Mgr Salvatore Cordileone salue l’appel pour la liberté de la messe traditionnelle (texte intégral)

Salvatore Cordileone messe traditionnelle
 

A la suite de la publication par le Times d’un appel prestigieux pour la liberté de la messe traditionnelle, l’archevêque de San Francisco en Californie, Mgr Salvatore Cordileone a ajouté sa voix à la supplique qui émane largement du monde de la culture et de la musique, rassemblant des personnes qui ne partagent pas forcément la foi mais qui s’inclinent devant la beauté. C’est une prise de position qui va à contre-courant dans l’Eglise aujourd’hui : qu’un archevêque se soit ainsi exprimé est un encouragement certain.

On aura à l’esprit en lisant ses remarques confiées au National Catholic Register, dont nous vous proposons ci-dessous la traduction intégrale, que Mgr Cordileone n’est pas un « traditionaliste » au sens actuel du mot. Il célèbre habituellement selon le missel de Paul VI et il parle depuis la place où il se trouve, sans approuver les critiques qui sont formulées à l’encontre de la liturgie réformée. Son propos a toute son importance, néanmoins, car il souligne ce qu’il y a de radicalement contraire à l’esprit pastoral dans la guerre menée aujourd’hui contre la messe tridentine. Guerre qui n’est pas nouvelle, les protestants l’avaient engagée d’emblée, mettant ainsi en évidence le caractère fondamental du sujet de la liturgie pour la foi et pour l’Eglise. – J.S.

 

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« La beauté objective de la messe traditionnelle en latin évangélise » (Mgr Salvatore Cordileone)

 

Quand la cathédrale Notre-Dame de Paris s’est embrasée le 15 avril 2019, le monde entier a pleuré ensemble la perte de la beauté antique et grandiose, mais aussi sacrée d’un lieu qui touchait les cœurs et les âmes, même au-delà des catholiques qui y pratiquent leur foi et des catholiques du monde entier.

Ce phénomène m’avait impressionné à l’époque, comme je le suis aujourd’hui par la réaction analogue aux rumeurs selon lesquelles Rome envisage de restreindre encore davantage la célébration de la messe catholique selon le missel romain de 1962 (communément appelée « messe en latin » ou « messe traditionnelle en latin »).

Le 3 juillet, plus de 40 éminentes personnalités britanniques ont signé une lettre adressée au pape François, lui demandant de sauvegarder l’accès à la messe en latin. Parmi ces signataires figurent des catholiques et des non-catholiques, des croyants comme des non-croyants.

A l’instar des signataires de la pétition de 1971 qui a permis la préservation de la Messe en latin en Angleterre, ils mettent en avant, outre les aspects spirituels, une préoccupation quant au patrimoine culturel du monde au cas où il deviendrait plus difficile d’assister à la Messe en latin. Cette nouvelle pétition cite les termes de la pétition « Agatha Christie » de 1971 en affirmant que « le rite en question, par son magnifique texte latin, a également inspiré les réalisations inestimables […] de poètes, de philosophes, de musiciens, d’architectes, de peintres et de sculpteurs de tous les pays et à toutes les époques. Il appartient donc à la culture universelle ».

Les signataires actuels ajoutent leur propre voix à cette préoccupation : « La liturgie traditionnelle est une “cathédrale” de textes et de gestes, qui s’est développée comme ces vénérables édifices au fil des siècles. Tous n’en apprécient pas la valeur, et cela ne pose pas de problème, mais sa destruction semble un acte injustifié et indélicat dans un monde où l’histoire peut trop facilement s’effacer dans l’oubli. »

Ils soulignent que « cet appel, comme le précédent, est “entièrement œcuménique et apolitique”… Nous implorons le Saint-Siège de revenir sur tout projet de nouvelle limitation à l’accès à ce magnifique patrimoine spirituel et culturel. »

Le fait que l’un des signataires soit la célèbre militante des droits de l’homme Bianca Jagger souligne la nature apolitique et non idéologique de la demande. De toute évidence, la « rigidité » ne peut rendre compte d’un élan d’amour aussi extraordinaire et aussi divers pour cette forme liturgique.

