A Toulouse, les infernales inversions d’un opéra urbain autour d’un Minotaure invoqué comme protecteur de la ville

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Trois jours d’« opéra urbain », trois jours de spectacle dans les rues de Toulouse avec un million de spectateurs attendus, une débauche d’argent public – 4,7 millions d’euros pour le week-end, 25 si l’on tient compte de tous les fonds dépensés – et une communication exaltée sur un événement censé « enchanter le quotidien » des habitants et « favoriser le vivre-ensemble », comme l’annonçait le maire, Jean-Luc Moudenc… Vendredi, samedi et dimanche ont vu des « machines » monumentales envahir les rues de la ville rose, en une sorte de singerie de Triduum, pour présenter dans les rues un spectacle intitulé Le gardien du Temple. C’était le deuxième épisode d’une série démarrée en 2018 ; celui-ci a été appelé La Porte des Ténèbres Opus 2. Avec un objectif affirmé : faire du Minotaure Astérion, mi-homme, mi-taureau, le « protecteur » de Toulouse.

Trois gigantesques machines, déployant paraît-il une technologie de pointe, ont déambulé dans Toulouse sur fond de musiques planantes ou inquiétantes : Astérion, qui voyage dans labyrinthe sous les mers et les eaux et gardé par une protectrice, sa demi-sœur Ariane, araignée géante. Celle-ci est chargée, dit le livret de l’opéra, de le guider vers sa demeure pour retrouver « solitude et tranquillité ». A ces deux personnages qui avaient marqué le premier épisode en 2018 se sont ajoutés cette fois les 38 tonnes d’un démon féminin de la Kabbale et du judaïsme talmudique, Lilith, réputée être la première compagne d’Adam et son égale insoumise, contrairement à Eve… C’est elle, la « gardienne des ténèbres » qui cherche à séduire Astérion et les deux monstres se sont croisés en divers lieux de la ville pour un amour passager.

 

L’opéra du Minotaure, un monstre pour protéger la ville contre les « Portes des ténèbres »

Lilith est aujourd’hui symbole du féminisme et du « droit » à l’avortement : celle qui est réputée tuer les nouveau-nés a ainsi donné son nom à bien des associations pro-avortement, comme le « Lilith Fund » qui au Texas aide les femmes à couvrir les frais de leurs déplacements et opérations pour éliminer l’enfant qu’elles attendent.

Ce n’est pas un hasard si une version statique de ladite machine, femme-scorpion aux cornes de bouc, déesse païenne crachant son venin par divers orifices a été érigée en juin dernier sur le site du Hellfest à Clisson pour y rester à demeure. L’installation s’est faite en présence de François Delarozière, directeur artistique de la compagnie La Machine qui a créé le spectacle de Toulouse.

Ténèbres, démons, relecture inversée de la mythologie ont été présentés aux Toulousains priés de croire qu’il s’agissait d’un sommet de la culture et de l’inventivité contemporaine, mais c’est sans complexes que la compagnie La Machine et la mairie de Toulouse ont appuyé sur le caractère religieux et spirituel du spectacle qui a été suivi, en effet, par des curieux de tous âges dans un émerveillement forcé (on ne dit pas que l’art contemporain est laid, pas plus qu’on ne fait remarquer que le roi est nu), presque recueilli.

 

L’opéra du Minotaure protecteur de Toulouse trouve son origine dans une prophétie païenne

Tout a commencé, selon le livret du spectacle illustré dans le goût du tarot divinatoire, par la découverte d’un fragment d’écriture étrusque sur la fondation de l’antique temple du Capitole lors de fouilles archéologiques en 1993. On l’a déchiffré ; 25 ans plus tard, on dévoilait la « prophétie » qu’il contenait, et auquel les créateurs du spectacle ont ouvertement fait référence :

« Toulouse marquée par l’or, le feu, le sang et l’eau, verra son temple disparaître. Son gardien enfoui sous terre restera. Quand le jour se lèvera sur le temple enfin découvert, cinquante équinoxes lui seront nécessaires pour revenir à la vie. Protecteur de la cité, il renaîtra par les eaux du fleuve à la faveur de la nouvelle Lune bleue. Errant à la recherche du temple, perdu au cœur du labyrinthe, seule Ariane métamorphosée [en araignée] le guidera vers sa nouvelle demeure. »

Dès 2018, Delarozière avait vanté son opéra de rue en disant que ce Minotaure serait le « nouvel emblème de la Ville Rose » en tant que « protecteur spirituel ». Le spectacle de 2024 a mis en scène le recouvrement par le Minotaure de ses ailes perdues, sorte de résurrection par laquelle il a retrouvé ses « pouvoirs », et sa lutte-fascination vis-à-vis de Lilith, gardienne des ténèbres libérée des enfers dont les « signes prodigieux », la « croix de Satan, le Sigil de Lucifer et le signe de la bête », clefs de la Porte des Ténèbres, apparaissent sur les rives de la Garonne.

Voici (c’était pendant la journée de samedi) l’« ensorcellement », où les deux monstres, Astérion et Lilith, tous deux chassés du royaume des hommes, se rencontrent et ne deviennent « plus qu’un », partageant un même venin. La suite de l’histoire, jusqu’au dimanche soir, verra le réveil d’Ariane et son combat victorieux pour chasser Lilith qui en appelle aux « signes prodigieux » pour asseoir sa domination avec les démons de l’enfer. Astérion, inspirée par Ariane, accompagné des « dieux », repousse Lilith : « Ta force mobilisée m’offre la faille qui te sera fatale… Avec les eaux du fleuve, je ferme le passage… t’oblige à fuir. »

Selon Delarozière, tout cela est bien la preuve qu’il n’y a aucun satanisme dans son spectacle, que le réveil des dieux et demi-dieux de la mythologie n’est qu’une aimable fantaisie, un conte pour enfants : cela « finit bien », dit-il.

