monde au nom de la « lutte des classes et de la dictature du prolétariat ».
Les deux parlementaires communistes russes y voient une « claire tendance internationale visant à modifier l’ordre mondial de l’après-guerre et à réécrire les résultats de la Seconde Guerre mondiale sur la base de la thèse de la nature totalitaire des systèmes politiques de l’URSS et de l’Allemagne nazie, promue par les Etats-Unis et ses satellites ».
Leur proposition vise à amender la loi russe existante qui interdit la réhabilitation du nazisme en y ajoutant un article interdisant la mise sur un plan d’égalité des régimes politiques de l’URSS communiste et de l’Allemagne nazie, que ce soit lors de déclarations publiques ou dans les médias. Le même article bannirait en outre tout promotion d’une quelconque « supériorité » du nazisme. D’autre part, la peine de prison encourue serait fortement augmentée : elle passerait de trois ans actuellement pour la « réhabilitation du nazisme » à dix ans.
Le nouveau « négationnisme » : sanctions pénales pour qui met sur le même plan communisme et nazisme
Sergueï Ivanov, chef de l’Administration de la présidence russe, a commenté l’initiative pour RT.com, assurant que la dénonciation du communisme revenait à nier le « rôle crucial » joué par l’URSS pour vaincre l’Allemagne nazie. Il accuse des politiques occidentaux d’avoir voulu « réécrire » et « tordre » l’histoire en « mettant par exemple le communisme et le nazisme sur le même plan, sur le même niveau ». « Cela n’est tout simplement pas vrai : nos vétérans et la plupart des Russes n’accepteraient jamais cette idée. (…) Plus ça va, et de manière de plus en plus délibérée, les pays occidentaux veulent utiliser cette méthode pas très morale pour isoler la Russie, pour rejeter dans l’oubli des millions de Russes, mais aussi des Britanniques, des Américains et des victimes du monde anglo-saxon qui ont donné leurs vies pour vaincre Hitler », affirme-t-il.
Cette agrément officiel de la démarche des deux députés communistes de la part d’un proche de Poutine se fait l’écho de responsables russes de haut niveau, Vladimir Poutine compris, affirmant que la tentative de « réécrire » l’histoire de la Seconde Guerre mondiale et de « réhabiliter » le nazisme sont l’une des menaces les plus importantes à l’heure actuelle non seulement pour la Russie, mais pour l’Europe et pour le monde entier, selon RT.com. Celui-ci rapporte des propos tenus par Vladimir Poutine en mars dernier : l’objectif des hommes politiques qui s’y livrent est, selon lui, « de saper la puissance et l’autorité morale de la Russie moderne et de la déposséder de son statut de nation victorieuse, avec toutes les conséquences que cela entraînerait sur le plan du droit international ».
Ces parlementaires qui « oublient » la pensée unique : le régime communiste de la Russie n’a jamais été honni comme le nazisme
L’article de RT.com, organe de l’Etat russe, est décidément très éclairant.
Il soulève plusieurs questions, au premier plan desquelles celle de savoir quand et par qui le régime communiste soviétique a été mis sur le même plan que le nazisme – si ce n’est pas des anticommunistes mis à la marge des systèmes politiques et médiatiques dominants – depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui le communisme n’est plus un obstacle à la participation au concert des nations – voyez la Chine, le Vietnam, Cuba, et plus largement les nations qui se réclament du socialisme révolutionnaire – et les partis communistes existent librement dans de nombreux pays du monde – à commencer par la France.
Le communisme a-t-il jamais été un obstacle, d’ailleurs ? Malgré que l’on doive affirmer rejeter le communisme pour entrer sur le territoire des Etats-Unis, on sait combien, depuis Yalta, le monde occidental et l’URSS ont cohabité dans une opposition sur bien des plans plus apparente que réelle, d’accord pour partager leurs sphères d’influence, l’Union soviétique toujours soutenue par la haute finance.
Et tandis que l’apologie du nazisme et de ses crimes a été criminalisée, il n’y a jamais eu de pénalisation parallèle à l’égard du communisme : tout au plus, dans les pays ex-communistes, des recherches, la mise en place d’un « Mémorial » et autres initiatives qui relèvent de démarches plus historiques que politiques.
Pourtant, comme le disait Soljenitsyne, « le communisme tuait avant que le nazisme ne tue, il tuait pendant que le nazisme tuait, il continue de tuer quand le nazisme ne tue plus ».
Alors, mettre le nazisme et le communisme sur le même plan est-ce vraiment « l’une des plus importantes menaces » auxquelles « le monde entier » fait face ? Ce n’est là qu’une traduction de l’idéologie officiellement en cours depuis des décennies : une variante de la pensée unique partagée dans les faits par ceux qui ont dominé le monde en se servant du nazisme comme repoussoir commode pour justifier une barbarie totalitaire par la dénonciation d’une autre barbarie totalitaire.
Qui a donc besoin de la réhabilitation du communisme ?
La Russie, Poutine le dit explicitement et cela est encore souligné par des initiatives comme celle des deux parlementaires, reste sur un chemin parfaitement tracé à la faveur des droits reconnus aux nations – mais aussi, en France par exemple par le biais des syndicats, à d’autres entités – en leur qualité de vainqueurs du nazisme.
Et pour cela on est prêt à brasser beaucoup d’air. Car sérieusement, quel est le risque visible, aujourd’hui, de voir le communisme rejeté au même titre que le nazisme ? A qui cela porterait-il préjudice ?
A moins que le communisme ne soit pas mort… A moins qu’on n’ait encore besoin de l’épouvantail nazi alors que, grâce à Dieu, cette forme-là de barbarie totalitaire est heureusement vaincue. C’est sans doute là la principale leçon de cette histoire.