“Le siècle de Voltaire, au cœur de la propagande actuelle” (Les Cahiers de Science & Vie)

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Trois mois encore après les attentats contre le journal satiriste anarchiste « Charlie-Hebdo », l’atmosphère officielle, des milieux gouvernementaux aux médias désinformateurs, en est encore à la répétition du mantra « Je suis Charlie ». Comme reinformation.tv l’a déjà justement évoqué, il ne s’agit pas d’une exaltation simple de la liberté d’expression, une manifestation compréhensible d’émotion devant l’horreur des assassinats, ou pour les journalistes d’une forme de solidarité professionnelle… Non, tout l’enjeu consiste à se servir de l’émotion populaire, à l’entretenir, pour promouvoir les « valeurs » – antivaleurs du point de vue chrétien – véhiculées par Charlie-Hebdo, à savoir l’athéisme, le féminisme le plus sectaire – incluant le gender –, la promotion de l’homosexualité, la destruction de la famille traditionnelle, le cosmopolitisme, etc.
 
Toutes ces croyances remonteraient au XVIIIème siècle, au siècle de Voltaire, et ses prétendues Lumières. Une publication en principe historique, de vulgarisation de bon niveau, et non de propagande, entend donner sa vision des faits. Or, les références à l’actualité de janvier, explicites et constantes, font redouter le pire, et la mise en œuvre systématique d’une reconstruction idéologique très tendancieuse.
 
« Les Cahiers de Science et Vie – Aux Racines du Monde » appartient au groupe de la célèbre revue Science et Vie. Se consacrant à la vulgarisation scientifique, objet estimable, elle tend néanmoins souvent vers le scientisme, une confiance aveugle en la Science et ses progrès pour améliorer le futur de l’humanité, et ce en niant toute dimension spirituelle de l’homme. Les croyances religieuses, dont le Christianisme, sont souvent vues sous le prisme d’un état des mentalités supposé primitif, et les expériences mystiques comme des phénomènes relevant forcément stricto sensu de la psychiatrie.
 

Une hagiographie systématique de Voltaire et des « Philosophes »

 
Ainsi, la moitié du numéro est-elle consacrée à une forme de galerie des grands hommes, si l’on ose dire. Au moins, les choses sont clairement dites, et il n’y a pas d’édulcoration de la pensée profonde de ces « Philosophes » quant à la religion en général et au catholicisme en particulier.
 
Le rôle de Diderot (1713-1784) est mis en valeur, comme celui d’un personnage-clef coordinateur de l’entreprise de l’Encyclopédie (1751-1772), entreprise de démolition de la société et des valeurs chrétiennes, sous couvert d’exposé objectif des connaissances et des techniques humaines. Diderot ose affirmer publiquement son matérialisme, son refus de toute dimension spirituelle de l’homme. Il professe obstinément un univers éternel. Les athées les plus convaincus tiennent d’ailleurs encore aujourd’hui à cette hypothèse d’univers éternel, contredisant explicitement le « grand boum » – hypothèse très majoritaire – en physique, et le dogme chrétien de la Création.
 
Personne n’est oublié, de Montesquieu à d’Alembert et d’Holbach, en des résumés brefs et historiquement justes. Ils montrent aussi à quel point ces « Lumières » françaises sont opposées au christianisme, contrairement aux mouvements équivalents en Italie, en Allemagne, en Espagne, ou même en Grande-Bretagne. Les antichrétiens britanniques, minoritaires, comme Hume ou Bentham, peu différents des français dans le fond, se montrent plus modérés dans leur expression publique. Il y a d’ailleurs une contradiction dans cette façon de dénoncer « l’intolérance » en France jusque dans les années 1760-1770, voire 1789, et le constat de cette grande liberté de ton, peu discrète, des « Philosophes », très lus en France, même s’ils sont publiés en Hollande. Tout au plus y a-t-il eu une justice à deux vitesses, avec une indulgence large pour Diderot, moindre pour le chevalier de la Barre, jeune blasphémateur et sacrilège public (1766), et du reste dernier condamné à mort à ce titre, ce qui lui vaut d’être « canonisé » par les Loges.
 
Curieusement, Rousseau (1712-1772), homme absolument essentiel, pour le pire, par sa sensibilité préromantique (La Nouvelle Héloïse), ses théories pédagogiques absurdes et dangereuses (L’Emile), et ses conceptions politiques communément qualifiées de « démocratique »(Le Contrat Social), est peu présent. Or, précisément, il s’agit de tout sauf d’un hasard. Rousseau professe des fantaisies au mieux gratuites et au pire dangereuses. L’hommage formel, convenu, reste superficiel et refuse de plonger dans une analyse véritable. A l’évidence, Rousseau conduit à Robespierre, son fidèle et meilleur disciple, à une dictature sanguinaire au nom de la volonté générale. La chose est niée superficiellement, de manière biaisée, sans insister par décence. Pour démonter cette filiation – qu’on veut prétendre légendaire – de Rousseau à non seulement Robespierre, mais également aux totalitarismes du XXème comme le communisme, on met en avant un auteur extravagant : il s’agit de M. Sternhell, qui voit du fascisme partout, y compris dans l’islamisme – guère sympathique, mais qui n’a rien à voir avec l’histoire des idées politiques européennes –, grand inspirateur reconnu du « philosophe » Bernard Henri Lévy, ce qui est tout dire. Sternhell est évidemment facilement réfuté. Mais une filiation entre la volonté générale de Rousseau, aussi très hostile à la propriété privée, et les totalitarismes communistes reste réelle, via Karl Marx bien sûr, ce qui n’exonère pas le penseur suisse.
 
