La politique centralisatrice et la fracture territoriale qu’elle entraîne viennent d’être de nouveau mises en cause, cette fois dans le domaine des transports par rail où les démantèlements de services se multiplient. Les fermetures en série de services ferroviaires imposées par la SNCF sont sévèrement dénoncées par la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (FNAUT, 150 associations membres) dans une lettre ouverte au Premier ministre Edouard Philippe, signée par son président Bruno Gazeau, ce 10 novembre. La FNAUT exige l’arrêt immédiat des fermetures, en premier lieu de lignes régionales laissées à l’abandon, mais aussi de relations TGV, Intercités et de gares auto-train.
Fermetures de lignes, moins de services TGV, Intercités et TER, terminaux auto-trains supprimés
« Nous constatons des fermetures de lignes ou des ralentissements inopinés dans plusieurs régions, des réductions de services persistantes sur le TGV à périmètre de réseau constant, sur les Intercités, sur certains TER, causées par une dérive catastrophique des coûts, sur le fret, ainsi que la fermeture brutale de sept terminaux auto-train sur douze en décembre », écrit la FNAUT dans cette lettre ouverte adressée par ailleurs au ministre des Transports Elisabeth Borne, au président du Sénat Gérard Larcher, au président de l’Assemblée nationale François de Rugy et au président délégué de Régions de France François Bonneau.
Le projet Excellence 2020 de la SNCF ne traite pas du ferroviaire national !
La FNAUT dénonce la stratégie initiée par l’établissement public industriel et commercial dans lequel l’Etat est tout-puissant, et en particulier par SNCF Mobilités, présidée par Guillaume Pépy, qui sacrifie délibérément le service ferroviaire national – hors lignes nouvelles – et régional, au bénéfice d’une stratégie de diversification, de communication et d’internationalisation à outrance. « Les évolutions annoncées par SNCF Mobilités sont encore plus inquiétantes », signale la lettre ouverte. « Excellence 2020 », projet d’entreprise, « traite du trafic international, des activités à l’étranger, du transport régional quotidien, des transports routiers complémentaires, des services porte à porte, de l’apport du numérique, tous services importants, mais oublie le sujet principal : le ferroviaire national ! », s’indigne la FNAUT.
La SNCF finance ses bus Ouibus qui concurrencent ses trains : 150 millions d’euros en trois ans
Dénonçant les réductions de desserte à longue distance, en particulier sur la Côte d’Azur, la FNAUT critique SNCF Mobilités qui « s’attache à développer les activités routières qui concurrencent le train avec Ouibus, malgré son déficit (quelque 150 millions d’euros en trois ans, NDLR), ou le covoiturage avec IDVROOM ». Et de stigmatiser les coûts exorbitants de SNCF Mobilités : « Lors de la signature en décembre 2010 de la première convention des trains d’équilibre du territoire (Intercités, relations interrégionales hors TGV, NDLR), cinq relations atteignaient l’équilibre d’exploitation. Aujourd’hui, il n’y en a plus aucune et le déficit augmente malgré la suppression continuelle de circulations ».
« Le constat est analogue pour les TGV : SNCF Mobilités, depuis au moins cinq ans, supprime aussi des circulations ; des relations telles que Paris-Nice sont annoncées déficitaires », poursuit le document. La FNAUT en déduit que « ce n’est donc pas le modèle économique du TGV – la seule activité rentable – qui est en cause, comme généralement annoncé, mais celui de la SNCF ! La hausse des péages constitue un des facteurs de dégradation des résultats. Mais la Cour des comptes a également mentionné une forte dérive des charges de SNCF Mobilités »
Seize lignes régionales fermées aux voyageurs en six ans, un démantèlement des services dénoncé par les usagers
Dans un document annexe, la FNAUT énumère le nombre de lignes régionales fermées au trafic voyageurs depuis six ans : seize, qui entraînent un isolement croissant des localités desservies. Cela va de Verdun qui n’est plus relié par rail à Reims (et au-delà vers l’Ile-de-France) à la liaison la plus courte Clermont-Saint-Etienne via Noirétable, en passant par l’interruption de la liaison ferrée, le 11 décembre prochain, entre Saint-Claude et Lyon. Pour la seule année 2016, six lignes ont été ainsi « transférées sur route », trois en 2017. Ces transferts sur route s’accompagnent d’un allongement des temps de parcours, d’une précarisation des horaires (et donc des correspondances), d’une diminution du confort et de l’inconvénient d’attendre le véhicule hors des gares dans un environnement routier pollué et bruyant. Ils s’accompagnent généralement d’une baisse importante de la fréquentation et de l’offre. Auparavant, et depuis la nationalisation des chemins de fer en 1938, le réseau ferroviaire national avait été amputé de plus de la moitié de son kilométrage, de 45.000 à 20.000 km environ, isolant du système un nombre incalculable de villes moyennes.
La FNAUT cite la Suisse qui a augmenté de 20 % son offre trains à coût nul
La FNAUT exige « de procéder impérativement à une rupture de la stratégie actuelle de la SNCF afin de pérenniser, comme chez nos voisins européens, le ferroviaire autrement que sur un seul noyau dur très limité de relations ». Elle demande « des gains de productivité assurés par l’industrialisation de la modernisation des infrastructures », un « état des lieux prévisionnel des lignes complétant le réseau structurant et des lignes du réseau capillaire ». Elle conclut que « la SNCF devra passer de la “mauvaise productivité” qui consiste à supprimer les activités les moins rentables pour cause de surcoûts de production notoires à une “bonne productivité” de croissance qui, face à des coûts fixes importants du ferroviaire, consiste, comme chez nos voisins, à augmenter la production, par exemple par le cadencement (+ 20 % de trains.km supplémentaires à surcoût nul en Suisse) ».
L’enjeu est considérable. Il s’agit de maintenir une desserte TGV et Intercités qui ne se résume pas à une étoile autour de Paris, de conserver une industrie ferroviaire et de maintenir une desserte régionale des villes moyennes qui en bénéficient encore, leur évitant la relégation que dénoncent un nombre de voix croissant. Cette « France périphérique » dont les élites des métropoles hors sol ne veulent plus entendre parler.