Décryptage : le Synode pour l’Amazonie sera un vecteur pour la « théologie indienne »

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A lire distraitement le document préparatoire du Synode pour l’Amazonie qui se tiendra à Rome en octobre 2019 sur décision du pape François, on pourrait croire qu’il s’agit d’une réflexion sur la protection de la nature en Amazonie et de la promotion des droits des indigènes qui l’habitent. Certes, avançant le manque de prêtres dans la région, il a déjà été dit (par le cardinal Beniamino Stella) que ce synode pourrait servir à remettre sur le tapis l’idée de l’ordination des hommes mariés, les fameux viri probati. Et lors de la présentation du document à Rome en la fête du Sacré-Cœur, vendredi dernier, la presse a beaucoup remarqué qu’il y était question du rôle accru à donner aux femmes à travers un « ministère » ecclésial spécial. Mais pourquoi ? Pourquoi l’Amazonie ? La lecture attentive du document préparatoire, elle, permet de beaucoup mieux comprendre la dynamique fondamentale de ce texte : elle se trouve dans le troisième chapitre, « Agir » (qui fait suite aux deux autres consacrés aux thèmes « Voir » et « Discerner ») en une phrase suivie d’une note. Il n’est pas exagéré de dire que ce qui est projeté est un véritable bouleversement, une révolution théologique, à travers le nouveau droit de cité donné à la « théologie indienne ». Décryptage…
 

La « théologie indienne », un élément clef du document préparatoire

 
Après avoir longuement parlé des traditions et de la « cosmovision » des indigènes appelés tour à tour « autochtones », « aborigènes » ou « peuples natifs », voici en effet au paragraphe 15 d’Amazonie : nouveaux chemins pour l’Eglise et pour une écologie intégrale le sous-chapitre intitulé « Nouveaux chemins », sûrement le plus important de ces nouveaux lineamenta. Il affirme : « Dans le processus consistant à penser une Eglise au visage amazonien, nous rêvons de poser les pieds sur la terre de nos ancêtres et, les yeux ouverts, nous imaginons comment sera l’Eglise à partir de l’expérience de la diversité culturelle des peuples. »
 
Puis vient cette phrase clef : « Les nouveaux chemins auront une incidence sur les ministères, la liturgie et la théologie (théologie indienne) », avec un renvoi à une note en fin de document.
 
Cette note renvoie elle-même au VIe symposium de théologie indienne tenue par la conférence des évêques d’Amérique latine à Asunción au Paraguay du 18 au 23 septembre 2017. Qu’est-ce que la théologie indienne ? Eh bien, c’est celle dont, manifestement (car on sait depuis Amoris laetitia le rôle, le poids et la mécanique des notes de bas de page dans le cadre de ce pontificat), la promotion est recherchée. Si les histoires de prêtres mariés sont évoquées depuis la convocation du synode en octobre 2017 à la faveur d’une réflexion sur la région pan-amazonienne, ce n’est absolument pas un hasard.
 
Pour comprendre, on peut se référer à la littérature, puisqu’on trouve même en français de nombreux livres sur le thème. Ou, plus simplement encore, remonter douze ans en arrière vers l’article d’un père dominicain du couvent de la Tourette, Alain Durand. Le site alterinfo.org publiait alors en langue française une présentation succincte de « la théologie indienne latino-américaine » par ce Dominicain très peu scolastique. Le site altermondialiste laissait la parole à celui qui était alors directeur de la revue DIAL (Diffusion de l’information sur l’Amérique latine), aujourd’hui membre de la commission Justice et Paix France. Son texte explique les différents traits de cette théologie distincte de la théologie de la libération, mais finalement, peut-on constater aujourd’hui, extrêmement proche de la « théologie du peuple » affectionnée par le pape François. Ses développements semblent faire écho aux longs textes du document pré-synodal : ils sont simplement un peu moins jargonnants, un peu plus clairs. L’importance de la terre – la Pachamama ou la Terre-Mère –, et de la communauté y sont affirmés.
 

Pourquoi le Synode sur l’Amazonie évoquera les prêtres mariés et les femmes dans la liturgie

 
Voici le propos consacré par le P. Durand à l’égalité homme-femme dans la théologie indienne :
 
« L’homme et la femme sont faits pour vivre en harmonie et jamais l’un sans l’autre. L’idée qu’un homme ou une femme puisse vivre sans lien avec une personne de l’autre sexe est complètement étrangère à la culture indienne. Dans les cérémonies liturgiques elles-mêmes, il est nécessaire que des femmes assument des fonctions. On voit tout de suite la difficulté que cela crée pour l’accès des indigènes au sacerdoce catholique. Comme je l’ai entendu dire à Samuel Ruiz : un Indien qui n’est pas marié n’est pas un indien adulte. L’inculturation de la foi et de l’Eglise passe par la reconnaissance de ce fait. »
 
