Le parti républicain subit, en plus aigu, le même dilemme que le peuple des Etats-Unis : vaut-il mieux voter Trump, avec les défauts qu’on lui connaît, ou laisser passer Hillary Clinton, dont on a pu mesurer la nocivité en tant que secrétaire d’Etat ? La question ne met pas seulement en lumière la personnalité de Donald Trump, mais les divisions du parti républicain. Et elle se pose de manière semblable en France avec le FN.
« Never Trump ». Jamais Trump. C’était le cri de guerre de la classe politique américaine dans son ensemble, des médias, de l’immense majorité des chefs du parti républicain. C’était aussi une quasi-certitude. Des comités rassemblaient des fonds, des pontes du grand old party se réunissaient, des alliances se dessinaient en vue d’une convention négociée, tout ce qui s’occupe de politique aux Etats-Unis en était sûr, jamais Trump ne serait choisi par le parti républicain pour concourir à la présidentielle de novembre 2017. Ici même, malgré ses premières victoires j’ai souligné les difficultés qui attendaient un candidat partiellement hors système. Aujourd’hui encore, le système le méprise. Il sera le candidat républicain, mais une partie du parti républicain refuse de se rallier à lui, et les Démocrates, en particulier les intellectuels, affectent de le tenir pour quantité négligeable. Il est significatif qu’un Woody Allen, sur le départ pour le Festival de Cannes, ait prit la peine d’affirmer que « Trump n’a(vait) pas la moindre chance ».
Trump, républicain gay-friendly ?
Ce qui suscite à gauche le mépris, la haine, la peur de Trump, bref, ce qui provoque la phobie anti-Trump, c’est précisément le côté libre du bonhomme, ses déclarations à l’emporte-pièce qui séduisent l’électeur de base, le courage de dire ce qu’il pense sur l’immigration accablante, sur le danger islamique, sa richesse qui le rend indépendant des lobbies, etc… Bref, une apparence de populisme toujours suspecte aux yeux des élites infectées par le mondialisme. L’établissement du parti républicain n’aime pas cela plus que les intellectuels radicaux de la côte Est, et c’est lui qui met des bâtons dans les roues de Trump depuis le début des primaires.
Mais il y a aussi de véritables conservateurs qui s’inquiètent des dégâts que pourrait faire Trump au parti républicain et aux Etats-Unis. Ceux qui ont noté des intentions pas très réfléchies en politique étrangère, ceux qui déplorent l’approbation qu’il a donnée à Obama et Hillary Clinton, ou plus encore ses positions fluctuantes, opportunistes, sur l’avortement ou « l’union » des homosexuels. Voici quelques jours, Gregory T. Angelo, porte parole d’un groupe pro gay a déclaré : « Donald Trump sera le plus gay-friendly des présidents républicains. »
La peste avérée Clinton et la choléra prévisible Trump
En matière économique, le candidat républicain n’est pas plus fiable. L’une des convictions fondamentales de son électorat tient aux impôts : les Démocrates les augmentent, les Républicains doivent les diminuer. C’était jusqu’à cette semaine la base de son programme. Mais dimanche dernier, dans la grande émission politique de la chaîne ABC « This Week », il a révélé qu’il allait « négocier avec les Démocrates » et qu’à l’issue de ces négociations les « impôts des gens qui gagnent bien leur vie allaient augmenter ». Il a justifié cette tête-à-queue spectaculaire en disant qu’il fallait « voir ce qui est possible » et « négocier ».
Il en va de même pour les salaires, le salaires minimum en particulier. En novembre dernier, lors d’un débat avec son concurrent Ted Cruz, Trump estimait que « tout était trop haut, les impôts, les salaires » et que cela affectait la compétitivité, donc l’emploi. Il se prononçait donc catégoriquement contre toute augmentation du salaire minimum. Aujourd’hui, il est pour, il « va voir cela », il « n’est pas comme les autres Républicains ».
Les Etats-Unis au bord du suicide
Bref, il apparaît aux yeux de la part conservatrice du parti républicain comme un opportuniste démagogue sans convictions, ou dont certaines convictions sont dangereuses. Certains sont tentés de s’abstenir ou de joindre leur voix à la gauche du parti républicain et aux Démocrates, qui le tiennent pour un dangereux populiste, afin de laisser la main à Hillary Clinton. Leur argument est qu’il vaut mieux sauver le parti, son unité, sa cohérence doctrinale et son image, quitte à faire le gros dos pendant quatre ans : après tout, après la pluie, le beau temps, Ronald Reagan a succédé à Carter.