L’hommage le plus fort est rendu à Voltaire (1694-1778), en une perspective singulière, celle d’essayer de construire une hagiographie républicaine honnête. Dans un rapport évident à « l’esprit Charlie », le récit de sa vie insiste sur le « combat de Voltaire pour la liberté religieuse », avec les louanges attendues sur l’Affaire Callas, reprenant le récit le plus officiel, tout en admettant discrètement une haine du christianisme et de toute religion révélée, dans une fidélité aux principes maçonniques déistes. De façon biaisée, on excuse en Voltaire l’auteur de la pièce hostile à l’inventeur de l’Islam, Mahomet ou le fanatisme (1741) : il est exact que sa cible véritable, dans une France encore vierge de toute présence musulmane, était le catholicisme. Toutefois Voltaire détestait aussi authentiquement l’Islam, comme culte (prétendument) révélé. Et les arguments avancés pour tenter de convaincre le lecteur ne tiennent pas. Qui plus est, Voltaire, symbole des « Lumières », peut paraître insuffisamment illuminé selon les exigences d’aujourd’hui ; il est pourtant systématiquement excusé.
 

Un XVIIIème siècle pas assez illuminé ?

 
Certaines de ses opinions posent en effet problème à l’esprit de notre temps. Mais, bien que qualifié de misogyne, homophobe, raciste, antisémite, etc. il est classé obstinément dans le camp du Bien, ce qui lui vaut une mansuétude systématique. Même si on a pu vouer aux gémonies moult auteurs et hommes politiques pour la profession, réelle ou supposée, d’une seule de ces opinions. Il faut donc bien constater l’évolution des mentalités progressistes : jusqu’aux années 1950, la misogynie n’aurait pas été reprochée au personnage, ni son « homophobie » – curieux terme de formation récente – jusqu’aux années 2000.
 
Les « Philosophes » souffriraient donc de quelques faiblesses suivant l’antimorale actuelle… Ce qui prouve que le progressisme dominant ne s’arrête – par définition – jamais, et lorsque le chrétien conservateur dénonce le pire à venir, comme l’autorisation de l’euthanasie, ou la dépénalisation des drogues, de l’inceste, voire à plus long terme de la pédophilie, il a hélas bien des chances de ne pas se tromper. On n’imagine pas Voltaire, ou même un siècle plus tard Jules Ferry, voter pour le « mariage » homosexuel, mais après tout ils n’en sont pas moins dans une lignée destructrice, et cette filiation est hautement revendiquée par leurs successeurs.
 

Ombres et Lumières des « Philosophes »

 
Ces « Philosophes » sont opposés aux « obscurités » encore présentes au XVIIIème siècle, telles notamment certaines croyances populaires plus ou moins absurdes, et historiquement attestées. Ainsi des vampires, qui constituent au XVIIIème, avec pour apogée les années 1730, un objet de fascination et parfois d’inquiétude. De même la médecine à base de saignées est des plus discutables, franchement dangereuse. On essaie encore parfois dans les campagnes de soigner avec des emplâtres élaborés avec des ingrédients étonnants, accompagnés de formules magiques parfois détournées de la religion. Tout cela est exact, et bon à rappeler dans une revue historique. Toutefois le fameux amalgame, qui consiste à mêler, au nom des « superstitions » combattues par les « Lumières », pratiques populaires douteuses ou absurdes, dangereuses parfois, et principes les plus orthodoxes du christianisme, joue là à plein.
 
L’explosion de l’occultisme dans les années 1770-1780, avec en vedette le charlatan Cagliostro, reçu parfois jusque dans les cours princières, est bien montrée. Mais une des causes de ce succès a priori surprenant à un âge pré-rationaliste n’est absolument pas indiquée : le vide spirituel chez les élites nobiliaires ou bourgeoises déjà sans-Dieu, qui loin d’un supposé déisme ou athéisme tranquille tendent au contraire à devenir des proies faciles pour des manipulateurs habiles. Remarquons que nous y sommes encore, avec la grande vigueur actuelle du spiritisme et de l’astrologie, voire des « voyantes ».
 

Science & Vie se livre à une détestable œuvre monolithique de propagande

 
Ainsi, « Les Cahiers de Science – Aux Racines du Monde », publication qui a pu proposer beaucoup de numéros de qualité, est tombé dans l’embrigadement collectif autour du mot d’ordre « Je suis Charlie ». La vision monolithique des « Philosophes » en devient caricaturale, relevant d’une forme de catéchisme républicain, et certainement pas d’une démarche de recherche historique.
 
Collectif Le siècle de Voltaire, l’ombre et les Lumières Cahiers de Science et Vie-Aux Racines du Monde, Mondadori France, avril 2015, 5,95 €