Une récente étude de l’INSEE sur l’évolutions des religions en France montre une forte chute du catholicisme et une montée de l’islam, malgré le peu de prosélytisme de celui-ci. C’est qu’en Occident les chrétiens, sécularisés, perdant de plus en plus la foi, et voyant des musulmans s’opposer à certaines dérives de la société, sont pris de toutes sortes de tentations. Trois principalement, celle de la conversion par un goût illusoire de l’ordre, celle du libertinage païen par une sorte de superstition de la laïcité, celle enfin du syncrétisme par une fuite dans l’humanisme spiritualiste.
Contre l’islam, l’Occident invente le patriotisme de terrasse
La première tentation est de s’afficher symboliquement ennemi d’un islam réputé « médiéval », en revendiquant tout ce que celui-ci juge impur, haram. Par exemple, la distribution de soupes populaires au cochon, les apéros saucisson vin rouge. C’est une posture dite « laïque ». Beaucoup de gens postent ainsi sur les réseaux sociaux des images de femmes affriolantes qui se déclarent friandes de tous les plaisirs de la chair et prient les musulmans qui font profession de rigorisme de quitter le pays. Cette réaction païenne a été théorisée après l’attentat du Bataclan le 13 novembre 2015, quand les Parisiens se sont ostensiblement mis à boire en terrasse à la santé des victimes du terrorisme (« on fait vivre leur mémoire »). C’est alors qu’est apparu sur Internet le slogan « je suis en terrasse », associant à l’hédonisme la résistance à un islam lui-même assimilé à une folie puritaine. La terrasse devient l’image d’une liberté sensuelle opposée à l’obscurantisme, une sorte de remake du vieux slogan de 68, faites l’amour pas la guerre. Le secrétaire général de l’ONU d’alors, Ban Ki Moon, venu se recueillir devant le Bataclan, a dit en français : « Je suis Parisien et en terrasse ». C’est la tentation de l’humanisme athée pour lequel l’islam incarne un passé abhorré.
Des chrétiens choisissent l’islam au nom des valeurs
L’autre tentation, plus fréquente aux Etats-Unis, frappe des chrétiens « conservateurs » épouvantés par la dérive morale des sociétés occidentales. La figure de Joe Biden, qui se donne pour catholique et soutient toutes les « luttes » contre la famille et la nature humaine, avortement, GPA, LGBT+, focalise l’effroi de beaucoup de chrétiens américains, à l’exception des latinos. Les plus traumatisés, pour en finir avec ce que certains d’entre eux nomment « globhomo », désespérant de trouver la solution dans leurs églises, lorgnent vers l’islam qui n’a pas peur de dire qu’il n’y a que deux genres, que l’euthanasie est une abomination et qu’on n’a pas à parler de sexualité gay aux enfants du primaire. Pour eux, le croissant vaut mieux que le drapeau arc-en-ciel. C’est ainsi que le rappeur Zuby vient de tweeter : « Les pays d’islam dans le Golfe me semblent plus “chrétiens”, si l’on s’en rapporte aux valeurs, que la plupart des nations d’Occident. » Et d’ajouter dans un autre tweet : « Je me sentirais plus à l’aise pour élever mes enfants en Arabie saoudite, au Qatar ou dans les émirats qu’au Royaume-Uni, aux États-Unis ou au Canada ».
Les tentations de la simplicité
Ce sentiment d’abandon et de déréliction existe aussi en France, et Houellebecq l’a saisi en 2015 dans son roman Soumission, quand il fait dire à l’un de ses personnages : « Sans le christianisme, les nations européennes sont devenues des corps sans âme – des zombies ». Mais la masse des chrétiens sécularisés, sonnés par l’immigration, n’est pas tentée par la soumission à l’islam : aussi une part de l’extrême droite nationaliste reporte-t-elle son besoin d’ordre sur Vladimir Poutine. Voilà qui n’est pas pensable dans les pays anglo-saxons, qui, eux, lorgnent vers l’islam. C’est ainsi qu’Andrew Tate, adepte du kickboxing et influenceur masculiniste soupçonné de trafic sexuel, s’est converti à l’islam. C’est le cas aussi du chanteur Sneako, qui estime la doctrine de l’islam « plus simple » que celle des chrétiens dont il juge quelques articles de foi « bizarre ».
Chrétiens et islam : une « sainte alliance » conservatrice
Ce type de jugements devient fréquent chez les jeunes, en particulier les garçons, qui trouvent en outre le message envoyé par le pape François contradictoire. L’islam leur offre des règles strictes et compréhensibles (jeûne, aumône), une cohésion communautaire, un cadre politique et moral ferme, tout ce qu’ils ne trouvent plus ailleurs. Cette attirance fonctionne aussi dans l’autre sens : 35 % des musulmans des Etats-Unis ont voté Trump malgré sa méfiance déclarée de l’islam parce qu’il était « social conservateur ». Et selon la journaliste Rasha Al Aqueedi dans New Lines Magazine, les textes antiféministes et antitrans de conservateurs chrétiens américains tels Matt Walsh et Candace Owens « ont beaucoup circulé parmi les musulmans traditionnels ». Cette deuxième tentation est donc, comme la première, identitaire et politique : l’islam est ici confondu avec l’ordre et la force.
Le rêve d’une fusion syncrétiste mondiale
La dernière tentation est de rechercher la paix dans le « dépassement » des religions, une sécularisation croissante, la coexistence pacifique de ce qui reste et l’acculturation mutuelle. Une espèce de syncrétisme informel et mouvant dont la pachamama, l’exemple amazonien, le chemin synodal, le dialogue inter-religieux, la promotion des musulmans libéraux, semblent les prodromes. Il s’agit en quelque sorte de noyer l’islam dans un bain post-moderne : c’est l’illusion symétrique de la précédente. Alors que certains chrétiens déboussolés sont tentés de se jeter dans les bras de l’islam pour défendre la vie simple, c’est au nom de l’amour sans exclusive et de l’ouverture au monde que d’autres chrétiens tout aussi déboussolés rêvent de participer avec l’islam à une nouvelle religion mondiale sans dogmes ni contraintes. L’islam est ici considéré comme une religion cousine qu’il faut améliorer en s’améliorant soi-même : c’est la tentation de l’humanisme spiritualiste.