Le gouvernement de Manuel Valls entend lancer une grande consultation auprès des responsables musulmans en France afin de « favoriser le dialogue avec l’islam » – avant le ramadan, foi d’animal ! C’est-à-dire avant le 17 juin, date à laquelle commence cette année la période de jeûne islamique. L’entourage du ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, a précisé qu’il s’agissait de mettre en place une instance plus large et plus diversifiée que le CFCM (Conseil français du culte musulman) créée en 2003 avec le soutien de Nicolas Sarkozy, qui était alors place Beauvau. L’initiative s’inscrira dans le cadre d’un plan plus large présenté en conseil des ministres mercredi, qui prétend mieux assurer la sécurité des musulmans en France et la formation de leurs représentants. S’agit-il de réorganiser l’islam de France ? Le gouvernement s’en défend. Mais le but est bien l’ingérence.
Le CFCM, version Sarkozy, demeure très contesté par de nombreux musulmans, rassemblant essentiellement des musulmans du Maroc mais présidé depuis 2013 par l’Algérien Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris. Comme les autres groupes islamiques sur le sol français, il est lié ainsi à des puissances étrangères. Les imams turcs – volontiers recrutés pour assurer l’aumônerie des prisons n’en font pas partie, pas plus que la puissante UOIF (Union des organisations islamiques de France), « proche » des Frères musulmans d’origine égyptienne, très hostile à la laïcité.
Les attentats islamiques embarrassent la République
Un mois et demi après les attentats de Paris et les autres épisodes sanglants qui ont émaillé le mois de décembre en France aux cris d’« Allahou Akbar », la réponse du gouvernement Valls témoigne de la nervosité de la République face à la présence de 4 à 5 millions de musulmans en France – pour citer les chiffres officiellement admis.
Un vrai casse-tête : il s’agit à la fois de répéter le discours selon lequel l’islam n’est coupable de rien, tout en avouant que c’est bien au nom de l’islam que se font les égorgements et autres attentats à la kalachnikov ou à la voiture. Sinon, pourquoi chercher la solution de la violence parmi les responsables de l’islam eux-mêmes ? En préconisant la formation d’un « islam fidèle aux valeurs de la République », les autorités françaises indiquent en creux leur volonté de le réformer, et s’il est à réformer, c’est qu’il n’est pas acceptable en l’état.
Nervosité encore dans les propos : les services de Bernard Cazeneuve se voient obligés de justifier tant bien que mal l’accusation lancée par Manuel Valls – un œil sur les sondages – contre l’« islamo-fascisme », ce qui ne veut pas dire grand chose mais a l’avantage de créer l’impression d’un groupe extrémiste à rejeter au nom de l’accueil et de la protection du plus grand nombre. Mais « l’islam de France » l’a plutôt mal pris. Le voisinage des deux termes « stigmatise » l’ensemble, forcément.
Valls et Cazeneuve, un œil sur Marine Le Pen
L’une des retombées non négligeables des attentats au cœur de Paris, des vidéos horrifiques diffusées par l’Etat islamique et des menaces islamistes sur la France, c’est évidemment le boulevard fait à Marine Le Pen qui n’a même pas besoin de s’exprimer sur la question pour obtenir la sympathie d’un électorat désemparé. La réponse laïciste prônée par le Front national n’est pas si différente de celle des autorités en place, mais qu’importe : celles-ci portent aux yeux du public la responsabilité des troubles actuels et ne peuvent en tirer profit sur le plan électoral qu’en jouant la carte de l’union sacrée. Quitte à tordre un peu – et même beaucoup – le principe républicain de laïcité qui devrait tenir les pouvoirs publics à l’écart du domaine privé où l’on relègue toutes les religions.
C’est du moins le discours officiel de la laïcité républicaine : il n’est pas obligatoire d’en être dupe, nous savons bien que c’est une religion en soi !
Mais revenons à l’islam. Valls et Cazeneuve entendent le réformer en France avec toute la puissance de l’Etat, tout en maintenant l’illusion du respect de son indépendance. Ce jeu difficile passe par une dénonciation publique des phénomènes de « radicalisation » qui ont cours – aux marges de l’islam nous dit-on, et notamment en prison où les 180 imams censés éviter ce phénomène ne sont pas assez nombreux pour faire face paraît-il (à supposer qu’ils veuillent le faire…).
« L’islam fidèle aux valeurs de la République »
Voici donc la République laïque qui assure vouloir permettre l’organisation et la représentation d’un « islam fidèle aux valeurs de la République », objectif impossible mais poursuivi avec toute la publicité nécessaire pour mettre l’islam sur un pied d’égalité avec la religion catholique, permettre des rencontres bisannuelles comme avec la religion catholique, par le biais d’une « démarche inclusive, une dynamique partagée ». Le jargon ministériel de Bernard Cazeneuve indique à lui seul la philosophie à l’œuvre, toute la philosophie de l’œuvre : toute de communication et d’emballage des réalités.
Les Français s’émeuvent-ils de la place prise par l’abattage hallal en France ? La nouvelle organisation représentative islamique sera chargée de régler le problème avec les autorités françaises. Les musulmans réclament-ils des jours fériés correspondant à leurs fêtes religieuses ? Idem. En faisant attention de ne pas se mettre à dos les autres Français : « Les instances de dialogue que je souhaite développer sont précisément destinées à trouver des compromis intelligents », explique Cazeneuve. Faut-il des imams pour déradicaliser des jeunes de banlieue ? La République les formera. Imams et aumôniers « ne seront recrutés désormais que s’ils ont obtenu ce diplôme de formation aux principes fondamentaux de la République », assure Cazeneuve.
L’« islam de France » : des imams labellisés par un diplôme républicain
C’est calqué sur le mode de recrutement des professeurs de l’enseignement public et privé dans le cadre de la laïcité renouvelée par François Hollande et son gouvernement… D’ailleurs les écoles musulmanes seront surveillées.
Tout cela indique la volonté de la République de reformater le contenu de l’islam en France tout en faisant semblant de n’y point intervenir. Périlleux projet, qui menace aussi la religion catholique, si l’on veut bien tirer les conséquences logiques de tout cela.
Et ce d’autant que Bernard Cazeneuve tient ferme sur la ligne laïque, quoi qu’il en dise : « La République a vocation à prendre dans ses bras tous ses enfants, dès lors qu’ils respectent les valeurs de la République. » La République maçonnique, notre mère à tous ? A l’heure qu’il est, les musulmans en tant que communauté risquent d’être encore plus rétifs à cette maternité de substitution que ce qu’il reste de catholiques.