 

La critique de l’opéra urbain souligne son caractère maçonnique et transhumaniste

Mais comme le remarque une critique du spectacle par des évangéliques de Toulouse, la symbolique qui s’est déployée à travers ce spectacle est marquée par une « inversion occulte » : ce n’est pas la Jérusalem céleste vers laquelle on tend, le temple et les ailes du Minotaure qui l’assistent face à Lilith et son efficace séduction viennent d’« en-bas, des profondeurs de la mer », et Astérion proclame que sa demeure est « à l’échelle du monde, ou plutôt, elle est le monde », exprimant sa volonté de régner sur Toulouse sans partage : « Mes ailes retrouvées, je punirai ceux qui sur mon chemin fermeront portes et galeries. »

Ce n’est pas une bataille du bien contre le mal, qu’on ne se laisse pas tromper – le héros s’unit au mal, fût-ce provisoirement, partage avec Lilith son venin, et dans son identité même est un symbole du mal puisque le Minotaure de la mythologie grecque, issu d’une liaison contre nature entre une femme et un taureau, terrorisait la population de Crète, incarnait la cruauté et la laideur. Ariane, au demeurant, ne l’aidait pas : elle offrit au contraire son fil à Thésée pour traverser le labyrinthe où se tapissait le monstre, et le tuer. La voici devenue araignée venimeuse chargée de garder « le temple » du Minotaure au lieu de libérer l’humanité du monstre et de son repaire…

Dans le spectacle joué à Toulouse, « le labyrinthe devient un chemin initiatique vers la liberté que tout être humain se doit d’emprunter, afin de passer de l’ignorance à la connaissance et de pouvoir devenir comme un dieu », rappelle le livret critique cité plus haut. C’est la pensée maçonnique qui s’exprime, au fond. D’ailleurs le livret poursuit :

« Cela implique de rompre avec toutes les traditions et attaches du passé et d’accepter les idées du monde nouveau. Parmi celles-ci, les concepteurs du Minotaure cherchent à faire de cette “machine vivante” un porte-voix des idées transhumanistes célébrant la fusion entre l’homme et la machine, entre le biologique et la technologie. »

 

Toulouse livrée aux symboles du mal qui s’affrontent

Avec cela à l’esprit, la « victoire » sur Lilith prend une autre couleur : vaincue, certes, elle symbolise avec les deux autres monstres-machines une confusion des valeurs, un chaos qui voit un mal s’affronter à un autre, le tout illustré par une affiche où l’on voit danses macabres et symboles de mort, dieux effrayants et églises de Toulouse qui brûlent… Un curé de Toulouse, l’abbé Simon d’Artigue a qualifié l’affiche d’« iconographie diabolique » qui tend à « banaliser le mal ».

Aucun maire de France n’eût accepté de subventionner une procession, fût-ce pour des motifs « artistiques », appelant la protection du Christ ou du Cœur Immaculé de Marie sur une métropole comme Toulouse. On aurait hurlé à la violation de la laïcité. Il est significatif que le discours et le spectacle véritablement religieux, invoquant un « protecteur spirituel » aussi abominable, aussi craint et détesté même dans l’imaginaire païen, y soient acceptés et subventionnés par les pouvoirs publics, au point où l’on peut légitimement se demander s’il ne s’agit pas de rituels occultes assumés qui, à l’instar des cérémonies des Jeux olympiques, cherchent à chasser ce qu’il reste de chrétien en le parodiant et en blasphémant.

Un petit miracle a précédé le triduum inversé le 16 octobre : en l’église du Sacré-Cœur, Mgr de Kérimel, évêque de la ville, a consacré celle-ci ainsi que le diocèse au Cœur Sacré de Jésus en présence de 650 personne, pour « protéger » la ville de Toulouse, pour que « Dieu puisse répandre son amour sur le péché, sur le mal, sur la mort ». Il s’est exprimé un peu mollement (« Je ne suis pas là pour partir en guerre. » « C’est dommage parce que les prouesses sont intéressantes, mais ce motif-là me semble très dommageable pour le temps que nous vivons, nous sommes déjà dans un monde en souffrance. Tout spectacle est porteur d’un message, quel est le message ? »). Mais enfin il a agi.

En septembre, Bernard Antony, président de l’AGRIF, avait publié un communiqué :

« Sous le soleil de Satan : tout Français cultivé se doit d’avoir lu ce grand roman de Georges Bernanos. Mais aujourd’hui à Toulouse on pourrait plutôt parler des ténèbres de Lilith. Avec le plein appui du maire Jean-Luc Moudenc et de tous ses édiles, et avec celui de toutes les loges du Grand Orient de France et autres cercles ésotériques on s’apprête à célébrer dans les derniers jours d’octobre (25-26-27) un deuxième spectacle – le premier, ce fut en 2018 – organisé autour d’une étrange exaltation du Minotaure, monstre mi-homme mi-taureau tiré de la mythologie grecque, intitulée “le gardien du Temple”. Mais cette fois-ci ce n’est plus seulement un Minotaure articulé qui sera le centre de l’effervescence démoniaque… »

La suite du communiqué se trouve ici.

 

Jeanne Smits