La Suède rompt avec son modèle « sans cash » : le risque des cyberattaques impose le maintien de l’argent liquide

Suède modèle sans cash
 

La grande peur de la guerre alimentée quotidiennement dans la presse pourrait avoir une retombée positive inattendue : la Suède, pays champion de la sociéte sans cash, recommande désormais à sa population d’avoir toujours sous la main un minimum d’argent liquide, assez, en tout cas, pour payer des produits de première nécessité pendant une semaine. Mieux, les autorités incitent les Suédois à faire des règlements en espèces « de temps en temps ». Histoire que ce moyen de paiement ne tombe pas en désuétude, chose qui ferait plaisir, paraît-il, à Poutine.

C’est un dépliant envoyé par l’Agence suédoise des situations d’urgence civile, organisme public, qui a intégré cette recommandation dans une batterie de conseils adressée à toutes les familles suédoises. Illustrée d’une femme soldat équipée d’un fusil d’assaut, la brochure porte le titre : « En cas de crise ou de guerre. »

Tout y passe : comment gérer l’anxiété, comment arrêter un saignement, que faire en cas d’alerte aérienne.

 

La Suède parée pour les cyberattaques

L’affaire de l’argent liquide s’inscrit dans la logique du « toujours prêt » telle qu’elle a également été présentée au cours de ces derniers mois aux Norvégiens, aux Finlandais et aux Danois, et marque une rupture importante dans des pays qui misaient tout sur les paiements numériques – si bien qu’en Norvège, même les mendiants et les musiciens de rues se font payer par le biais d’une application dédiée sur Smartphone… Rien n’échappe alors à Big Brother, même pas la plus petite aumône, les autorités publiques y veillent depuis des années et la Suède comme la Norvège avaient quasiment abouti leur marche vers la société « sans cash ».

Ainsi, seuls 8 % des Suédois ont déclaré que leur dernier paiement avait été effectué en espèces en 2022, contre 40 % en 2010.

Aujourd’hui, cependant, les choses ont changé, Big Brother devra attendre et la tendance s’inverse doucement. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a rendu la menace de cyberattaques plus présente, sans compter les risques de sabotage et de guerre pure et simple dans les pays nordiques. Les réseaux de paiement sont considérés désormais comme une cible potentielle.

Max Brimberg, économiste chargé de la recherche sur l’argent liquide à la Banque centrale de Suède, estime ainsi que « la situation géopolitique, en particulier l’invasion à grande échelle de l’Ukraine, a vraiment mis en lumière l’importance d’être préparé à des situations imprévues qui peuvent affecter l’ensemble de la société ». « Lorsque la Russie a envahi l’Ukraine, nous avons constaté une augmentation significative des retraits d’argent liquide aux distributeurs en Suède, et la circulation d’argent liquide a augmenté considérablement, bien plus que la normale », observe-t-il.

Autrement dit, les gens ordinaires ont bien compris le risque – un risque qui se réalise aussi à la moindre coupure d’électricité ou panne d’internet…

 

L’argent liquide, assurance contre les cyberattaques et les pannes

Quant aux cyberattaques, elles ne relèvent pas de la littérature. L’Estonie a ainsi été l’un des premiers pays à subir une perturbation généralisée des services bancaires en ligne et des distributeurs automatiques de billets à la suite d’une attaque malveillante sur les réseaux en 2007. Elle faisait suite à La décision du gouvernement estonien de déplacer une statue soviétique controversée représentant un soldat du centre de la capitale, Talinn. La Russie s’en était indignée et c’est dans la foulée que les banques, les médias et les sites internet de l’administration avaient subi une attaque informatique.

Résultat : si depuis lors, l’Estonie a accru la sécurité de ses systèmes numériques nationaux, jusqu’à en faire un des réseaux les mieux protégés au monde, elle a choisi elle aussi d’inciter ses citoyens à toujours avoir de l’argent liquide disponible.

En Suède, l’enquête sur le paiement en espèces citée plus haut a révélé que la moitié des personnes interrogées n’avaient jamais pu payer en espèces dans un magasin. Selon Max Brimberg, de nombreux restaurants et cafés n’acceptent que les paiements numériques. Le gouvernement suédois étudie actuellement la possibilité de renforcer la législation pour obliger certains magasins à accepter les espèces.

En Norvège, le pourcentage de personnes ayant utilisé du liquide pour leur dernier achat physique est encore plus bas : seules 3 % des personnes interrogées dans le cadre d’une enquête réalisée par la Banque centrale en 2023. Désormais, les détaillants qui refusent billets et pièces encourent des amendes.

 

La disparition de l’argent liquide rend les Etats trop vulnérables

Le consensus partagé par les pays nordiques est que l’on se rend vulnérable en s’appuyant uniquement sur les paiements numériques : en cas de situation d’urgence, une telle situation pourrait contribuer à l’effondrement de fonctions sociétales essentielles.

Pour Alan Woodward, professeur de cybersécurité à l’université du Surrey, il suffit de penser à ceux qui, comme lui, font tous leurs paiements au moyen de leur téléphone portable. On sait bien que les réseaux téléphoniques peuvent tomber en panne, ou qu’on peut avoir des problèmes de connexion : à titre personnel, il garde toujours de l’argent physique sur lui.

« Si vous regardez certaines des attaques menées récemment par la Russie en Ukraine, elles visaient toutes à perturber ce type de réseaux nationaux. Il suffit d’écouter le chef du service de sécurité de ce pays pour se rendre compte que les Russes deviennent beaucoup plus agressifs dans le cyberespace », a-t-il souligné pour le Telegraph.

En France, où le paiement en liquide reste plus répandu que dans les pays scandinaves, les recommandations gouvernementales en matière de situation d’urgence, disponibles en ligne, évoquent elles aussi la nécessité d’avoir quelques euros en numéraire à côté d’une radio à piles, d’une trousse de premiers secours, d’ouvre-boîtes, d’eau en bouteilles et de conserves et autres objets qu’on est content d’avoir sous la main en cas de catastrophe – naturelle ou pas. On vous dit même de prévoir des jeux.

Dans le contexte, le Monopoly s’impose, non ?

 

Jeanne Smits