Pour tenter de répondre aux questions grandissantes qui se posent en Europe sur la Turquie au moment où débuté un nouveau sommet européen notamment consacré à la crise migratoire, le président du Conseil européen Donald Tusk a déclaré mercredi soir que de nombreux obstacles demeuraient avant que l’Union européenne et la Turquie ne parviennent à un accord sur la gestion de cette crise. Parmi ces difficultés, il a précisément évoqué la question chypriote.
Chypre est évidemment un grain de sable dans toute discussion avec la Turquie. La partie sud est, en effet, membre de l’Union européenne, alors que la partie nord demeure sous contrôle turc. Et c’est la Turquie qui a imposé cette partition, en occupant le nord de l’île en 1974, avant de proclamer unilatéralement son indépendance le 15 novembre 1983. Plus de trente ans plus tard, la Turquie est toujours le seul pays au monde à reconnaître cet Etat, dont la devise, par un mimétisme dont l’ironie mordante n’échappera à personne, est celle de la Turquie, héritée de Mustapha Kemal Ataturk : « Paix dans le pays, paix dans le monde. »
L’Union européenne voudrait signer un accord avec la Turquie
Pour Donald Tusk, « les choses avancent, mais il reste beaucoup à faire ». C’est du moins ce qu’affirme le président du Conseil européen dans un courrier qu’il a adressé aux dirigeants européens à la veille du sommet qui débute aujourd’hui à Bruxelles.
« Les choses avancent, mais il reste beaucoup à faire » est le genre de phrase typique prononcée par un politique quand il s’agite beaucoup, mais que rien ne se passe. Car, plus de quarante ans après l’occupation du nord de l’île chypriote par la Turquie, nous en sommes toujours à un statu quo douloureux.
Mais Bruxelles n’a pas de choix autre que de dire que les choses évoluent, puisque nos dirigeants ont décidé que la solution à l’actuelle crise migratoire passait par un accord, et peut-être une alliance, avec Ankara.
Pour Donald Tusk, on ne peut faire l’impasse sur la question chypriote
Or, quand Donald Tusk affirme qu’un accord dans l’actuelle crise des migrants est « une opportunité pour la Turquie de soutenir des négociations de résolution avec Chypre », et surtout lorsqu’il ajoute : « Seulement si cela est possible, alors nous pourrons aller de l’avant », il essaye manifestement d’inverser les rôles, car, dans la situation présente, les Européens ne sont pas en mesure de négocier. Ils peuvent seulement s’en donner l’illusion – et surtout essayer de nous la faire partager…
La preuve en est que les discussions qui débutent aujourd’hui n’apportent rien de nouveau, a priori, par rapport au sommet extraordinaire tenu il y a dix jours avec Ankara. Les propositions sont les mêmes, et chacun semble camper sur ses positions.
Certes, comme d’habitude, on nous fait miroiter un compromis. Mais sur quoi ? Sur les migrants, impossible de trouver un compromis. Soit ils sont là, soit ils ne sont pas là : il n’y a pas de moyen terme.
Sur l’argent ? Mais nous avons déjà accepté, dans le principe, d’au moins doubler l’aide initialement prévue pour la Turquie, et qui pourrait donc désormais s’élever à six, voire sept milliards. Renouvelable tous les ans, qui plus est, si Ankara se montre inflexible…
Une européanité sans emballage…
Reste donc la question politique. Angela Merkel, qui nous a amenés à cette position de faiblesse devant la Turquie, a tenu à rassurer hier les députés allemands en des termes similaires à ceux de Donald Tusk. Si elle n’a guère évoqué la question, pourtant très importante, de la libre circulation des ressortissants turcs, et donc de la suppression des visas, que pour affirmer que les conditions d’une libéralisation n’avaient pas changé, elle a tenu à affirmer haut et fort que l’entrée dans la Turquie n’était « pas à l’ordre du jour ».
C’est aborder la question chypriote par l’autre bout. Sans la résoudre pour autant, puisque le problème demeure aujourd’hui, et jusqu’à plus amples informations, insoluble.
Bien ! Mais ce discours est évidemment faussé. Si les Turcs, en définitive, nous imposent leurs conditions, et que, en outre, ils obtiennent la libéralisation sur les visas (dont les conditions sont plus accessibles, si l’on peut dire), ils auront quasiment tout ce qui les intéresse. La question de l’entrée dans l’Union européenne ne sera plus qu’une formalité quasiment vidée de sa substance. Qu’importe de n’être pas appelé « européen », si, dans la pratique, on en a tous les avantages espérés ?