Suicide démographique :
la population de la Russie atteint un point de non-retour

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Les dernières statistiques démographiques russes officielles sont tombées fin mai, et l’image qu’elles dessinent de la natalité révèlent un déclin : selon Rosstat, la Russie a compté 70.000 naissances de moins au cours des premiers quatre mois de 2017 qu’au cours de la même période l’an passé. Sans atteindre les chiffres catastrophiques enregistrés autour de l’an 2000 – l’indice de fécondité était alors de 1,17 enfant par femme – cette baisse pose sérieusement la question : sur la voie du suicide démographique, la chute de la population russe a-t-elle atteint un point de non retour ?
 
C’est ce qu’affirme en tout cas le Moscow Times, journal d’opposition russe anglophone créé par un groupe néerlandais. Hostile à Poutine, son éditorial pointe l’échec des politiques natalistes mises en place ces dernières années. Mais cette hostilité n’explique pas tout. On ne peut balayer d’un revers de main l’analyse du journaliste Ilan Berman puisqu’elle s’appuie sur les statistiques russes elles-mêmes, avec notamment ce commentaire de Rosstat, qu’il cite, évoquant une accélération de « l’extinction » de la population Russe.
 

Le suicide démographique se poursuit en Russie

 
Il est de bon ton de dire que Poutine a réussi à inverser la tendance au moyen d’une politique familiale énergique. Le Kremlin met en avant ses décisions avisées sur le plan des investissements et ses capacités de leadership et affirme régulièrement que démographiquement le pire est derrière lui. Mais les tendances lourdes sont toujours là.
 
Si c’est la démographie qui fait géopolitique et l’histoire, on peut dire en effet que la Russie est bel et bien sur la voie du déclin, chose qu’avouait Vladimir Poutine lui-même en 2012 lorsqu’il annonçait une chute de la population à 107 millions d’âmes à l’horizon 2050 – tout en promettant de prendre les mesures nécessaires pour « sauver 50 millions de vies » en vue de la faire remonter à 154 millions. La population atteint aujourd’hui près de 143,4 millions selon les statistiques de l’ONU, en-deçà de son record historique de plus de 148 millions en 1994. On a enregistré une légère remontée depuis 2013 grâce à une reprise des naissances… et à l’immigration.
 
Les facteurs négatifs, eux, sont toujours la : la mortalité forte, la prévalence de l’avortement et l’espérance de vie modeste. Les derniers chiffres, mauvais, de la natalité laisse craindre une perte nette de 300.000 âmes en 2017. Alors que la mortalité des hommes adultes est affectée par le nombre de décès liés à l’alcoolisme, on peut dire en tout cas que la compensation par les naissances n’est pas au rendez-vous, d’autant que son impact se fera attendre.
 

Point de non-retour pour le déclin de la population en Russie ?

 
Selon le Moscow Times, les diverses mesures mises en place par Poutine, comme l’octroi d’un « capitale maternité » de 11.000 dollars aux mères ayant deux enfants ou plus, à la fin de 2006, n’ont pas eu d’importantes retombées. Et aujourd’hui, observe Berman, les sanctions occidentales ont conduit le Kremlin à « optimiser » les services sociaux et les systèmes de santé, avec des conséquences néfastes à prévoir et pour la santé publique, et pour la natalité – en même temps que les dépenses militaires ont été multipliées par vingt en 15 ans, selon Bloomberg, depuis l’accession au pouvoir de Vladimir Poutine. La défense et la sécurité représentent aujourd’hui environ 34 % du budget fédéral, contre 11 % pour la santé.
 
Breitbart fait remarquer, cependant, que les soins de santé privés sont plus accessibles et moins chers aujourd’hui, ce qui peut encourager les couples à avoir des enfants. Plusieurs analystes – de Business Insider et de Reuters notamment – estiment que la « tempête démographique » est aujourd’hui moins intense et que la remontée du taux de natalité, aujourd’hui aux alentours de 1,7 enfants par femme, est suffisante pour enrayer la crise.
 

Déficit de 70.000 naissances de janvier à avril en Russie

 
Sachant qu’il faut 2,1 enfants par femme dans une nation développée pour remplacer les générations – et davantage là où la mortalité est plus élevée – cet optimisme paraît prématuré.
 
Et s’il est vrai que Vladimir Poutine a ceci d’original, par rapport aux nations européennes qui sont nombreuses à avoir une natalité encore plus catastrophique que celle de la Russie, qu’il veut prendre des mesures politiques pour inverser le cours des choses, il ne fait pas mystère de sa volonté d’utiliser avant toute chose la démographie comme un atout, sinon une arme face aux pays occidentaux. On reste de toute façon loin de la remontée spectaculaire qu’il annonçait, et qui serait nécessaire pour atteindre cet objectif.
 

Jeanne Smits