Que ce soit de son propre mouvement ou par souci électoral, ou plus vraisemblablement encore pour respecter les rythmes imposés par les fédéralistes européens qui savent quand avancer et quand temporiser, Angela Merkel a balayé au nom de l’Allemagne les propositions d’union fiscale et de mise en place d’un important dispositif anti-crise financière souhaité par Emmanuel Macron. Au président français de dessiner l’avenir, au chancelier allemand de modérer le pas pour ne pas compromettre l’objectif final. C’est après des mois de silence qu’Angela Merkel, revenant à la prudence à laquelle l’électorat allemand est favorable, a clairement signifié qu’il n’était pas question d’alourdir le poids qui pourrait peser sur son pays en cas de défaillance d’autres pays membres de l’UE.
« La solidarité entre partenaires de l’euro ne doit jamais conduire à une union de la dette », a-t-elle déclaré au Frankfurter Allgemeine dans un entretien programmatique ce week-end. Pour Ambrose Evans-Pritchard du Telegraph, c’est un moment clef dans le processus de la construction européenne : il s’agit selon lui de la « garantie » de voir le maintien d’une « union monétaire déformée et dangereusement instable lors de la prochaine récession mondiale ».
Angela Merkel ne soutient pas les ambitions fédéralistes d’Emmanuel Macron
Pour David Marsh, chef de l’Official Monetary and Financial Institutions Forum, think tank indépendant, c’est bien la preuve que la souveraineté reste à l’ordre du jour : « Elle a dit avec la plus grande clarté que le Parlement allemand doit avoir le dernier mot en ce qui concerne la dépense des deniers du contribuable allemand. Voilà le point crucial. »
Il faudrait tempérer cette déclaration par la réalité qui fait de l’Allemagne une contributrice nette au budget de l’UE.
Mais le fait est là : à la fin de 2017, les chrétiens-démocrates du CDU faisaient alliance avec les sociaux démocrates du SPD sur un programme de coalition prévoyant que les parlementaires européens plutôt que le Bundestag auraient compétence pour approuver les opérations de sauvetage financier. Le fédéraliste Martin Schulz a depuis lors perdu le contrôle du SPD, entraînant dans son départ ce projet impopulaire chez les Allemands.
Angela Merkel s’est donc bornée à approuver la mise en place d’un Fonds monétaire européen, qui n’entre pas dans le cadre des traités de l’UE mais constitue une entité « inter-gouvernementale » où l’Allemagne disposera d’un veto relevant de la compétence du Bundestag. L’intérêt de ce FME, du point de vue allemand, est de permettre l’exigence de mise en place de décotes pour les créances du secteur privé et de la restructuration de la dette souveraine avant tout sauvetage. Perspective qui selon l’ancien ministre des finances italien, Pier Carlo Padoan, aurait pour effet de déclencher une crise financière automatique. En attendant, ce n’est qu’une autre façon de maintenir l’euro à bout de bras sur le dos des peuples.
L’UE fédéraliste freinée par Merkel : elle n’ira pas plus vite que la musique
Est-il vrai, comme le dit David Marsh, que le plan Merkel profite de l’élection d’un gouvernement rebelle en Italie ? « Elle lui a donné d’excuse rêvée », assure l’analyste.
Pour Macron, le refus allemand serait donc un coup dur, l’affaire de l’euro étant précisément le lieu où le fédéralisme peut le mieux avancer actuellement, alors que Merkel veut sévèrement limiter les fonds dont disposerait la zone euro pour aider les pays en retard à 0,2 % de son PIB, soit 30 milliards d’euros selon des informations données par la presse. Cela ne laisserait guère de marge de manœuvre à l’UE pour servir de filet de sécurité aux banques. Tout au plus le chancelier allemand est-il d’accord pour l’ouverture de lignes de crédit sur cinq ans pour les pays en difficulté : cela peut paraître restrictif mais fonctionnerait selon les méthodes habituelles des institutions mondialistes.
En réalité, Angela Merkel a les mains liées par les dispositions constitutionnelles allemandes jalousement défendues par la Cour ad hoc, selon Evans-Pritchards. Celle-ci a jugé que le Bundestag n’a pas le droit d’abandonner ses pouvoirs budgétaires à quelque entité supranationale sous peine de vider de sa substance la démocratie allemande. Remarque de bon sens qui n’éveille donc aucun écho chez Emmanuel Macron… Et, bonne nouvelle pour les Allemands soucieux de leur souveraineté, c’est aujourd’hui l’AfD anti-européiste qui constitue la réelle opposition au Parlement où Alternatieve für Deutschland contrôle la commission du budget.
Les ambitions « carolingiennes » de Macron pour l’Union européenne. Vraiment ?
Pas moins de 154 économistes allemands ont également co-signé fin mai une lettre à Merkel pour dire que le plan Macron n’est pas seulement ruineux, susceptible de conduire l’Allemagne droit vers l’union de la dette au sein de la zone euro, mais une vraie menace pour l’intégrité de la démocratie allemande. Merkel suit la tendance en maintenant l’idée d’une « union disciplinaire » de fait, comme l’appellent ses critiques.
Fin du « rêve carolingien », conclut Evans-Pritchard. Sur ce point, impossible d’être d’accord : il y a un vide indépassable entre « l’empire » chrétien respectueux des coutumes et des particularités locales et l’union technocratique, ce cauchemar européiste qui a les faveurs de Macron, avec son poids fiscal et son étatisme qui auraient fait hurler les contemporains de Charlemagne.