Il ne s’agit donc pas, essentiellement, de suppléer à un manque de prêtres ou à un manque de vocations, ni même, comme le dit le texte préparatoire, de tenir compte « du rôle central joué aujourd’hui par les femmes dans l’Eglise amazonienne » – phrase qui chez nous fait immanquablement penser aux funestes « équipes liturgiques » –, mais bien de transformer la liturgie catholique (et partant la doctrine) pour la rendre plus proche, plus acceptable du point de vue des spiritualités traditionnelles, païennes, immanentistes, et fortement marquées par dualité à travers la dualité sexuelle. Celle-ci s’avère d’autant plus importante que la divinité fondamentale des indigènes est bien la Mère, cette Terre qui produit la vie et qui est totalement assumée dans les cultes ancestraux. Alain Durand explique plus loin que « dans des liturgies impliquant des populations indigènes, Dieu peut être invoqué sous le nom de “Père-Mère”. »
 

La théologie indienne, reliée à l’idolâtrie de la Terre-Mère

 
Il faudrait citer la totalité de ce document du P. Alain Durand : les plus curieux le trouveront ici. Mais avant d’aborder le texte pré-synodal préparé sous l’autorité du cardinal Lorenzo Baldisseri – toujours lui –, retenons au moins ces mots sur la théologie indienne, car ils l’éclairent grandement : » La théologie indienne n’a pas pour but de parvenir à une construction théorique mise en œuvre par la raison raisonnant dans la foi, mais elle use d’un langage symbolique, toujours chargé d’expériences et d’images, jamais éloigné du monde émotionnel, un langage encore tout frémissant des échos de la vie qui œuvre dans la nature. Les théologiens indiens raisonnent, bien sûr, mais leur raisonnement est au service de l’expression symbolique : là est le but … et la saveur même de leur pensée. » Et plus loin : « Aussi l’expérience de Dieu se donne-t-elle dans tous les lieux de la nature, et le peuple le rencontre dans les lacs, les montagnes, les sources, dans le soleil, les étoiles, la lune, dans le terre-mère, le vent, les rayons du soleil. » (Voilà qui rappelle le langage de Laudato si’, auquel le document pré-synodal ne cesse d’ailleurs d’emprunter.) Parce que, poursuit Alain Durand, « ce que nous nommons aujourd’hui écologie est une dimension inhérente à la théologie indienne ».
 
Un résumé éclairant à ce sujet a été donné sur un blog francophone : « Les croyances amérindiennes reposent sur l’harmonie, la communion et l’interaction entre l’humain, la vie animale, la nature et la terre. Elles se fondent sur un monde et sur une pensée circulaire où tout est sacré et indivisible. Chaque élément de ce grand cercle, humain ou non, possède une âme et doit œuvrer afin de conserver l’harmonie du Créateur, en apprenant le respect, le partage, l’honnête, la générosité et la vénération. L’Homme, dans ce monde circulaire, est très respectueux de la nature environnante et des éléments, qui contribuent à son développement, à son éducation, à son bien-être. Il se doit ainsi de leur rendre hommage et de les remercier par des rituels, des offrandes ou des célébrations. » Où « l’Homme appartient à un ensemble harmonieux et équilibré, dans lequel il est l’égal de toute autre chose ». On peut faire un rapprochement ici avec les mots récurrents du pape François : « tout est lié », qui reviennent aussi souvent dans le document préparatoire au synode sur l’Amazonie.
 
Vous voyez donc que l’Amazonie était inévitable… Inévitable pour un pape qui veut prêche la « conversion écologique », inévitable dans un monde où le globalisme tend si clairement vers un syncrétisme religieux, où la Terre est adorée et considérée comme une dispensatrice des biens qu’il faut honorer et choyer, et servir par le sacrifice des comportements durables.
 

Le Synode sur l’Amazonie fera explicitement référence à la théologie indienne

 
Mais il y a plus. Revenons à notre fameuse note n°4 du paragraphe 15 d’Amazonie : nouveaux chemins pour l’Eglise et pour une écologie intégrale, puisqu’elle renvoie vers le VIe symposium sur la théologie indienne au Paraguay, organisé par les évêques d’Amérique latine.
 
Première remarque : comme on peut le voir sur les illustrations accompagnant un article sur cette réunion, les participants y ont assisté ou pris part à des cérémonies traditionnelles des religions de la Pachamama – par exemple, ici. Dans ce compte-rendu publié par vidanuevadigital.com, on cite une religieuse ravie des avancées accomplies lors de ce symposium : Ayda Orobio Granja y explique que la nouveauté aura été « l’ambiance sereine et d’écoute attentive (…) très appréciée par les théologiens et les théologiennes qui ont participé depuis le début aux premiers symposiums marqués par des prises de position radicales qui rendaient difficile l’écoute mutuelle et la réflexion. » Et de vanter « la mentalité et les apports du pape François qui permettent de se sentir en confiance et de présenter des propositions depuis la cosmovision indigène ».
 