J’ai bien peur qu’une image faussée des amoureux de la messe en latin ne se soit installée à cause de quelques extrémistes qui sévissent sur l’internet. Comme le montrent cette pétition et les précédentes, la Messe en latin possède un attrait étonnamment inclusif.

La plupart de ceux qui assistent à la messe en latin assistent également au Novus Ordo (connu familièrement sous le nom de messe de Vatican II). Ils savent qu’être catholique signifie que nous devons rester à l’intérieur de la barque de Pierre, même si la mer est agitée. Ils plaident non pas contre la nouvelle messe, mais pour la forme qu’ils aiment, qui les nourrit et les inspire – au point qu’ils constituent une proportion visible de ceux qui deviennent les créateurs d’un nouvel art et d’une nouvelle beauté que le monde partage et célèbre. C’est pourquoi la messe en latin a attiré le soutien de non-croyants qui sont conscients du rôle crucial qu’elle a joué dans la création de la civilisation occidentale.

 

Mgr Salvatore Cordileone souligne le nombre de musiciens plaidant pour la messe traditionnelle

Parmi les signataires de cette dernière pétition figurent de nombreux et grands musiciens classiques – chanteurs, pianistes, violoncellistes, chefs d’orchestre et, bien sûr, Sir James MacMillan, qui est à l’origine de cette pétition. MacMillan est le compositeur de musique classique catholique le plus célèbre et le plus joué de notre époque. Son Stabat Mater a été commandé par le Vatican et joué dans la Chapelle Sixtine.

Parmi les autres artistes importants, citons le célèbre romancier, scénariste et réalisateur Julian Fellowes, qui a remporté l’Academy Award, l’Emmy Award et le Tony Award. Fellowes est peut-être surtout connu pour son rôle de créateur du long feuilleton télévisé Downton Abbey. Un autre signataire, Andrew Lloyd-Webber, est peut-être le plus grand créateur de comédies musicales de notre époque (notamment Cats, Evita, Joseph and the Amazing Technicolor Dream Coat et le jeu de la Passion contemporain, Jesus Christ Superstar).

La pétition « Agatha Christie » de 1971 comptait elle aussi au nombre de ses signataires des artistes et des personnalités littéraires de renom, tels que les poètes Robert Lowell, Robert Graves, David Jones et le poète officiel anglais Cecil Day-Lewis ; des romanciers comme Graham Greene, Nancy Mitford, Djuna Barnes et Julian Green, ainsi que le plus célèbre des nouvellistes argentins, Jorge Luis Borges, dont l’œuvre littéraire a donné naissance au mouvement du « réalisme magique » à la fin du XXe siècle parmi les écrivains espagnols des Amériques. Parmi les signataires figuraient même les évêques anglicans Robert Cecil Mortimer d’Exeter et John Moorman de Ripon.

 

Trois pétitions prestigieuses pour la messe traditionnelle

Il y eut une pétition similaire en 1966, organisée par Cristina Campo, traductrice de Marcel Proust (encore un exemple d’un catholique déchu qui comprenait la valeur de la messe en latin pour préserver la civilisation, y compris dans un sens séculier), et adressée au pape Paul VI, demandant que la messe en latin soit maintenue au moins dans les communautés monastiques. Elle recueillit les signatures de 37 écrivains et artistes, dont deux lauréats du prix Nobel. Parmi les signataires figuraient W.H. Auden, Evelyn Waugh, Jacques Maritain, le romancier français François Mauriac, lauréat du prix Nobel, le compositeur Benjamin Britten et Gertrud von Le Fort, l’auteur du classique catholique Dialogue des carmélites, qui a ensuite servi de sujet à un opéra de Francis Poulenc.

