Les présidents Recep Tayyip Erdoğan et Vladimir Poutine ont participé mardi à la cérémonie de lancement de la construction par la Russie de la centrale nucléaire d’Akkuyu en Turquie. Le même jour, les deux dirigeants décidaient d’avancer à juillet 2019 la date du déploiement du système antimissile russe S-400 commandé par le sultan d’Ankara.
Sans doute ces deux projets stratégiques ainsi que la construction du gazoduc TurkStream qui acheminera le gaz russe en Turquie et dans le sud de l’Europe permettent-ils de mieux comprendre pourquoi Poutine a permis à Erdoğan de lancer dans le nord de la Syrie une offensive contre les forces kurdes alliées des Américains contre l’Etat islamique. Avec les systèmes anti-aériens et antimissiles que la Russie a déployés en Syrie, une telle intervention ne pouvait se passer du feu vert de Moscou et la Russie n’en tire que des avantages : elle met les Américains dans une situation délicate vis-à-vis de leurs alliés kurdes, elle maintient Bachar el-Assad dans une situation de dépendance pour sa survie et elle obtient des contrats stratégiques avec la Turquie. Et, cerise sur le gâteau, la Russie enfonce encore plus le coin entre la Turquie et le reste de l’OTAN.
Poutine a su mettre à profit l’engagement militaire de la Russie en Syrie pour obtenir des contrats avec la Turquie et faire d’Erdoğan son allié
Mais peut-être sera-ce l’occasion pour les Européens et les Américains de comprendre enfin que l’islamiste Erdoğan n’est pas leur allié ? L’acquisition par Ankara du système de défense antimissile S-400 notamment est le plus critiqué, car il ne sera pas interopérable avec les autres systèmes antimissiles de l’OTAN et il fait craindre un accès des Russes à des installations et des codes de l’OTAN sur le sol turc. Cet achat pourrait, selon le journal turc en langue anglaise Hürriyet Daily News, tomber sous le coup de la loi américaine CAATSA (pour Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act), la même que Washington brandit contre le projet Nord Stream 2 entre la Russie et l’Allemagne.
Plus que la centrale nucléaire d’Akkuyu construite par Rosatom, c’est le système antimissile russe S-400 commandé par Ankara qui suscite les critiques de l’OTAN
Quant à la centrale nucléaire d’Akkuyu, elle va être construite par Rosatom et devrait à terme couvrir 10 % des besoins en électricité de la Turquie. Son coût avoisinera les 20 milliards de dollars et sa mise en service est prévue pour 2023. La Russie est aussi déjà le principal fournisseur de gaz de la Turquie, une situation qui ne pourra que s’accentuer avec le gazoduc TurkStream (appelé aussi Turkish Stream) dont la construction a été lancée en juin dernier, également en présence du président russe. Ce projet de gazoduc avait été annoncé en décembre 2014 en remplacement du gazoduc South Stream annulé en raison de l’hostilité à ce projet de Bruxelles, qui y voyait un obstacle à la diversification des fournitures de gaz. South Stream faisait notamment concurrence au projet européen Nabucco qui devait relier l’Iran et les pays de la Transcaucasie à l’Europe centrale sans passer par la Russie. Ce dernier gazoduc passerait par contre par la Turquie et le projet a de toute façon été mis en suspens du fait de la guerre en Syrie.
Dans ce jeu d’échecs géostratégique, Vladimir Poutine, par sa présence militaire en Syrie, a su faire du sultan d’Ankara son obligé. Les Occidentaux n’ont d’autre choix que d’en tenir compte et admettre que l’ancien officier du KGB leur a infligé une belle leçon de realpolitik.