La théologie indienne, on l’aura compris, travaille à « enrichir » le message chrétien, la Vérité du Christ avec des croyances et des pratiques qui doivent leur intérêt à leur caractère ancestral, obligeant le christianisme à s’adapter pour mieux s’y accorder, non dans le respect de particularismes culturels locaux, comme cela pourrait se concevoir, mais en intégrant des pratiques païennes et idolâtres comme le démontrent déjà les participations catholiques à des cérémonies d’offrande à la Pachamama.
 
Deuxième remarque : cette réunion d’Asunción, citée dans le document pré-synodal pour éclairer son propos, a été racontée et commentée par Mgr Felipe Arizmendu Esquivel en octobre 2017, un mois avant son départ à la retraite : celui qui était alors évêque de San Cristobal de Las Casas au Mexique apportait quelques éléments du plus haut intérêt.
 

Un vecteur pour la théologie indienne jusqu’ici rejetée

 
Tout est parti, raconte-t-il, de la demande du cardinal Ratzinger, alors préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, qui chargeait en 2004 le président de la conférence des évêques d’Amérique latine, le cardinal Errázuriz, de « clarifier les contenus doctrinaux de la théologie indienne à la lumière de la parole de Dieu et du magistère de l’Eglise », en poursuivant ce qui se faisait lors des symposiums lancés en 1997 à Bogotá en Colombie. Quel qu’ait été l’objectif du cardinal Ratzinger, le fait est que les pourparlers et les études ont continué pour aboutir, lors de la sixième édition au Paraguay à l’automne dernier, à l’examen de la manière dont les « peuples natifs » vivent le mystère de la Trinité et la famille.
 
« Cette théologie suscite encore des méfiances, comme si elle n’était pas tellement catholique, parce que sa méthode n’est pas très académique avec les formulations doctrinales précises, mais davantage symbolique, à base de mythes, de rites, de songes, de traditions, de coutumes et de la relation avec la création elle-même. Elle est narrative, cosmique, toute de célébration », écrit Mgr Arizmendu Esquivel.
 
Et il raconte qu’en 2007 lors de la rencontre latino-américaine d’Aparecida il s’est passé quelque chose de « très intéressant ». « Dans la deuxième mouture du document final, le terme de théologie indienne apparaissait ; dans la troisième, il avait disparu. Nous avons demandé à la commission de rédaction, que chapeautait le pape actuel, pourquoi les termes avaient été éliminés. On nous expliqua que ce fut à la demande expresse de celui qui était alors préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi [le cardinal William Levada]. Nous avons porté l’affaire devant assemblée plénière. Le Préfet mit en avant les réserves sur les termes. On passa au vote, et sur les 122 évêques dotés du droit de vote présents à ce moment-là, 59 ont demandé que les termes soient inclus dans le document final, contre 63 qui étaient opposés. Cela apparaît dans les actes officiels. On n’obtint pas la majorité des deux tiers, et la proposition ne fut pas adoptée ; néanmoins, le nombre important de voix favorables, malgré l’intervention du Préfet, nous fait penser que le terme de Théologie indienne a peu à peu fait l’objet d’une acceptation grandissante. »
 

Décryptage : la théologie indienne est parfaitement dans l’air du temps

 
Cette acceptation n’a fait que grandir, effectivement, sous le pontificat du pape François, au point que la théologie indienne est désormais au cœur d’un synode à venir qui peut sembler avoir une portée seulement régionale, mais qui à travers l’Amazonie présentée comme le « poumon de la Terre » est manifestement appelé à inspirer un changement profond dans les pratiques, les attitudes et les croyances des catholiques du monde entier, invités à rompre avec le matérialisme, le consumérisme et la « mentalité d’extraction » (sic) mais pour aller vers des religiosités de fait centrées sur la matière.
 
Dans la lutte contre « les menaces de la globalisation néolibérale » dont il s’agit explicitement de faire la promotion, il s’agit clairement de donner « droit de cité » aux théologies indigènes, constate ainsi Vida Nueva Digital, ce qui permet de rattacher les objectifs du synode Pan-amazonien à la nouvelle forme en cours du mondialisme, qui passe par le socialisme de marché international, une forme d’idolâtrie maçonnique de la Terre et une revalorisation de toutes les spiritualités ancestrales dont on retrouve l’expression aussi bien dans la promotion de la méditation pleine conscience dans les milieux globalistes, à l’Ouest, que dans la vision gnostique d’un Alexandre Douguine, chantre de la mémoire longue à l’Est, qu’aujourd’hui dans cette exaltation de l’union des Indiens d’Amérique et de la nature, au Sud.
 

Jeanne Smits