Après l’attaque américaine présumée en Syrie, le Washington Post, l’un des coryphées des médias US, compare les tweets du candidat Trump aux actes du président. Cet exercice accablant de Trump bashing fait diversion à la question : Bachar El Assad est-il coupable du bombardement au sarin qu’on lui reproche ?
C’est trop facile à démontrer. Donald Trump président semble devenu une machine à contredire par les actes les paroles de Donald Trump candidat. Avec une lourdeur toute US, le Washington Post répertorie ses tweets pour l’établir. Depuis 2013, il n’avait cessé de reprocher à Obama la « folie » d’attaquer la Syrie, et de faire la guerre sans l’approbation préalable du Congrès US. Il vient d’attaquer la Syrie sans autorisation du Congrès. Le Washington Post répète le même parallèle avec des dizaines d’autres tweets à propos de l’ouverture de la Maison blanche au public, du bombardement de l’Afghanistan, du fait de passer outre à la majorité du Congrès, de sa chute dans les sondages, des loisirs du président, de son goût pour les people et le golf, etc.
Les médias dominants se dédouanent de leur Trump bashing
Les médias dominants entendent montrer ainsi que Donald Trump se dédit comme un autre politicien et peut être plus vite qu’un autre, ce qui est hélas vrai, donc que c’est bien l’irresponsable nocif sinon le clown qu’ils avaient décrit : les voilà dédouanés de l’incroyable campagne de Trump bashing qu’ils mènent depuis plus d’un an, et voilà de quoi ancrer dans le public la conviction qu’au bout du compte ils sont fiables.
En même temps, ils mélangent tout, car les messages ironiques de Donald Trump sur les parties de golf d’Obama n’avaient pas grand chose à voir avec le fait, capital, d’attaquer la Syrie en représailles d’un bombardement présumé au gaz sarin par l’armée de Bachar El Assad. Ce grand fourre-tout offre une diversion opportune à la question qui devrait enfler en Occident depuis l’attaque US : les représailles sont-elles justifiées ? Bachar El Assad est-il coupable des faits qu’on lui reproche ?
Le rapport US Postol sur l’attaque au sarin de Khan Cheikoun
De ce point de vue, en occultant la question avec leur Trump bashing, les médias US dominants contribuent à donner du crédit à la mise en scène sentimentale de Trump, donc à satisfaire le bellicisme américain, donc à satisfaire le complexe militaro-industriel, et c’est assez logique puisqu’ils soutenaient en Hillary Clinton la candidate préféré de ce même complexe.
Quant aux faits, tout le monde semble s’en ficher. Theodore Postol, professeur émérite de science, technologie et sécurité internationale au très prestigieux MIT (Massassuchet’s Institute of Technology) vient de rendre un rapport où il prétend que l’attaque au sarin de la ville de Khan Cheikoun, que Trump attribue à l’aviation de Bachar El Assad, est en fait une attaque menée par des batteries terrestres ayant tiré des rockets de calibre 122. C’est vrai ou c’est faux, mais cela devrait être débattu, étant donné la notoriété et la compétence de Theodore Postol. Or, les médias dominants n’en ont parlé nulle part, ni en Amérique, ni dans le reste de l’Occident.
Quelles preuves a-t-on de la responsabilité de Bachar El Assad ?
Il s’agit donc d’une rétention d’information générale, sur ordre. En d’autres termes, de bourrage de crâne comparable à celui qu’on a connu pendant la guerre du Golfe avec les couveuses du Koweït ou pendant la guerre d’Irak avec les armes de destruction massive.
On a le droit de noter que Theodore Postol est un adversaire décidé des gouvernements US depuis les dernières expéditions menées par les Etats-Unis, puisqu’il a déjà mis en doute la responsabilité de Bachar El Assad dans l’attaque chimique de Ghouta en 2013, qui avait justifié sa condamnation par l’Occident et le soutien de celui-ci à Al Qaïda et Al Nosra. Mais l’on ne peut lui refuser une compétence certaine en la matière : Postol a quand même récolté entre 1990 et 2001 un certain nombre de prix scientifiques assez recherchés, dont le prix Leo Szilard de l’American Physical Society. Il conviendrait donc d’examiner contradictoirement son rapport et de lui clouer le bec s’il est trouvé en défaut.
La Syrie entre la propagande US et celle de Bachar El Assad
En dehors des allégations de Theodore Postol, il faudrait aussi examiner les récentes affirmations de Bachar El Assad lui-même. Il y affirme que rien de sérieux n’a été touché lors du raid de représailles, que l’état major de l’armée syrienne n’a ordonné aucun raid à l’heure dite dans la région de Khan Cheikoun, que celle-ci est d’ailleurs hors de la zone d’opération de l’armée syrienne, qu’étant donné le tour qu’était en train de prendre la guerre à son avantage, tant du point de vue militaire que civil, un bombardement au sarin aurait été non pas seulement absurde mais contreproductif, et qu’au demeurant il ne dispose plus de sarin, ayant détruit ses stocks précisément après l’affaire de 2013. Propagande que tout cela ? Peut-être : mais pourquoi, dans ce cas, les services US n’entreprennent-ils pas d’en démontrer la vacuité ?
Les médias dominants n’apportent aucune preuve
Et surtout d’apporter les preuves qu’il y a bien eu une attaque à Khan Cheikoun (la ville est en secteur rebelle et l’on n’a produit que des vidéos fournies par les rebelles, qui peuvent être authentiques, mais qui peuvent aussi bien n’être que des fabrications), et que cette attaque de Khan Cheikoun a bien été menée par l’aviation syrienne. Or, depuis quinze jour que l’Occident se lamente sur les civils censément tués, en appellent aux droits de l’homme, condamnent Bachar El Assad et derrière lui Vladimir Poutine coupable de soutenir « le dictateur qui assassine son peuple », aucun début de preuve n’a été fourni. Qu’ont fait par exemple nos confrères, dans ce temple de l’intelligence critique et de la rigueur qu’est le Monde ? Ils ont démoli quelques rumeurs qui traînent sur la toile, mais, quant aux faits, n’ont rien produit d’autre que des témoignages non précisés, faisant état d’un survol de la zone par un avion syrien. C’est quand même un peu maigre pour justifier la position occidentale. S’il y a du solide, ce qui est possible, qu’on le dise, ou qu’on cesse cette comédie qui rappelle trop l’Irak.