Le concile Vatican II nous a appris à lire les signes des temps. L’un de ces signes nous interpelle en ce moment même, et en grosses majuscules : « La beauté évangélise. »

Nous vivons à une époque où il nous faut mobiliser le pouvoir de la beauté pour toucher les esprits, les cœurs et les âmes, car la beauté possède la qualité d’une expérience réelle, inexorable, qui n’est pas sujette à discussion. La maxime culturelle contemporaine, « Vous avez votre vérité et moi, j’ai la mienne », conduit au refus de reconnaître la réalité physique et biologique, même la plus évidente, alors que la beauté contourne le processus cognitif et touche directement l’âme. La beauté sacrée nous sort du monde du temps et nous donne un aperçu de ce qui transcende le temps, de ce qui dure en fin de compte, de notre but et de notre dernière demeure : la réalité de Dieu.

Prenons l’exemple du cinéaste Martin Scorsese. Malgré toutes les critiques formulées à l’encontre de ses interprétations controversées de thèmes religieux, voire de Notre Seigneur lui-même, Scorsese est un de ces artistes modernes dont l’imagination a été façonnée par le contraste entre ce que véhiculait la messe en latin et la culture des durs à cuire des rues new-yorkaises. Comme l’indique un portrait publié dans le New York Times en 2016 :

« A l’intérieur de la vieille cathédrale, on pouvait constater à quel point Scorsese n’a jamais rien oublié – ni la splendeur de l’église, ni la présence de la souffrance et de la mort, du péché et de la rédemption, tout proches. Le curé faisait remarquer les détails d’une rénovation : les saints qui avaient retrouvé leurs couleurs d’origine, les marbres et les cuivres de l’autel restaurés dans l’état où ils se trouvaient avant une opération de modernisation menée en 1970. Scorsese, qui avait quitté le quartier en 1965, n’avait pas besoin de guide. Il connaissait les moindres recoins du lieu. “Imaginez un garçon de 8 ans se tenant ici, en soutanelle blanche, récitant une prière en latin”, songeait-il à voix haute : “C’est moi.” Je lui ai demandé de faire le lien entre [son film de 2016] Silence et ce qu’il voyait dans cette vieille cathédrale. Il s’est tapoté le front avec deux doigts. “Le lien, c’est qu’il n’y a jamais eu d’interruption. C’est une continuité. Je ne suis jamais parti. Dans mon esprit, je suis ici tous les jours.” »

A une époque marquée par l’anxiété et la déraison, la beauté est donc une ressource largement inexploitée [nous soulignons] pour transmettre le message d’espoir de l’Evangile aux gens, en particulier aux jeunes. Il y a beaucoup de travail à faire, mais honorer et encourager la vocation particulière des artistes est un élément clef de ce travail. En cette époque déchristianisée qui devient de plus en plus inhospitalière à l’égard de tout sens traditionnel de la religion, l’Eglise a besoin de fonctionner avec tous ses cylindres. La messe latine traditionnelle et la beauté qu’elle inspire sont l’un de ces éléments. Le fait que même les non-croyants puissent ressentir pour elle une attirance prouve à lui seul ce point.

 

Le « cri du cœur » de Mgr Salvatore Cordileone

Pourquoi supprimer ce qui constitue un moyen, parmi d’autres, d’entrer en contact avec les âmes qui sont loin du Christ, et de les conduire à la rencontre amoureuse et salvatrice avec lui, dans la communion de l’Eglise, son Epouse ?

J’espère et je prie pour que ce cri du cœur [en français dans le texte] des artistes et d’autres personnalités britanniques soit entendu et considéré tel qu’il est : plutôt que de diviser le monde au nom de la pureté idéologique, c’est une occasion de rassembler le monde au service de la beauté – un chemin qui mène, à terme et inévitablement, à la Beauté toujours ancienne, à la Beauté toujours nouvelle.

 

Salvatore Cordileone

Archevêque de San Francisco et le fondateur et président du conseil d’administration de l’Institut Benoît XVI pour la musique sacrée et le culte divin.

 

Traduction par Jeanne Smits