Transhumanisme : He Jiankui, un « pionnier de l’édition du génome », « profondément inquiet »

Transhumanisme Jiankui profondément inquiet
He Jiankui (© The He Lab)

 

Il y a sept ans, les travaux du biophysicien chinois He Jiankui permettaient la naissance des « premiers enfants génétiquement modifiés ». Les deux jumelles, Lulu et Nana ainsi qu’un troisième nourrisson s’étaient vus réécrire leur ADN, en dehors de tout cadre scientifique et juridique balisé : l’édition du génome appliquée à l’humain était interdite en Chine, comme partout ailleurs.

La communauté internationale tout entière, à commencer par Pékin, avait poussé des cris d’orfraie devant une telle folie. Seulement, on a rapidement compris que ce choix de manipuler le vivant n’était pas condamné en soi et que si He Jiankui devait payer d’être allé trop vite, il ne s’agissait que d’une question de temps pour que la folie devienne sagesse.

Sagesse du progrès qui doit toujours primer parce qu’il est, en tant que tel, progrès : la seule loi qui demeure est celle de la science. Et He Jiankui le sait bien. Interviewé, il y a quelques jours, par The Telegraph, il a déclaré qu’il ne regrettait pas cette expérience controversée, que si c’était à refaire, il recommencerait, parce que c’était la voie… N’empêche qu’il s’avoue de lui-même « profondément inquiet qu’un jour les humains ne soient plus contrôlés par l’évolution de Darwin ».

 

Edition du génome : la fin de l’évolution naturelle ?

La réaction de Pékin avait été vive. Après que ses trois essais ont été couronnés de succès (du moins les enfants sont-ils toujours en vie), He Jiankui a été condamné pour « pratiques médicales illégales » et envoyé en prison manu militari après avoir été licencié par la Southern University of Science and Technology de Shenzhen. Petit détail : il refuse de dire un traître mot, aujourd’hui, de ces trois ans passés derrière les barreaux (ou dans un beau laboratoire secret, soyons fous). Libéré en 2022, il travaille désormais sur les maladies génétiques rares, mais revient régulièrement sur le devant de la scène via les réseaux sociaux.

Il est persuadé d’être « le Charles Darwin de la Chine », celui qui aura commencé à effacer la sélection naturelle parmi les humains.

L’édition génomique (dont l’expression est malheureuse puisqu’elle s’appuie sur le terme anglais « editing » qui signifie « retoucher » et non « éditer ») consiste effectivement en une manipulation génétique au cours de laquelle l’ADN génomique d’un organisme vivant est supprimé, inséré, remplacé ou modifié. Appliqué à l’humain, cela implique une nouvelle sélection… par l’homme et non plus par la nature.

He Jiankui qui était fils de riziculteurs, et scientifique relativement peu connu dans ce domaine de pointe de l’édition génétique, avait modifié les gènes de jumelles, encore à l’état d’embryons dans le cadre d’une FIV, à l’aide de la technique d’édition génétique Crispr pour les rendre plus résistants au VIH, que leur père avait contracté.

« Je comprends que ce travail sera controversé » avait-il dit à l’époque. N’empêche qu’il n’en a aucun regret : il est même certain qu’il sera reconnu par l’Histoire.

 

« Tout pionnier ou prophète doit souffrir » (He Jiankui)

De prime abord, la chose n’est pas évidente. Car l’expérience avait été immédiatement, à l’époque, qualifiée de profondément contraire à l’éthique, et bellement risquée : le propre manuscrit de l’étude de He Jiankui (récupéré par un journaliste du MIT Technology Review) montre que la mutation accomplie est « similaire » à celle qui confère l’immunité mais pas « identique ». De plus, « des données incluses en annexe montrent que les jumelles ont subi des mutations ailleurs dans leur génome, et probablement différentes d’une cellule à l’autre, ce qui rend les conséquences imprévisibles »…

Le ministère chinois de la Science et de la Technologie a rapidement publié une « directive éthique » pour la recherche sur l’édition du génome humain qui inclut une « interdiction stricte » de l’utilisation « de cellules germinales éditées, d’ovules fécondés ou d’embryons humains » à « des fins de grossesse et de reproduction ». Puis ce fut au tour de l’OMS qui martela que « les autorités réglementaires de tous les pays ne devaient pas autoriser la poursuite de travaux dans ce domaine jusqu’à ce que leurs implications soient bien évaluées ».

Mais à chaque fois, le message était clair : le principe de l’édition génomique pratiquée sur du matériel génétique humain n’était jamais condamné en soi. D’ailleurs, trois ans plus tard, en mars 2023, le troisième sommet international sur l’édition du génome humain a jugé que le procédé était seulement « inacceptable à l’heure actuelle » : donc potentiellement acceptable demain. Seuls les mots de « débat de société », « normes de sécurité », « cadre réglementaire » et « gouvernance responsable », comme le notait Genethique.org, ont prévalu. Le Forum de Davos avait annoncé la couleur dès 2017.

Bien qu’il fût financé par des entreprises chinoises et américaines anonymes, celui qu’on a surnommé le « Frankenstein chinois » a juste eu le tort d’avoir raison trop tôt.

 

L’ère du transhumanisme a déjà commencé

Quoi d’étonnant à ce qu’il se mette en scène aujourd’hui sans crainte, sur les réseaux sociaux, n’hésitant pas à poster des phrases laconiques, comme « l’édition génétique d’embryons humains sera aussi populaire que l’iPhone » ? Quelque part, il a raison : si l’enjeu n’est que celui de l’incertitude scientifique, le dilemme sera un jour écarté. Et si pour quelques milliers de dollars, on pourra alors prévenir la maladie d’Alzheimer ou le cancer, comme He Jiankui le soutient, il n’y aura aucune raison de s’abstenir de modifier l’ADN des embryons.

Quels parents renonceraient à avoir des enfants les plus sains possibles ? Quels pays refuseraient de faire une telle économie pour leurs systèmes de santé ? Les coûts du cancer s’élèvent par an, en France, à près de 20 milliards d’euros…

L’Afrique du Sud a ouvert la voie : en mai dernier, elle a révisé ses directives éthiques de manière à autoriser quasi explicitement l’utilisation de l’édition du génome pour créer des enfants génétiquement modifiés. Et He Jiankui a parié que « le premier bébé génétiquement modifié à la suite de [mes] travaux naîtra en Afrique du Sud dans deux ans », prédisant que le Royaume-Uni, le Japon, la Corée et le Canada suivraient.

Ce qu’il prédit aussi, c’est le brouillard qui va s’ensuivre. Car l’essor des techniques d’édition génomique fait naître bien d’autres perspectives, celles des bébés sur mesure, transhumanisés : des embryons dont la couleur des yeux aura été modifiée, la capacité athlétique ou le QI augmentés, l’espérance de vie démultipliée. Malgré qu’il soit persuadé que sa révolution va de l’avant, il se dit aussi « profondément inquiet qu’un jour les humains ne soient plus contrôlés par l’évolution de Darwin ».

Faudra-t-il, un jour, résister au Monde et nous contraindre à n’être que des deltas ou des epsilons selon Huxley ? Le monde entier nous parle de bioéthique : elle n’est qu’un cadre mouvant, auto-évolutif, donnée par l’homme à l’homme, un sans-ordre permanent, aux antipodes de la morale établie, fondée sur la loi naturelle, donnée par Dieu à l’humanité, comme nous le disait Jeanne Smits.

 

Clémentine Jallais