La crucifixion du Christ pourrait être « trop pénible » – de l’art des « trigger warnings »

trigger warnings crucifixion Christ
 
Ils sont à la mode et fleurissent dans les universités américaines, et maintenant européennes. On les appelle des « trigger warnings », des « avertissements déclencheurs » à même de prévenir du choc d’une image, d’une idée… Les défenseurs de la liberté d’expression et les tenants du politiquement correct s’affrontent. Dernière occurrence hautement symbolique : un « trigger warning » infligé à un cours qui traitait de la crucifixion de Jésus dans une prestigieuse université du Royaume-Uni…
 
Étonnant, aussi, pour une société ultra permissive dont la seule idée n’a longtemps été que de choquer – mais gardons à l’esprit que, de mai 68 à aujourd’hui, ce sont les mêmes aux commandes.
 

Des scènes explicites de la crucifixion du Christ qui pourraient choquer…

 
La crucifixion du Christ pourrait être « trop pénible » pour certains étudiants universitaires… C’est la raison (hallucinante) du « trigger warning » imposé par l’Université de Glasgow à son cours intitulé « De la Création à l’Apocalypse : introduction à la Bible ». Elle a soigneusement averti ses inscrits que des scènes explicites étaient susceptibles de choquer… Dans un cours de théologie !
 
Le phénomène assez nouveau de ces « trigger warnings » apparaît un peu partout, aujourd’hui, dans les établissements d’enseignement. Ces « avertissements déclencheurs » sont placés juste avant la lecture d’un contenu, sont dits juste avant la tenue d’un cours, afin de prévenir le souvenir d’un événement traumatisant, la réaction de stress due à un sujet douloureux ou simplement sensible – le terme est issu du milieu psychiatrique (on peut se demander quel malheureux étudiant de Glasgow a déjà été crucifié…)
 
Les professeurs se prémunissent contre d’éventuels rejets. Et les étudiants peuvent obtenir l’interdiction de thèmes ou la proscription de personnalités qui risqueraient de mettre en porte-à-faux leurs convictions, leurs identités… Défenseurs de la liberté d’expression et tenants du politiquement correct s’affrontent.
 
Pour bien comprendre, il faut revenir au contexte américain.
 

Premier objet des « trigger warnings » : les minorités

 
C’est outre-Atlantique qu’est né, en effet, le débat, il y a quelques années, parmi des étudiants biberonnés au politiquement correct, au médiatiquement exposable. Leurs réclamations ont fait fleurir les tribunes de directeurs convaincus au contenu éclairant : le problème majeur est celui des « innombrables étudiants de couleur ou LGBT insultés ou physiquement menacés »…
 
Nous y sommes… les minorités ! Rien de très étonnant. A la rentrée 2016, le journal des étudiants de l’université Duke, l’une des plus grandes universités privées américaines, a même annoncé qu’un « safe space », un espace de sécurité, serait inauguré au sein de son institut d’études politiques, la Sanford School of Public Policy : « Nous mettons cet espace à la disposition des personnes qui se sentent marginalisées et font face à une stigmatisation pour la couleur de leur peau, leur religion, leur statut d’immigrants ou d’étranger »…
 
Notons que ces professeurs « tendance » ne sont absolument pas la majorité : selon une enquête menée par la Coalition nationale américaine contre la censure, seulement 17 % d’entre eux se déclarent favorables à ces« trigger warnings ». Beaucoup de critiques dénoncent le risque d’engendrer une « Generation Snowflake », à l’instar de ces jeunes adultes des années 2010 plus enclins à s’offusquer, incapables de faire face au monde…
 
En septembre, le représentant des étudiants de l’université de Chicago a adressé une lettre aux nouveaux inscrits fustigeant tous ces nouvelles formes d’anti-critique. « Je suis ici pour devenir intellectuellement courageux » a déclaré le président d’une prestigieuse université privée du Maine.
 

Du violemment correct

 
Mais les minorités n’étaient qu’un sujet de départ, celui qu’on-ne-peut-pas-discuter… Ont suivi des avertissements plus larges, comme dans les cursus de lettres. Un étudiant américain a réclamé que Gatsby le Magnifique ne soit proposé qu’après avoir averti de son « contenu misogyne, grossier et violent »… Une université américaine a prévenu que Les Métamorphoses d’Ovide étaient une longue série de viols. Une autre que Le monde s’effondre pourrait « renouveler le traumatisme de ceux qui auraient fait l’expérience du racisme, de la colonisation, de la persécution religieuse, de la violence, du suicide et autres »…
 
On peut aller très, très loin, comme ça ! La vieille Europe se vautre, elle, dans le ridicule avec cette histoire de crucifixion « pénible ». D’autres universités britanniques ont aussi pris le soin d’avertir les étudiants vétérinaires qui travaillent sur des animaux morts, des étudiants archéologues qui devaient étudier un corps vieux de mille ans bien conservé ou encore des étudiants en sciences judiciaires confrontés à du sang dans des scènes de crimes…
 
Du « violemment correct », en d’autres termes !
 

Tout ce qui est inconfortable : raisons politiques ou simplement personnelles

 
Il y a un côté psychologique risible.
 
Il y en a un autre, idéologique, plus insidieux. La notion de « correct » s’élargit et recouvre de plus en plus de champs d’action. Tandis que la gamme des idées acceptables, voire recevables publiquement parlant se rétrécit parallèlement. Jusque-là, des lois coercitives et punitives nous montraient les impasses à éviter…
 
Aujourd’hui, les « trigger warnings » montrent des nouvelles générations qui s’auto-censurent, en acceptant le fait de ne plus voir, plus entendre, de ne plus être confronté, de nier tout ce qui constitue la violence, le négatif, le néfaste, le mal… « l’altérité » aurait Philippe Muray ! Tout ce qui est inconfortable, en fait, pour leur corps et leurs pensées.
 

De l’art de la dialectique

 
Après mai 68 et toute cette révolution qui ne fut pas que sexuelle mais dirigée contre « l’ordre moral », l’ordre naturel et surnaturel, qui sacralisa la liberté d’expression absolue, on a un peu l’impression de se trouver totalement à rebours…
 
Mais la contradiction n’est pas si profonde. Il fallait un nouvel ordre, « remoralisant ». La morale-vitrine des droits de l’homme certes, mais aussi ce bon moral permanent engendré par la non confrontation, la non-violence… Se sentir accepté dans sa singularité et accepter les autres dans leur singularité…
 
Consolation illusoire ! Tandis que sont soigneusement maintenus les bouleversements sociétal, politique, idéologique, migratoire… qui ont largement accentué les traumatismes de tout acabit d’une population délaissée.
 
De l’art de la dialectique.
 

Clémentine Jallais