Huit ans après la catastrophe du 10 avril 2010 qui a coûté la vie au président polonais Lech Kaczyński et à tous les membres du haut-commandement militaire polonais, la Russie continue de refuser de restituer à la Pologne les boîtes noires et l’épave de l’avion Tupolev gouvernemental polonais en sa possession. Ceci alors que, de l’aveu même des membres de la commission d’enquête polonaise mise en place par le gouvernement de Donald Tusk, les enquêteurs polonais ont dû baser la majeure partie de leurs conclusions sur les constatations faites sur place par leurs homologues russes. Contrairement à ce qui a été dit dans les médias occidentaux en 2010, il n’y a en effet pas eu d’enquête conjointe puisque le premier ministre polonais Donald Tusk avait accepté d’appliquer la Convention de Chicago sur l’aviation civile qui donne une compétence exclusive au pays sur le territoire duquel le crash a eu lieu. Pourtant, un accord datant de 1993 entre la Pologne et la Russie, qui s’applique aux accidents impliquant des avions militaires, aurait permis aux enquêteurs polonais de participer aux investigations sur un pied d’égalité avec les enquêteurs russes. Sachant que le Tupolev Tu-154 gouvernemental qui transportait la délégation présidentielle polonaise était un avion militaire, que ses pilotes étaient des officiers de l’armée de l’air polonaise, que l’aéroport de Smolensk-Nord est un aéroport militaire et que les contrôleurs aériens qui ont guidé la trajectoire d’atterrissage de l’appareil étaient des officiers russes, le simple fait que Donald Tusk ait choisi de ne pas invoquer cet accord soulève des interrogations. Outre les affaires de corruption, l’organisation du tragique voyage et le déroulement de l’enquête qui a suivi sont des casseroles que traîne derrière lui l’actuel président du Conseil européen et qui pourraient lui valoir d’être traduit devant la justice de son pays au terme de son mandat actuel. D’après son ancien ministre de la Justice Jarosław Gowin, quand il était encore premier ministre de la Pologne Donald Tusk avait la hantise d’une victoire du PiS aux élections législatives justement pour cette raison, et dans ce contexte son émigration à Bruxelles en 2014 ressemblait fort à une exfiltration.
Les services de renseignement occidentaux n’auraient jamais cru à la version des rapports d’enquête officiels
Dans The Observer, l’ancien analyste de la NSA John R. Schindler, après avoir lu le rapport technique publié le 10 avril dernier par la nouvelle commission d’enquête mise en place par le gouvernement du PiS après son arrivée au pouvoir en 2015, s’interroge sur le rôle de la Russie dans cette catastrophe et estime que ce rapport contient suffisamment d’éléments pour justifier la mise en place d’une commission d’enquête internationale qui ferait enfin le clair de manière indépendante sur ce qui s’est réellement passé à Smolensk le matin du 10 avril 2010. Schindler fait également état de ses propres sources au sein des services américains pour assurer que les services de renseignement occidentaux n’ont jamais cru à la version exposée par les rapports d’enquête publiés en 2011 par la Russie et la Pologne, le deuxième rapport ne différant du premier que par la mise en cause des contrôleurs aériens de l’aéroport de Smolensk-Nord. L’auteur américain rappelle également les révélations du journaliste d’investigation Jürgen Roth en 2015 à propos d’informations qui seraient détenues par le BND allemand, selon lesquelles le crash de Smolensk aurait été causé par un attentat commandité par un homme politique polonais et réalisé en collaboration entre les services secrets russes et polonais.
Les raisons de la haine des anciens des services communistes à l’encontre des frères Kaczyński
C’est sous l’impulsion du président Lech Kaczyński et de son frère jumeau Jarosław que le premier gouvernement de coalition mené par le PiS (2005-2007) avait dissout les services de renseignement militaire (WSI) qui étaient toujours infesté d’officiers formés en Union soviétique à l’époque communiste. Le WSI était accusé de différents trafics à caractère mafieux et surtout d’être resté sous l’influence du FSB et du GRU russes également issus directement des anciens services communistes. La dissolution de ces services en Pologne avait été confiée à Antoni Macierewicz qui est à la tête, depuis 2010, de la commission d’enquête sur Smolensk mise en place par le PiS (d’abord en tant que chef de la commission d’enquête parlementaire mise en place par le PiS, puis, après les élections de 2015, en tant que superviseur d’une nouvelle commission d’enquête gouvernementale en qualité de ministre de la Défense). Lech Kaczyński avait par ailleurs organisé en août 2008 le voyage en Géorgie de quatre présidents de pays membres de l’Union européenne, dont la présence a contribué à sauver ce pays de l’occupation par l’armée russe qui était imminente. Les Kaczyński s’opposaient aussi à la signature en 2010 par le gouvernement de Tusk d’un contrat gazier avec la Russie à des conditions très avantageuses pour cette dernière puisqu’il reconduisait son quasi-monopole sur les fournitures de gaz à la Pologne.
L’ancien ministre de la Défense Antoni Macierewicz, chargé de la contre-enquête sur Smolensk, semble depuis longtemps croire fermement à la thèse de l’attentat
Interrogé par l’auteur de ces lignes en 2013, deux ans après la catastrophe, Macierewicz expliquait : « Je voudrais d’abord préciser que cette tragédie a entraîné la mort de tous les chefs des armées polonaises : à la fois le chef d’état-major des armées et le chef des armées lui-même en la personne du président de la république, et aussi les chefs de tous les corps d’armée. De l’armée de terre, de la marine, de l’aviation, des forces spéciales. C’est toute la direction de nos armées et les plus hauts responsables de la sécurité de notre pays qui sont morts dans cette tragédie. Or il s’agissait de cette élite qui avait été formée après la chute du communisme dans les nouvelles conditions de notre coopération avec les États-Unis et l’OTAN, c’est-à-dire l’élite qui représentait la Pologne indépendante et non pas la Pologne communiste. C’est important de le dire car il ne suffit pas, comme c’est souvent le cas, pour un ancien officier du bloc socialiste de mettre un uniforme de l’OTAN pour se transformer véritablement en officier de l’OTAN. Les personnes qui ont trouvé la mort à Smolensk, ce sont les personnes qui ont fait entrer la Pologne dans l’OTAN, des personnes qui, comme le général Błasik, ont supervisé le remplacement de nos MIG par des F16. Malheureusement, ces personnes ont pour beaucoup été remplacées par d’autres qui avaient acquis leurs galons d’officiers au sein du Pacte de Varsovie. La tragédie de Smolensk a été le moment où le gouvernement Tusk et le nouveau président Komorowski ont réorienté la politique étrangère de la Pologne et ont renforcé les liens avec la Russie au détriment de la relation avec l’OTAN et les États-Unis. Il ne s’agit malheureusement pas d’une coïncidence. »
Si M. Macierewicz ne m’a pas affirmé lors de notre entretien qu’il y avait eu selon lui attentat, il m’avait donné l’impression de croire fermement à cette thèse qui, déjà en 2013, n’avait rien d’une théorie du complot.