D’autres jugent cette stratégie suicidaire. D’abord parce qu’en matière de sécurité militaire et de politique étrangère, qui sont les principales fonctions régaliennes du président des Etats-Unis, Reagan n’a pas pu rattraper toutes les fautes de Carter, en Iran notamment, où le Démocrate trilatéraliste a installé durablement le régime des mollahs. Ensuite parce que la pluie peut durer huit ans au lieu de quatre, comme ç’a été le cas pour Barack Obama. Et que le parti républicain a montré pendant ce laps de temps qu’il était divisé tant sur l’économie que sur les questions de société, incapable, malgré sa majorité au Congrès, de s’opposer efficacement au président démocrate, tant sur la régularisation des clandestins que sur l’Obamacare ou la promotion du mariage gay.
Les Clinton et les Trump : image du bonheur aux Etats-Unis
Sans doute la personnalité ni les déclarations de Trump ne laissent-elles présager rien de très bon, mais l’action d’Hillary Clinton quand elle était secrétaire d’Etat promet, elle, une catastrophe explicite. C’est elle qui a lancé les printemps arabes, déstabilisé un temps l’Egypte, mis le feu à la Syrie et à la Libye, contribué, peut-être plus encore qu’Obama, à la naissance et à la croissance de Daech. D’où le dilemme pour le parti républicain et pour le peuple américain : faut-il choisir la peste avérée Clinton ou le choléra prévisible Trump ?
Certains sont tentés de faire confiance à la personnalité flamboyante du magnat pour s’affranchir du système. Cela paraît naïf, si l’on considère la façon dont il commence, une fois la primaire quasiment acquise, à mettre de l’eau dans son vin afin de paraître plus politiquement correct, et si l’on se souvient qu’il a financé massivement les Clinton mari et femme. Une photo people, à un mariage, montre d’ailleurs le couple Trump et le couple Clinton, souriants, épanouis : Trump fait partie incontestablement de l’Etablissement qu’il dénigre.
Parallèle Trump – FN
Je serais tentée d’établir une comparaison entre son irrésistible ascension et celle du Front national de la famille Le Pen. Donald Trump a la faconde, la stature physique, le cheveu teint que le père arborait dans les années quatre-vingt ; et il a la stature intellectuelle, le flou doctrinal, les convictions variables et modernisantes de la fille. On peut penser que le système, parfaitement au courant des mécontentements et des réactions que la révolution qu’il mène suscite, s’arrange pour prendre la maîtrise des candidats alternatifs que la fureur populaire engendre. Avec leur sincérité éventuelle ils captent cette colère et la mettent au service d’un mouvement que le système peut utiliser dans le cadre d’un plan b, comme une sorte de roue de secours pour empêcher l’explosion sociale. Le premier front national n’était pas adapté à cette stratégie de secours, il est donc l’objet d’un grand remplacement systématique de ses cadres, symbolisée par l’éviction de Jean Marie Le Pen. Gollnisch et Arnautu en sont les dernières victimes.
Un dilemme insoluble
Cela demande de la part du système une gestion précise de ses relations avec les démagogues (id est, à proprement parler, conducteurs de peuples), dans le cadre de ce qu’on a coutume de nommer la diabolisation. Un Jean-Marie Le Pen était l’objet d’une diabolisation majeure qui lui interdisait l’accès à toute fonction d’autorité, ne lui laissant qu’une puissance tribunitienne tronquée. Bien « mieux » entourée et malléable, une Marine, elle, peut aller plus loin en cas de besoin, elle est donc l’objet d’une diabolisation mineure qui pourra être levée si nécessaire. De même pour Trump. Celui-ci a d’ailleurs noté les milliards en publicité gratuite que les médias hostiles lui octroient de fait. Leur agressivité, réelle et dominante, n’en recouvre pas moins une sorte de complicité. C’est pourquoi le dilemme du parti républicain et du peuple des Etats-Unis est insoluble : pile, avec Clinton, ils courrent à la catastrophe, face, avec Trump, ils n’arrêtent pas leur marche vers la catastrophe.